Elsa Cotton et Claude Daniel – Céréales et arboriculture – Ille-et-Vilaine

L’installation est un parcours de longue haleine. Après une première vie professionnelle, il aura fallu 8 ans à Elsa Cotton et Claude Daniel pour trouver une ferme et y mener à bien leur projet  de vie : un verger et des céréales destinées à faire du pain. Après deux ans de travail, ils reviennent  sur leur parcours.

Crédit : Matthieu Chanel

Un métier vide de sens. C’est ce que Claude et Elsa ont un jour ressenti. Tous les deux cadres dans l’industrie, ils ont éprouvé le ras-le-bol d’un métier en contradiction avec leurs valeurs, environnementales, humaines et sociales. « On avait un gros passé militant, et au bout d’un moment on s’est dit que si on voulait changer les choses, il fallait qu’on apporte notre pierre à l’édifice », souligne Elsa. Et la pierre angulaire de cet édifice, pour eux c’est l’agriculture. Formation, stages, projet d’installation, peu à peu le projet s’affine. Elsa opte pour l’arboriculture et Claude pour les grandes cultures. « Dès le début on avait un projet en pommes et poires à couteaux, et cultiver des céréales, pour ensuite faire de la farine et du pain », détaille Elsa.

« On ne trouve jamais la ferme idéale »

Le couple vit alors en région Rhône-Alpes et se lance dans la recherche d’une ferme. « On cherchait en Rhône-Alpes, mais aussi en Bretagne, où j’ai de la famille », précise Claude. Pour eux, qui ne sont pas issus du sérail agricole, il faut apprendre « à faire coïncider ce qu’on a envie de faire avec la réalité de ce qui est proposé ».

Après deux tentatives infructueuses en Rhône Alpes, Elsa et Claude finissent par trouver une ferme à Argentré-du-Plessis (35) : 5 ha de vergers, et 30 ha de terres dont 20 ha déjà en bio. « Il y avait la reprise du foncier, ça faisait un montant important. Et c’était sans la maison sur place et sans les bâtiments. On s’est assis sur la maison. On trouvait ça un peu grand, mais on ne trouve jamais la ferme idéale. Et puis, il faut mieux avoir un peu plus que pas assez niveau foncier », assure Elsa. Sans compter que le courant passe tout de suite avec les cédants.

Officiellement installés depuis le 1er juillet 2016, ils entament la conversion du verger et des terres encore en conventionnel. Côté commercialisation, ils comptent s’appuyer sur le réseau existant des clients de leurs cédants, qui commercialisaient la quasi-totalité de leur production en direct. « On a perdu 90% de la clientèle en passant en bio. C’est l’augmentation des prix qui les a gênés. Il a fallu refaire toute la clientèle », relate Elsa. Les deux producteurs prennent alors des tuyaux auprès des agriculteurs voisins afin de savoir comment ils vendent et où ? D’abord concentré sur Vitré et ses alentours, le couple décide d’augmenter sa zone de chalandise : Rennes, Laval, Fougères, Janzé. « On a eu des contacts avec Manger Bio 35, on s’est dit qu’il devait y avoir la même chose en Mayenne ». Puis ils sollicitent les Biocoop et autres magasins spécialisés. «La première année, on s’est retrouvé fin octobre en disant : même si on double les ventes, on jette un tiers de la production. On a écoulé via des grossistes, Bio Rennes et Biodis, à des prix qui ne nous convenaient pas, mais on n’avaient pas le choix ».

Plantation et surgreffe

Petit à petit, Elsa et Claude font leur trou, en commençant à vendre via le collectif de producteurs « Paniers de prés ». Ils rentrent également dans une Biocoop récemment ouverte à Rennes et s’y font leur place. « On est sur un créneau de qualité. En tant que petite structure, on doit se distinguer par la qualité gustative des fruits, l’originalité des variétés afin d’avoir une gamme complémentaire à celle des arboriculteurs déjà en place, car notre but n’est pas d’aller prendre la place de quelqu’un d’autre », remarque Claude.

C’est dans cette démarche que les deux producteurs décident de replanter des arbres : pommiers, poiriers, et aussi un peu de raisin de table pour tester. « On l’a fait cette année, car il faut commander les plants deux ans avant. On était sur un verger conçu pour une conduite conventionnelle, des arbres faibles mais qui rentrent très vite en production, et plantés denses avec des systèmes racinaires qui ne vont pas se concurrencer. En bio, avec un changement de climat, on se disait qu’il fallait plus d’espace. Si on espace, on peut mettre des arbres plus vigoureux, qui seront plus tolérants lors des périodes de sécheresse », explique Elsa.

Eux qui se voyaient déambuler dans des vergers hautes tiges avec uniquement des variétés anciennes ont revu leur copie à force de leurs expériences. « Les variétés anciennes, c’est gentil, mais on a des pommes une année sur deux, alors que les annuités, elles, tombent tous les ans. La faible alternance des variétés, c’était le critère premier pour le choix des variétés. Ensuite il y avait les rusticité vis à vis des agresseurs et les qualités gustatives ».

Elsa et Claude ont utilisé deux méthodes pour changer les variétés : ils ont replanté, ce qui leur a permis d’amener de l’air entre les arbres ; et ils ont surgreffé. « On coupe les variétés qui alternent beaucoup ou dont on ne veut pas, on laisse un tire-sève et on surgreffe les variétés qui nous intéressent. Ça permet une mise à fruit plus rapide que lors d’une plantation. On bénéficie d’un système racinaire déjà implanté, donc des arbres qui sont faciles à désherber, et ça vient plus rapidement à fruits », détaille Elsa. L’équation n’est pas simple mais elle revient donc d’un côté à choisir des variétés qui vont permettre de se démarquer de la concurrence pour rentrer en magasin et de l’autre côté conserver des variétés indiquées en bio et que tout le monde fait, mais qui vont assurer un rendement pour la vente directe, et donc une assise économique. Sur certains rangs néanmoins, les producteurs se sont fait plaisir, en implantant par exemple de la Chailleux ou de la Reine des Reinettes.

Complémentarité à géométrie variable

La réflexion a été un peu la même pour les grandes cultures. Si au début, c’était priorité aux variétés anciennes, c’est finalement un compromis qui a été trouvé. « La dynamique est assez différente. Quand on plante des arbres fruitiers, c’est pour plusieurs décennies. Les céréales, on peut y travailler tous les ans, faire des tests. Si on se rate une année, on peut se rattraper la suivante. On travaille avec des blés suisses de Peter Kunz sélectionnés pour le pain », avance Claude. L’idée de Claude est de travailler le moins possible le sol, travailler avec des hautes pailles et privilégier les qualités gustatives de ses céréales. « Ça n’a pas d’intérêt de faire de la farine et de la vendre en direct si elle n’a pas plus de goût qu’une farine de supermarché », argue-t-il.

Au champ, les deux activités ne sont pas forcément très complémentaires. Elles ne nécessitent pas le même matériel, ni la même main d’œuvre. « D’un point de vue agronomique, sur les outils, c’est comme si on avait dû investir 2 fermes. Mais ça, on s’en est rendu compte après », analyse Elsa. En revanche, elles sont assez complémentaires sur la vente. « On vend aujourd’hui beaucoup de farine, parce que les clients sont déjà là pour les pommes. Quelqu’un qui vend de la farine tout seul, ça ne fonctionne pas forcément. Alors que si les clients sont là pour acheter autre chose, ils vont en prendre. Le fait de vendre de la farine ne nous rajoute pas de temps sur la commercialisation. On augmente plutôt la valeur du panier moyen, sans y passer plus de temps, hormis le temps de conditionnement ».

L’arboriculture est extrêmement gourmande en main d’œuvre. Une donnée qu’ont également dû appréhender les deux paysans. « On ne voulait pas créer de l’emploi précaire. On s’est dit qu’on allait essayer de diminuer la précarité existante chez un certain nombre de personnes, qui par exemple montent leur activité, et on va venir compléter leur temps pour arriver à quelque chose d’un peu moins précaire », raconte Elsa. Sauf que ça vire au casse-tête, niveau contrat de travail et organisation, puisqu’il faut gérer en fonction de la disponibilité des uns des autres. « Si c’était à refaire, je le ferai pas »

Quand ils regardent dans le rétro, ils savent ce qu’ils auraient fait autrement. « On a cumulé les difficultés, ne pas être du métier, devoir déménager dans une autre région, changer les enfants d’école, etc. C’était une installation sachant qu’il fallait refaire tous les bâtiments d’exploitation. On a replanté du verger. Tous les gros travaux que les gens étalent sur une vie agricole, on les a tous fait dès le départ. On s’est mis dans le rouge au niveau du travail. » Les bâtiments vont sortir de terre cette année, et la certification bio du verger pour septembre 2019 va leur permettre de valoriser leurs produits à leur juste valeur.

Quant à la suite, ils ne se donnent pas de calendrier afin de mettre sereinement en place l’activité pain, et souffler un peu. Souffler pour profiter de leur ferme joliment dénommée « le champ des vents ».

Article rédigé par Antoine Besnard, Rédacteur en chef Symbiose, le magazine du réseau GAB-FRAB Bretagne