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Dimensionner les surfaces pour le pâturage implique de mettre en rapport le potentiel fourrager de sa ferme et les besoins quantitatifs des lots d’animaux à nourrir. En système caprin biologique, il faut intégrer à la réflexion la propension à trier et à gaspiller de la chèvre, ainsi que sa sensibilité aux parasites. Prendre en compte ces facteurs permet de placer le pâturage au centre de l’alimentation des chèvres et de minimiser l’utilisation d’antiparasitaires chimiques.
L’intensité de pâturage n’est pas précisément cadrée par le cahier des charges de l’AB. Pour poser un cadre de réflexion, on peut positionner 3 paliers où le pâturage représente quotidiennement 1/3, 2/3 et 100 % des fourrages de la ration et ceci sur 2 périodes, du 1er avril au 1er juillet et du 15 septembre au 30 octobre où la pousse de l’herbe n’est pas limitante en campagne normale sur les secteurs sud-ouest atlantique.
Ces périodes-cibles de pâturage sont des repères. En pratique, bien des éleveurs ont des fenêtres de pâturage plus larges si la campagne s’y prête : amplitude du 15 février au 15 novembre environ. Inversement le pâturage peut être limité sur ces 2 périodes, ponctuellement ou plus durablement, par des épisodes de pluie battante, froid, vent, faible portance, arrêt de la pousse de l’herbe, parasitisme (infestation des pâtures et des chèvres).
Concernant la cinétique de lactation, une productivité technique annuelle de 800 kg/chèvre (un horizon en système biologique pâturant) équivaut à une chèvre produisant environ 3,5 kg au pic de lactation, 3 kg en pleine lactation et 2 kg en fin de lactation.
Le repère de 2 kg de MS d’herbe à ingérer est à retenir pour un objectif de 3 kg de lait et 100 % des fourrages ingérés au pâturage.
L’ingestion des chèvres au pâturage est liée à 3 facteurs : la quantité d’herbe offerte, la qualité de l’herbe et le temps disponible de pâturage.
Les expérimentations en cours à l’INRA de Méjusseaume (35) resituent l’optimum en termes d’ingestion et taux de refus à 2,5 kg de MS offerte pour 2 kg de MS ingérées (et 20% de refus) [1]. La Ferme expérimentale caprine du Pradel (07) situe la vitesse d’ingestion des chèvres au pâturage autour de 300 g de MS/heure pour une herbe à la qualité et à la préhension optimisées [2].
Pour satisfaire 100 % des besoins en fourrage pour 100 chèvres au pâturage, il faut donc offrir par jour 250 kg de MS d’herbe sur 9-10h de pâturage.
Pour 2/3 : offrir 167 kg de MS d’herbe sur 7-8 h de pâturage.
Pour 1/3 : offrir 84 kg de MS d’herbe sur 3-4h de pâturage. Il s’agit dorénavant de mobiliser ces prérequis pour dimensionner la sole pâturable.
En prairie à flore variée, si le pâturage est bien mené (pâture exploitée à un stade optimisé pour les chèvres), l’entrée se fait au stade feuillu, 3 feuilles pour les graminées, herbe mi-botte, l’herbe ne se couche pas au passage des chèvres. La sortie survient quand la hauteur de l’herbe est entre le talon et la cheville pour préserver d’une part les chèvres des parasites et d‘autre part la gaine des graminées. La quantité d’herbe offerte est liée à la densité du couvert. Le potentiel fourrager est la combinaison entre la qualité du couvert herbacé et la dynamique de pousse de l’herbe entre 2 cycles (intervalle de temps pour que l’herbe puisse faire sa flambée de croissance).
Chaque prairie en fonction de son âge, de la saison, de la campagne (températures, précipitations, ensoleillement) a une dynamique propre. L’expérience de l’éleveur et l’enregistrement des informations sur un planning de pâturage contribuent à se forger ses propres repères de production et d’intervalle moyen.
L’observation du cycle physiologique des graminées (stade 2 feuilles, puis 3 feuilles, évolution des limbes), les repères bottes sont utiles pour identifier la flambée de croissance de l’herbe. Apprécier les trous de la prairie sur 1 m2 permet de situer la densité du couvert.
Enfin, tout séjour de plus de 6 jours sur une pâture pénalise la production fourragère globale, l’empreinte foncière et expose les chèvres à la lassitude des chèvres. Une durée de séjour de 1 à 2 jours complexifie certes le nombre de paddocks à mettre en place ou implique une gestion fil avant-fil arrière, mais optimise fortement la repousse d’herbe et sa qualité, en plus de stimuler l’appétit des chèvres.
La chèvre développe une faible réponse immunitaire face aux strongles. Un des principaux leviers de lutte est de réduire son exposition aux larves infestantes afin de maîtriser le parasitisme à un niveau sans conséquence ou modéré sur la production de lait.
Cette technique consiste à introduire une rupture entre 2 cycles de pâturage de 45 à 60 jours :
La non-utilisation par les chèvres d’une parcelle va contribuer à limiter le nombre d’œufs et les générations de larves L3 présentes sur la pâture. L’assainissement est considéré partiel au bout de 30 jours et important au bout de 60 jours [3]. L’incidence de cette gestion est à minima un doublement de la sole pâturable.
Elle repose sur la différentiation de blocs de parcelles par période : bloc de printemps, d’automne, voire d’été (si herbe). Un bloc est une unité de paddocks pour lesquels le temps de repos entre 2 passages des chèvres est inférieur à 45 jours.
Selon l’état d’infestation des chèvres et le degré d’infestation des pâtures, la méthode permet d’appréhender un temps de pâturage sur le bloc sans risque. La fenêtre des 90 jours (2 à 3 cycles de pâturage successifs au printemps) est bien un maximum impliquant un démarrage avec des chèvres non infestées sur des blocs propres.
La reconquête de ce statut de « blocs propres » implique une rupture longue de 9 à 12 mois, un labour ou un emblavement (sauf épisodes climatiques sévères ayant un impact sur les larves par dessiccation : sècheresse supérieure à 60 jours, gel fort).
Pour un objectif de pâturage se voulant couvrir 100 % des fourrages de la ration, en couvert dense et homogène (250 kg d’herbe/cm), il faudra respectivement mobiliser un bloc de 5 ha au printemps, puis un autre bloc de 8,3 ha à l’automne.
Le labour ou l’emblavement entraînent un assainissement quasi-total de la parcelle [3]. Mais intercaler des cultures de céréales/protéagineux ou des cultures fourragères annuelles entre 2 prairies n’est pas sans impact sur la sole pâturable. La hausse à dimensionner est fonction du rythme de renouvellement des prairies : +33 % si 3 ans, +20 % si 5 ans.
Mener un pâturage caprin efficace techniquement a donc une empreinte foncière à ne pas négliger, notamment lors de sa conversion à l’agriculture biologique. Il est aussi préférable d’avancer progressivement par palier, en pâturant au démarrage modérément mais bien (efficacité alimentaire et économique) et ne pas se fixer des objectifs élevés avec une sole pâturable limitée au risque de fragiliser la santé de son troupeau ou son autonomie fourragère (constitution de stocks).
Article rédigé par Philippe Desmaison, chargé de mission élevages bio à Agrobio Deux-Sèvres / FRAB Nouvelle-Aquitaine.
Article initialement paru dans le Profil Bio n°4 – septembre 2018, le trimestriel des techniques de l’AB en Nouvelle-Aquitaine.
[1] H. CAILLAT, INRA, Dispositif expérimental PATUCHEV, 2018. Communication interne.
R. DELAGARDE & A. CHARPENTIER, INRA UMR PEGASE. Y. LEFRILEUX,
Institut de l’Elevage. 2017. Les derniers résultats de la recherche sur le pâturage des chèvres.
[2] Institut de l’Elevage, 2011. L’alimentation pratique des chèvres laitières.
[3] Y. LEFRILEUX, Institut de l’Elevage ; A. POMMARET, Ferme expérimentale caprine du PRADEL. PARASIT’SIM : Prévoir l’infection des chèvres par les strongles gastro-intestinaux.
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