Les vignerons et vigneronnes bio face aux conditions climatiques

Publié le : 13 juin 2017

Cette année encore, plusieurs nuits de gel fin avril ont durement touchés les vignobles en France. La grêle a aussi frappé certains vignobles dans l’Yonne, la vallée du Rhône ou encore le Sud-Ouest. Les vignerons bio n’ont pas été épargnés. Quelques pistes de réflexion et initiatives pour ne pas se décourager.

Peu de vignobles épargnés cette année encore

Avec des températures allant de -3 à -6°C, jusqu’à -9°C par endroit, les deux épisodes de gel de fin avril ont fortement impacté le vignoble. Les vignes ont été touchées de manière très hétérogène, même au sein d’un même domaine. Mi-mai, France Agri Mer a publié un bilan provisoire de la situation : tous les vignobles sont touchés, de la Corse à la Nouvelle-Aquitaine jusqu’à la région Grand-Est.

Par exemple, en Champagne 79 % des parcelles ont subi des dégâts de gel, avec en moyenne 25 % des bourgeons détruits. L’impact varie de 10% des bourgeons gelés à la totalité. 22% du vignoble serait entièrement détruit. En Pays de la Loire, selon le rapport de FranceAgriMer, le vignoble du Muscadet a été touché à 70% ou encore dans le vignoble de Cahors, les dégâts sont considérables en vallée (80 à 100% des bourgeons grillés) et sur le plateau (40% des bourgeons grillés).

Selon une enquête de la CAB Pays de la Loire, auprès de 97 vignerons bio adhérents, plus de 1000 hectares étaient touchés par le gel sur un total de 1700 ha, soit 60% des terres des répondants, avec une intensité allant de 20% à 100% de dégât sur la parcelle (23% des terres touchées à plus de 70 %). Selon l’enquête, 75% les vignerons n’étaient pas assurés. Le réseau bio de Nouvelle-Aquitaine a aussi lancé des enquêtes auprès des adhérents afin de connaître l’ampleur des dégâts. Résultat : de nombreux producteurs, vignerons, arboriculteurs ou  maraîchers bio, touchés de façon variable.

Des mesures officielles de soutien de la profession

Dès le 24 avril, le ministère a publié un communiqué de presse qui liste les mesures d’aides qui vont être mises en place via les préfectures : chômage partiel pour les salariés, dégrèvement de la taxe foncière sur le foncier non bâti (via les mairies) et le report du paiement des cotisations sociales.

Les pertes pour le secteur arboricole seront indemnisées via le régime des calamités agricoles. Mais pour le secteur viticole, il est indiqué que les pertes de récolte 2017 ne bénéficieront pas du régime de calamité, ces pertes pouvant être assurables. « Les calamités agricoles sont toutefois mobilisables, le cas échéant, pour les pertes de fonds, si les dommages impactent la récolte 2017. » L’achat de vendanges par les producteurs sera a priori autorisé cette année encore. Nous attendons les informations officielles.

Nous avons subi un gel important, qui aura sur des conséquences sérieuses sur un certain nombre de nos domaines. Les contacts et les réunions sur le terrain nous imposent des réflexions :

  • le système assurantiel est pour le moins imparfait, seul 25 % des vignerons sont assurés. Quid des 75% restant ? Cette assurance est basée sur des financements publics (66%) et laisse sur le côté la majorité des vignerons. A mon sens il doit être réformé.
  • Nous devons être prudent concernant les solutions techniques, la course aux subventions pour du matériel qui peut ne pas être opérant, enrichit le fabriquant et donne bonne conscience, mais ne résout pas le problème.
  • Dans certaines zones, les vignes semblent parfois plus gelées que leurs voisines désherbées. Mais pas toujours. Et quel est le rôle des haies ? C’est sans doute une réflexion système qui doit être faite sur chaque situation
  • Certains vignerons vont être amenés à s’arrêter. Ce gâchis d’énergie humaine est une réalité. Voyons comment notre réseau FNAB peut continuer à être innovant et performant techniquement mais surtout humainement pour développer la solidarité entre les vignerons bio.

Jacques Carroget, vigneron bio dans le Muscadet, secrétaire national pour la viticulture bio à la FNAB

La solidarité au sein des groupements bio

Rapidement des réunions de soutien se sont mises en place au niveau des groupements bio du réseau FNAB. « Dans le Jura, nous avons fait une commission viti spécial gel », explique Anne Claire Bordreuil, conseillère viticole d’Interbio Franche Comté : « Pour nos vignerons bio, les mesures proposées, sont indispensables, mais, pour amplifier leur effet, il faut aller plus loin, par exemple sur le report de cotisations MSA, nous avons besoin que le report puisse se faire sur 3 ou 4 ans car les pertes commerciales vont s’échelonner sur plusieurs années. »

De même, certains groupements aimeraient demander aux ODG la possibilité de faire, certaines années, des réserves qualitatives lors des récoltes abondantes (comme en 2016 en Gironde par exemple), ce qui arrive généralement après une année de gel, ou de déplafonner exceptionnellement les rendements afin de constituer des stocks. Face à la multiplication des années à faible récolte, de nombreux vignerons s’interrogent sur leur capacité à honorer leurs clients dans un contexte de forte croissance de la demande en vin bio.

Les GAB et GRAB sont des lieux d’expression et de liens : ils favorisent la solidarité entre les vignerons pour que ceux qui n’ont pas été touchés par le gel puissent apporter de l’aide ou des volumes à ceux qui le sont. Certains groupements aident aussi les vignerons dans  leurs démarches vis-à-vis des salariés : chômage technique ou formation.

De nombreux échanges ont eu court sur les solutions techniques pour lutter contre le gel et leur efficacité : bougies du commerce, bougies faites maison, brulage de paille, éolienne, hélicoptère, aspersion de préparations de valériane avant le gel pour renforcer la plante. De nombreux vignerons bio ont tenté d’agir pour atténuer les effets des températures froides. Selon Jacques Carroget, « nous avons besoin de données météo locales fiables pour rendre nos actions plus pertinentes mais aussi des  réponses fiables sur le test du matériel antigel et éviter le surinvestissement dans nos domaines ». Eric  Maille, conseiller viticole à Agrobio Périgord : « il est extrêmement difficile de tirer des conclusions sur les solutions mises en œuvre tant les situations locales sont diverses. Nous n’avons pu corréler, chez nos adhérents, le degré de dégât et leurs actions de prévention.  Au sein d’un même domaine, voir d’une même parcelle, on trouve une hétérogénéité très forte.  »

Après le gel, maîtriser la repousse

Crédit : S. Reverchon

Nathalie Dallemagne, conseillère viti-oeno bio et biodynamique à la CAB des Pays de Loire explique : « Après une vague de gel, la vigne est dans un état de choc qu’il est difficile à estimer à l’œil. Il est absolument nécessaire d’attendre au moins 48h00 avant de pouvoir connaitre la réelle ampleur des dégâts. Ensuite, sur les vignes partiellement gelées, il est impossible de savoir à quel point les tissus verts ont été touchés, notamment les grappes mais également les feuilles. En effet, la survie des feuilles ne veut pas dire qu’elles vont être capables de reprendre leur fonctionnement physiologique et assurer un développement normal des grappes. Il faut attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour le savoir par observation de la plante. »

Cette année, avec les températures estivales de fin mai-début juin, la reprise de la vigne est fulgurante : « au 26 mai, nous avons observé les premières fleurs sur Melon de Bourgogne à Saint Julien de Concelles (Muscadet) et Cabernet Franc dans le Layon (Anjou), ce qui signe des vendanges précoces » remarque Nathalie Dallemagne. Les travaux dans les vignes et sa protection reprennent. En Dordogne et Gironde, des développements d’entre cœurs ainsi que l’apparition des grapillons  ont été observés depuis le 10 juin , « alors que d’habitude ce n’est pas avant fin juin, voir mi juillet ! » s’étonne Eric Maille d’Agrobio Périgord. Cela semble indiquer que même les vignes sans dégâts apparents, ont été impactées dans leurs physiologie par ces épisodes de gel.

Au-delà de la meilleurs prise en compte des évolutions climatiques et de la gestion du risque en agriculture, notamment biologique, il n’en reste pas moins que ces épisodes, désormais répétés, affectent profondément les producteurs et productrices. Nous tenons à leur faire part de toute notre solidarité.