Ferme de Malatrait – Caprins – Système livreur et élevage sous les mères
La Flocellière (85)
La ferme en quelques mots
- SAU : 103 ha
- Ateliers : vaches allaitantes, chèvres, céréales et légumes plein champ
- Commercialisation : livraison à une laiterie (LCBO)
- UMO : 2
- Volume produit : 150 000 litres
- Taille du troupeau : 300 chèvres (500 l/an) et 80 chevrettes élevées par an
- Races présentes : Saanen
- Alimentation des chèvres : pâturage, céréales, maïs
La conduite de l’élevage des jeunes : sous les mères intégral (en monotraite) pour les chevrettes
A la ferme de Malatrait, les mises-bas ont lieu vers mi-février, et seules 80 chevrettes sont gardées et serviront à renouveler les chèvres de réforme. Le reste des chevrettes et les chevreaux seront collectés à 3 jours par un engraisseur en conventionnel, qui offre 1€ par tête. Ce choix n’était pas la volonté première des éleveurs, mais après avoir essayé en 2019 l’engraissement des chevreaux, et avoir subi des problèmes sanitaires (sur les mamelles notamment, avec de la lactima) ainsi qu’en faisant face à l’impossibilité de valoriser leurs chevreaux en bio ce qui les a contraint à vendre leurs animaux pour une misère, les éleveurs se sont résolus à ne garder que les 80 chevrettes nécessaires au renouvellement du troupeau.
Dès leur naissance et pendant les 7 premiers jours de leur vie (ou les 3 premiers pour ceux qui sont collectés), les chevrettes et les chevreaux sont placés sous leurs mères 24h/24 et se nourrissent donc de colostrum, afin de renforcer leur immunité. Du 8e au 45e jour, qui constitue la phase lactée pour les chevrettes, celles-ci sont placées sous leurs mères après la traite du soir et jusqu’au moment où la traite du matin devrait se faire. Cependant, il n’y a pas de traite le matin, seulement le soir, car les chèvres du troupeau sont en monotraite, afin d’offrir environ 1,5 L de lait par jour à chaque chevrette et d’être capable de fournir le lait qui sera livré par la suite à la laiterie.
Malgré le manque à gagner que représentent les 1,5 L/jour que consomment chacune des 80 chevrettes, les éleveurs ont trouvé un équilibre économique en fonctionnant de la sorte, car la baisse des charges s’est avérée très importante, notamment par rapport au moment où ils avoir recours à de la poudre de lait bio. En effet, en 2021, les éleveurs nourrissaient leurs chevrettes avec de la poudre de lait bio mais dans un souci de correspondre encore davantage aux valeurs de l’AB et de devancer l’évolution du guide de lecture sur la question de l’allaitement des jeunes, ils sont passés à l’allaitement sous les mères. Depuis ce changement, ils ont su y trouver leur compte, notamment car ils sont en système livreur, même si cela ne doit pas occulter les difficultés économiques qu’ils rencontrent.
Le sevrage des chevrettes se fait donc autour du 45e jour après les mises-bas, alors qu’elles atteignent un poids autour de 14-15 kg. Les chevrettes resteront ensuite dans des box sous abri où elles consommeront du foin et des céréales produits sur la ferme. Elles ne sortiront qu’après avoir donné naissance l’année d’après, car auparavant les éleveurs redoutent les risques sanitaires liés au pâturage de ces jeunes animaux et leurs conséquences pour leur troupeau. Déjà, sur les 80 chevrettes élevées l’an passé, 20 n’intégreront pas le troupeau à cause de problèmes sanitaires (ballonnement notamment).
Le système livreur : entre péripéties et intérêt économique
Si c’est en partie le fait d’être en système livreur qui permet que les chevrettes soient élevées sous les mères (car le manque à gagner de l’allaitement est moins grand que si le lait était transformé), cela a causé beaucoup de tracas aux éleveurs l’année passée. En effet, ils livraient leur lait à CBF (Chèvres Bio de France), mais lorsque cette organisation a fermé, les éleveurs adhérents de CBF, avec leurs 6 millions de litres collectés jusqu’alors, ont dû s’adapter et revoir complétement leur système. Sur ces 6 millions de litres, près de 3,5 millions ont été décertifiés, fragilisant ainsi des dizaines de fermes. Même celles qui sont parvenues à rester en AB ont dû transformer leur façon de commercialiser, donc de travailler.
Heureusement, parmi les dizaines de fermes impactées, certaines ont choisi de s’associer pour remonter une structure régionale avec un fonctionnement semblable à CBF : LCBO. Cette structure associe à la fois des éleveurs anciennement chez CBF mais aussi la laiterie La Lémance et la chaîne de magasins Biocoop. La démarche est semblable à celle de Lait bio du Gévaudan en Occitanie, même si le choix a ici été fait de suivre le cahier des charges Bio Équitable en France, en association avec Biocoop.
Pour continuer de vendre à La Lémance malgré la contraction du marché, les éleveurs ont dû serrer leurs stocks et participer à la trésorerie (notamment pour le stockage du lait). Se regrouper leur a permis de garder leurs contrats, car tous les éleveurs en contrats individuels se sont fait retoqués les leur, pour un volume de lait équivalent à 600 000 L sur les 2,5 millions collectés jusqu’alors dans la région). La plupart de ceux qui ont perdu leurs contrats ont été déclassés (soit sont repassés en conventionnel, soit leurs terres sont parties à l’agrandissement en conventionnel).
Afin de palier ces difficultés du marché, LCBO a aussi fait le choix de vendre une partie de sa production à une autre structure de transformation, qui a permis de mieux valoriser leur lait. Cependant, 1 million de litres de lait sont encore en stock au sein de LCBO à cause d’une demande en berne. De même, en 2023, la ferme a encore dû déclasser 1/3 de sa production car la demande était insuffisante.
Ainsi, la compétition est rude en système livreur, et lorsque le marché se contracte, l’intérêt de se regrouper se fait de plus en plus sentir. Mais cet intérêt est également extrêmement palpable quand il s’agit de renouveler les contrats et de négocier les prix, notamment car comme nous l’ont témoigné les associés : sur la situation économique en élevage caprin « on est retourné 15 ans en arrière ». Ils estiment que « sur le prix, il manque 25-30 centimes par litre » notamment à cause de la hausse des charges liée à l’inflation : « il y a 5 ans, l’entretien d’une machine à traire coûtait entre 8 et 10 000 euros, aujourd’hui c’est 15 000 € » et « il y a 5 ans, il fallait compter 45 €/h pour un mécano, désormais c’est 65 €/h ». Ce phénomène s’est conjugué avec une baisse de la trésorerie en début de saison, notamment due à la suppression de l’aide au maintien en bio (MAB), sans pour autant que ce soit répercuté sur les prix. Ainsi, les éleveurs se sont retrouvés pris à la gorge entre des recettes qui chutent et des charges qui augmentent, et des laiteries qui arrêtent de collecter leur lait, ce qui participe d’expliquer la réaction de nombreux éleveurs ayant conduit à la création de LCBO.
De l’intérêt de diversifier ses activités (bovin viande, légumes plein champ, photovoltaïque)
On vient de le voir, les difficultés économiques peuvent être très grandes en élevage caprin, et c’est pourquoi à la ferme de Malatrait, l’accent a été mis (et encore plus ces dernières années) sur la diversification des activités.
C’est pourquoi à la ferme de Malatrait, les ateliers bovin viande ou légumes plein champ ont permis de passer la période difficile pour l’atelier caprin de façon moins chaotique, notamment car ils offrent de bien meilleures rémunérations et fonctionnent avec des modes de commercialisation différents.
En effet, là où le prix du lait avec LCBO varie seulement en fonction de la période (prix été – prix hiver), et que la livraison à une laiterie ne permet pas de récupérer une forte valeur ajoutée, en bovin viande le kilo est valorisé à 6€ ce qui permet des rentrées correctes de trésorerie, et en légumes plein champ, Laurent et Mickaël vendent leur production en direct et peuvent donc valoriser plus fortement tout en maîtrisant la commercialisation, donc en évitant des mauvaises surprises comme peuvent l’être les ruptures de contrat de la part d’un distributeur.
De même, sa centrale photovoltaïque de 50 kW installée sur le toit d’un de ses bâtiments lui apporte un complément de revenu. C’est grâce à cela que Laurent et Mickaël ont pu passer la période sans de trop gros soucis. Et c’est fort de cette expérience qu’ils envisagent d’accorder plus de place à ces ateliers dans leur système.
Enfin, Laurent insiste sur l’intérêt de l’AB comme gage de confiance pour les consommateurs. Il aimerait que les pouvoirs publics insistent davantage là-dessus : « Nous en bio, on ne déguise pas des mots derrière nos pratiques, mais il n’y a pas assez d’énergie mise sur la communication ». Il a également tenu à rappeler que « c’est un investissement sur 10 ans, 20 ans… quand on achète un produit bio, il faut que les gouvernants et les citoyens comprennent ça » et « faut qu’on arrête de les tromper sur le HVE, sur le local ; on trompe trop le consommateur, est-ce que le local c’est de faire du cochon avec du soja OGM du Brésil ? Est-ce que c’est de manger des céréales au glyphosate ? ». Davantage de transparence donc, pour arrêter de tromper la société et permettre à la bio de se construire dans la durée, pour le bien de tous.