Les araignées dans les vergers de pommiers régulent les ravageurs

Publié le : 8 septembre 2017

Les araignées sont abondantes, mais souvent peu connues en tant qu’auxiliaires secondaires. Il s’agit de prédateurs généralistes. Avec certaines espèces actives en hiver et une mobilité importante, elles peuvent devenir des alliées de choix dans les vergers, notamment sur les pucerons en vergers de pommiers. Retours sur les travaux de la thèse de Manon Lefebvre avec Claire Lavigne (INRA), Pierre Franck (INRA) et Jean-François Mandrin (Ctifl).

Il s’agit de savoir si les araignées exercent une régulation sur les populations de ravageurs dans les vergers et comment les favoriser. Les différentes études se sont notamment intéressées à savoir si les araignées pourraient être des auxiliaires complémentaires pour la régulation du puceron cendré mais aussi de savoir si elles consommaient le carpocapse et à quel stade. Enfin, ils ont essayé d’identifier les habitats du paysage qui influeraient sur l’abondance des araignées et de mieux caractériser les mouvements des ces auxiliaires entre les haies et les arbres du verger.

Les araignées dans les vergers

Différents chercheurs ont commencé un travail de recensement de la population d’arachnides présents dans les vergers bio. Il en ressort de nombreuses espèces et de guildes diversifiées.  En écologie, une guilde ou guilde écologique est un ensemble d’espèces appartenant à un même groupe taxonomique ou fonctionnel qui exploitent une ressource commune de la même manière en même temps, donc partageant la même niche écologique. En résumé, l’araignée « habite » à plusieurs niveaux de strate d’un milieu écologique :

Habitat des araignées, credit M. Miette, Bio82

Au niveau des araignées de la frondaison, c’est -à-dire vivant dans les arbres du vergers, 4 araignées chasseuses sont abondantes et fréquentes dans les vergers européens (Pekar et al. , Isaia et al.) :

 

Les araignées de frondaison principale en verger, credit INRA

Les 2 espèces Anyphaena accentuata et Philodromus spp ont la particularité de prédater l’hiver (Korenko et al, 2010) ce qui apporte un fort intérêt dans la régulation précoce des ravageurs. Les œufs des pucerons, déposés à l’automne, éclosent fin mars. La capacité des araignées à sortir tôt de leur hivernation les amène à être actives pour la consommation des « puceronnes fondatrices » en début de saison  évitant le développement exponentiel de la colonie de pucerons.

Pour en savoir plus sur les araignées prédatrices, consultez la page Ephytia sur le site de l’INRA

Évaluer le potentiel de régulation des pucerons par les araignées

Puceron cendré, Dysaphis-plantaginea. Crédit INRA

Après identification des différentes araignées par strate, ils ont ensuite contrôlé leur alimentation en prenant comme technique le marquage ADN des 2 ravageurs principaux du pommier : le puceron cendré (Dysaphis plantaginea) et le carpocapse des pommes (Cydia pomonela) et aussi par observation des prédations.

Les chercheurs ont utilisés 2 systèmes de contrôle de la prédation :

  • Test de prédation = Jeûne de 3j, 1 araignée + 1 proie, pour chaque proie : 50 à 100 araignées testées, observation toute les 10 minutes pendant 1h.
  • Analyse de contenus stomacaux par PCR (Polymerase Chain Reaction) d’araignées capturées en 2016 dans un verger non traité.

Carpocapse adulte. Crédit : Pierre Gros

Le test de prédation des pucerons cendrés montre que le temps moyen est de 5 minutes. Anyphaena accentuata et Cheiracanthium mildei prédatent 80% des pucerons cendrés, Philodromus spp 70% et enfin Icius spp seulement 25%. La PCR réalisée entre le 3 mai et le 15 juin donne ces observations : Cheiracanthium mildei est positif au marquage à 90%, Icius spp 80% environ et Philodromus spp 60% environ. Les araignées sont donc consommatrices de pucerons cendrés, et particulièrement Cheiracanthium mildei.

Les chercheurs ont aussi voulu évaluer la prédation intra-guilde : c’est à-dire à quel point ces araignées consomment aussi des auxiliaires utiles pour la régulation du verger. Les mêmes protocoles de tests de prédation de PCR ont été mis en place avec des œufs et larves de coccinelle et de syrphe. Il ressort que globalement ces auxiliaires sont moins prédatés que les pucerons cendrés. Le temps moyen pour prédater une larve de syrphe est de 20 minutes environ. Cheiracanthium mildei ressort comme l’araignée qui prédate le plus les autres auxiliaires (notamment les larves de syrphe). Il y a aussi Anyphaena accentuata mais à moindre échelle. La PCR montre que les prédation sont plus nombreuses à l’état larvaire que sous la forme d’œufs.

Bande piège sur tronc, credit INRA

Ainsi, à l’échelle de deux vergers non traités où une variation du nombre de pucerons a été observées et des araignées capturées en abondance dans des bandes piège charpentière, il a été observé que :

  • De mars à avril, une régulation importante est réalisée par Philodromus spp.
  • D’avril à mai il n’y a pas de régulation significative.

Les araignées de frondaison jouent donc un rôle significatif de régulation des pucerons au printemps, notamment Philodromus spp (et Anyphaena accentuata) actives en hiver pour la régulation précoce du puceron cendré.

Philodromus sp. Crédit Arnaud Henrard

Anyphaena accentuata. Crédit Patrick Derennes

Des araignées mobiles entre les haies et les vergers

Les araignées effectuent-elles des mouvements de routine entre le verger et les haies (et habitats adjacents), ou restent-elles dans le verger, à la période de présence des ravageurs ? Voilà une autre question que se posaient les chercheurs.

Un étude a été réalisée en pulvérisant (au mois de mai) des haies adjacentes à des parcelles de vergers  pour marquer les araignées (Tests ELISA pour révéler un marquage immunologique). Par la suite, 3 sessions de capture dans le verger et dans les haies ont été réalisés à 2, 6 et 13 jours après la pulvérisation.

Il en ressort  que 25% des 143 araignées capturées dans la haie étaient marquée et 13% des 264 capturées dan le verger l’étaient. Il y a donc bien des mouvements d’araignées entre les haies et les arbres du verger. Par ailleurs, les distances maximales de capture d’araignées marquées se situaient entre 30 et 50 m de la haie nord.

Il y a bien un déplacement significatif et régulier entre la haie et le verger pour toutes les araignées mais particulièrement pour 2 espèces : Cheiracanthium mildei et Philodromus spp. Une araignée, Theridion varians, se concentre sur un seul habitat en saison.

Cheiracanthium mildei, credit INRA

Favoriser les araignées

Les chercheurs ont souhaité s’intéresser ensuite aux habitats du paysage qui influencent l’abondance des araignées de la frondaison dans les vergers. Il se sont intéressés plus particulièrement à Cheiracanthium mildei.  50 vergers dans la basse Durance (Vaucluse) ont été suivis sur 3 années, avec des bandes piège sur les troncs. Différents habitats et échelles spatiales ont été analysées. 

Que retenir ?

  • Philodromus spp et dans une moindre mesure Anyphaena accentuata sont deux araignées actives en hiver et actrices de la régulation précoce du puceron cendré.
  • Les araignées de la frondaison sont complémentaires des autres auxiliaires pour la régulation du puceron cendré au printemps
  • Pour la prédation du carpocapse, il y a un potentiel de régulation, mais peu de chance de suffire par rapport au seuil de nuisibilité
  • Grande mobilité des araignées
  • L’abondance des araignées de la frondaison sont conditionnées par les pratiques locales et les habitats adjacents ou lointains
  • Les araignées non spécialistes des vergers sont aussi de bon compléments de régulation mais il faut un habitat plus large (habitats arborés)

Pour en savoir plus :