Témoignage : Aude Ouvrard. L’envie du sol

Publié le : 25 janvier 2019

En 2015, Aude Ouvrard s’est installée en maraîchage à Loperhet (29). D’emblée elle a souhaité travailler sur un système en planches permanentes avec l’Atelier paysan. Elle y voit un premier pas pour aller encore plus loin dans la pratique du maraîchage bio, avec l’idée, un jour, de ne plus du tout travailler son sol.

« Un parking ». Voilà ce qu’Aude a eu l’impression de découvrir quand elle a soulevé les bâches des serres de la ferme qu’elle venait de reprendre. Une terre grisâtre compactée sur 30 cm par 15 années de production de fraises hors sol, au bout du Finistère, à Loperhet. « Il n’y avait pas un vers de terre, pas une racine », se souvient Aude. « Il fallait convertir les terres. J’avais une interrogation sur la capacité des sols à se régénérer. Combien de temps ça allait prendre ? Ce cas de figure a déjà existé à Plougastel, où il y a beaucoup de serres en verre et de production horticole. Des maraîchers ont vécu ça, je me suis renseignée auprès d’eux ».

En alternant à plusieurs reprises un travail de décompaction avec de l’arrosage, Aude parvient à réactiver son sol. Finalement, l’activité du sol reprend rapidement. « J’ai fait ma première saison en 2015, j’ai commencé à planter en mars, j’ai eu des légumes qui n’étaient pas ridicules et j’ai fait une saison correcte », se remémore la maraîchère. Sur cette parcelle, les conditions sont idéales pour faire du maraîchage. La zone est presque hors gel, ce qui lui permet d’avoir des récoltes précoces ; et la vue sur la rade de Brest fait saliver.

Au cours de son BPREA et de ses stages, Aude commence à s’intéresser au travail de l’Atelier Paysan. A l’hiver 2014-2015, elle fait trois chantiers de 5 jours durant lesquels elle construit les trois outils de la coopérative d’autoconstruction : butteuse, cultibutte et vibroplanche. Un peu plus tard, elle refera deux chantiers pour mettre au point une barre porte-outils pour avoir un outil avec un système de binage, et un autre sur les étoiles de binage.

Les producteurs font évoluer les outils

Les outils de l’Atelier paysan étant des outils à dent, cela lui a permis de retravailler son sol, une fois décompacté. « Il y a avait ces grosses mottes de terre morte. Les outils à dents m’ont permis d’ameublir la terre sans travailler trop en profondeur. Je travaille à 30 cm de profondeur maximum ». Dans sa tête, a priori, pas besoin d’outil rotatif. « C’était l’hypothèse la plus optimiste. Quand on a que des outils à dents, soit il faut être absolument irréprochable sur son enherbement, n’avoir rien à détruire, soit on a quand même besoin de la béquille du rota pour mettre les choses à plat. Et j’ai eu besoin du rota », sourit Aude. Il lui a fallu une bonne année pour bien maîtriser les outils, trouver les bons réglages. Les outils se règlent en hauteur, en profondeur, en écartement de dents. « Ce qui est intéressant avec l’Atelier Paysan, c’est que la pratique des producteurs fait évoluer les outils. Il n’y a pas que le regard du technicien ».

Au-delà des seuls outils, pour elle, le système de planches permanentes est une première critique du maraîchage bio. « On est dans une période riche où on a la chance de pouvoir profiter de tout l’apport des maraîchers pionniers de la bio et de pouvoir commencer à expérimenter de nouvelles choses ». A terme, Aude aimerait ne plus travailler son sol. Elle s’interroge sur le travail du sol, « une pratique pas anodine », autant pour le sol en lui-même que pour la libération de carbone dans l’air.

Projet Buzuk

Aude s’intéresse également au maraîchage sur sol vivant, à des pratiques nouvelles. Avec l’appui de l’Atelier Paysan, un groupe de maraîchers finistériens se fédèrent et lancent un projet AEP (agriculture écologiquement performante), financé par la région Bretagne. « Notre projet, c’est d’adapter des outils aux techniques du maraîchage sur sol vivant. Des outils et techniques de semis direct sont assez répandus en grandes cultures, et ils commencent à y avoir des itinéraires techniques bien rodés. En maraîchage, on est sur des cultures qui ont des cycles plus courts, qui s’enchaînent plus souvent ; et Il existe peu d’outils sur ces pratiques. »

Le projet, baptisé Buzuk, est engagé sur trois ans. La première année, les maraîchers ont construit un rouleau faca, la seconde, ils ont travaillé sur prototype de strip-till, pour pouvoir planter ou semer des bandes dans un couvert végétal. Cette année, ils planchent sur un semoir à engrais verts.

Laisser du temps au sol

Le groupe de maraîchers fait le constat qu’il est possible de ne pas travailler son sol, mais qu’il y a encore des impasses techniques. « Surtout, ça prend du temps. Les gens qui arrivent à avoir des sols à peu près autonomes, ça a pris, 3, 4 voire 5 ans », raconte Aude. Elle est consciente que ce temps long, n’est pas forcément compatible avec des enjeux économiques à court terme. Elle se dit qu’elle peut y aller progressivement, petit à petit. Mais qu’il reste encore des freins importants à lever. « En Bretagne, une des impasses qu’on a, c’est sur le créneau de printemps. On va avoir un sol qui aura certes été couvert tout l’hiver, mais qui n’a pas été travaillé, aéré, plein de flotte, compacté et que c’est compliqué de venir planter là-dedans.» Des premiers tests sur des courges se sont révélés infructueux. Les légumes ne poussent pas, ils deviennent jaunes. Même constat sur des salades qui ne se développent pas. Mais Aude se veut optimiste et veut laisser du temps au sol. « Les tests ont été faits sur un sol qui avait l’habitude d’être travaillé. Donc en première année, c’est normal qu’on se retrouve avec cet effet de compaction. Peut-être que si on fait des essais sur cette même parcelle l’année prochaine, ce sera mieux. »

Tout reste à faire. Aude avoue que le plus dur dans cette pratique, c’est la maîtrise de l’enchaînement des cultures. « Tu couches ton paillage, tu mets la culture, ça a poussé, et après ? Tu fais quoi ? Tu bâches ? Tu ressèmes en engrais vert ? » Des modélisations commencent à voir le jour. « Le réseau maraîchage sur sol vivant essaye de capitaliser là-dessus. Il y aussi un gros travail à faire sur les engrais verts », avoue Aude.

Pour elle, les choses avanceront avec la force du collectif et l’envie de découvrir, de faire, d’explorer. Et la furieuse certitude que le sol est un territoire qui doit nous livrer encore bien des secrets.

Article rédigé par Antoine Besnard, Rédacteur en chef Symbiose, le magazine du réseau GAB-FRAB Bretagne