Témoignage : Brice Tandille. « Je ne remets pas mon système en cause pour le plaisir »

Publié le : 25 janvier 2019

Brice Tandille fait partie de ces paysans qui n’aiment la routine. Dans sa ferme, en Ille-et-Vilaine, il teste des techniques et s’aventure loin du ronron quotidien. Pas juste pour le plaisir de l’expérience, mais pour améliorer son système, gagner en confort, en temps de travail et en rentabilité. Depuis l’hiver 2014 , il travaille avec un groupe sur le « maraîchage sur sol vivant », qui expérimente la culture des légumes sans aucun travail du sol.

Brice Tandille s’illumine quand il faut causer technique. « C’est mon truc, j’aime bien », dit-il. Regard bleu pénétrant, voix douce et posée, Brice est maraîcher en Ille-et-Vilaine. Ancien dessinateur médical, par curiosité scientifique, il avait déjà lu Steiner, Fukuoka et Rosch-Müller, avant de s’installer en 2009 à Mouazé, sur 1,7 ha.

DU BRF et de la paille pour retrouver un sol riche

Particulièrement intéressé par le travail du sol, Il a mis en place un système de planches permanentes. « Quitte à rouler avec le tracteur autant rouler toujours au même endroit ». Ça lui semble intelligent. Brice se construit un cultibutte, il dimensionne ses outils pour pouvoir travailler sur des planches permanentes.

Depuis l’hiver 2014 Brice a rejoint un le groupe d’échange « Maraîchage sur sol vivant ». Une nouvelle étape et de nouvelles réflexions pour lui. Son crédo : ne plus travailler le sol. « C’est un peu la méthode Fukuoka, c’est-à-dire que tu ne travailles pas le sol du tout. Il faut se débrouiller pour avoir la porosité d’un sol vivant et la garder. Chaque fois que tu interviens sur ton sol, tu brûles la matière organique. »

Pour arriver à ne plus travailler son sol tout en le gardant vivant et fertile, Brice est en train de mettre en place un procédé basé sur un apport important de carbone qui provoque une faim d’azote, puis un paillage. Il détaille  : « On met du BRF (bois déchiqueté), pour avoir une porosité biologique. C’est-à-dire qu’on met une grosse masse de carbone, une couche de BRF incorporée au sol sur 15 à 20 cm, parce que ça se digère lentement et ça produit un humus stable. C’est plein de lignigne et la lignigne, ça fait un humus stable. »

Ensuite, la terre digère le carbone, la totalité de l’azote présent dans le sol, puis des micro-organismes appelés fixateurs libres captent l’azote de l’air pour finir la métabolisation. « La grande idée c’est que l’azote n’est finalement pas un facteur limitant : on met du carbone, on récupère de l’azote et on va ainsi se retrouver avec un profil de sol vivant et poreux sur du long terme. »

5 ha de céréales pour pailler un hectare de légumes

Une fois ce procédé mis en place, la fertilité du sol est entretenue par des paillages, dont les celulloses et hémi-celluloses sont digérées plus vite que le BRF, selon Brice. « Tu mets le paillage par dessus le BRF, mais tu gardes ta structure profonde. En un an, tu t’es fait ton profil profond. En revanche, tu es obligé de planter dans cette terre-là, tu ne sèmes pas. Tu plantes à travers la paille par exemple avec des machines qui écartent la paille et mettent les plantes dans les trous creusés. » Brice, lui, en bon inventeur et n’ayant pas envie d’investir dans une machine, s’est fabriqué un plantoire à pied. Il a mis des genres de plots en fer sous des chaussures, comme des échasses. « Ca fait des trous et après je plante, soit des poireaux, soit des patates. On est en train de mettre au point des systèmes aussi pour semer. »

Le BRF est incorporé en une seule fois. Il fait sa structure biologique, disparaît en un ou deux ans et se transforme en humus stable qui va structurer durablement le sol et faire qu’il ne va pas aller au tassage. Pour l’instant, Brice a mis en place un système intermédiaire en paillant juste ses planches, sans avoir préalablement apporté le BRF. Mais il ne reste pas attaché à un dogme et adapte la technique à son système en place. Brice a en effet découvert la méthode en Normandie, où pour pailler un hectare de légumes, le paysan met 25 tonnes de paille, l’équivalent de 5 ha de céréales. « Il ne met pas du tout d’azote et il se retrouve avec des reliquats de 150 unités d’azote. L’azote est fixée par la décomposition du BRF et de la paille », explique Brice. Difficile cependant pour lui de se procurer une telle quantité de paille. « Il y a un centre équestre à côté de chez moi, je récupère leur fumier, qui est très pailleux. Donc, j’apporte effectivement de l’azote avec le crottin. Je pense avoir du mildiou dans les patates, mais je pense que mes choux et mes poireaux vont se régaler. L’erreur que j’ai faite en faisant ça, c’était de partir d’un sol mort, mettre du paillage dessus en me disant, je vais le transformer en sol vivant. En fait mon sol va sûrement se tasser quand même. Avec cette méthode, l’amélioration biologique se fait à l’interface entre la terre et la paille, et donc, le temps que cet horizon grandisse, tu tasses en dessous, tu blindes ton sol et tu ne fais pas des bonnes récoltes. »

La paille présente à la fois des avantages et des inconvénients. C’est un inconvénient car la paille étant isolante, elle va empêcher le sol de se réchauffer et retarder le démarrage des plants. « Mais elle va aussi garder la fraîcheur du sol en été, ce qui permet de faire des économies d’arrosage », se réjouit Brice.

Un risque maîtrisé

Pas adepte de la demi-mesure, Brice a engagé la quasi-totalité de son système dans cette démarche expérimentale. Un risque qu’il juge maîtrisé. « Effectivement, j’engage tout mon système en plein champ, mais je garde mes tunnels ». Brice a donc réfléchi à la mise en place de tout ce qui pouvait se planter. Pour ce qui doit se semer, ce sera dans les tunnels. « Ce n’est pas la révolution, je réagence progressivement mon système. Quand on fait une trentaine de légumes, même quand on fait des grands chambardements on garde certaines bases », estime Brice. « Je ne remets pas en cause mon système pour le plaisir de le remettre en cause. Mon but c’est avant tout de gagner en efficacité, de gagner du temps et donc de l’argent. »

Article rédigé par Antoine Besnard, Rédacteur en chef Symbiose, le magazine du réseau GAB-FRAB Bretagne