Stratégie et Tactique en cultures biologiques

Publié le : 30 novembre 2018

Le Civam bio 53 s’est intéressé à l’essence même de la réflexion des agriculteurs biologiques pour en savoir plus sur ces « paysans-chercheurs » pour qui la limite entre la stratégie et la tactique est parfois ténue mais pourtant bien factuelle : quels sont leurs modes opératoires, leurs visions, leurs champs d’adaptations et de décisions ? Qu’est-ce qui motive leurs actions ?

Les concepts de stratégie et de tactique, souvent confondus, sont néanmoins en permanence mobilisés par les agriculteurs pour gérer leurs cultures. Prendre conscience des différences entre les deux facilite la prévention et l’adaptation, si importantes pour gérer les cultures en l’absence de produits de synthèse.

Tentative de définition :

  • Tactique : actions ou modes opératoires ponctuels à but limité et à déroulement rapide.
  • Stratégie : action d’ensemble, planifiée sur du long-terme et mobilisant un certain nombre d’opérations tactiques différentes. La tactique fait donc partie de la stratégie tout en lui étant complémentaire.

Pour le domaine des grandes cultures, la stratégie correspond au système global de gestion quand la tactique concernera les adaptations rapides aux imprévus.

L’anticipation stratégique

La stratégie permet d’appréhender le système de culture dans sa globalité. C’est bien la synthèse de la succession des cultures et de leurs itinéraires techniques appliquée à l’ensemble d’un milieu prédéfini lui-même par des caractéristiques dont on aura pris la connaissance ou tenté d’en cerner les contours (domaines agronomiques, météorologiques, climatiques, activités biologiques, cryptogamiques, faunistiques, minérales, interactions et rétroactions avec la matière organique…).

Les leviers de gestion des adventices par exemple sont à actionner de manière cohérente à l’échelle de la rotation. « C’est cette cohérence reconnue entre opérations culturales qui fait système » (Papy 2008).

D’un point de vue stratégique, c’est néanmoins essentiellement la rotation qui doit être construite au préalable pour avoir un système de culture adapté aux contraintes « stables » de la ferme : sol, climat (sens large), objectifs et contraintes socio-économiques, filières, etc. Cette construction à long terme, difficile parce qu’elle engage des réflexions parfois déconnectées et contradictoires de la sphère « économique », est pourtant fondamentale. Il s’agit également de composer avec ses propres aspirations personnelles et la connaissance observable et intuitive du biotope concerné.

La vision du système de culture consiste à prévoir une rotation et une série de leviers et de techniques cohérentes avec des options permettant de se sortir des aléas les plus fréquents. Ce dernier point facilite en fait les choix tactiques à venir.

L’adaptation tactique

Il s’agit ici des choix à réaliser pendant la campagne culturale. C’est l’adaptation au climat de l’année, aux opportunités de filières ou aux problèmes agronomiques rencontrés de manière imprévue. C’est l’adaptation au salissement, la « faim d’azote », aux ravageurs, aux maladies… De la même manière que la rotation, l’itinéraire technique prévu correspond rarement au « réalisé ». On retrouve ici la créativité des agriculteurs à trouver des solutions dans des situations inédites et compliquées.

Cette adaptation est facilitée quand les options probables ont été envisagées. Tel le joueur d’échec qui aura réfléchi aux « coups » potentiels de son adversaire et sera en mesure lorsque son tour sera venu d’agir efficacement. Comme exemple d’adaptation tactique, on cite fréquemment les repousses gardées en engrais verts, voire des repousses moissonnées ! C’est bien ici d’opportunisme dont on parle. On peut aussi garder un peu de semences de sarrasin pour remplacer une culture au cours du printemps, ce dernier étant lui-même cassé ou moissonné en fonction de sa réussite. On peut aussi appliquer cette adaptation à d’éventuelles opportunités de débouchés imprévues.

Ces adaptations, aidées par une bonne anticipation, nécessitent une remise en question permanente, ce dont beaucoup de producteurs bio témoignent.

Le désherbage mécanique : cas d’école

Un bon exemple de cette différence serait le désherbage mécanique du maïs. On entend souvent des producteurs dire « je n’ai pas eu la fenêtre météo pour le passage aveugle post-semis pré-levée ». Un producteur expérimenté pourrait dire, la même année « j’ai semé de manière à avoir le beau temps pour faire ces deux passages ». En effet, un maïs semé le 5 mai avec des pluies derrière sera finalement moins propre que celui semé le 15 avec des fenêtres adéquates permettant un ou plusieurs passages efficaces de herses. Le premier producteur n’avait pas anticipé de manière stratégique et a donc réduit ses choix tactiques.

Un autre exemple est celui de producteurs bio expérimentés qui ont pour la première fois passé la herse-étrille dans leurs céréales en décembre 2016 profitant de conditions de ressuyage rares à cette période. Un choix tactique qui ne pouvait pas être prévu mais une opportunité à saisir : suivre de près ses parcelles et ne pas laisser passer cette idée par habitude.

En résumé, ce sont avant tout les bonnes questions qu’il convient de se poser :

  • Quelles stratégies ai-je mis en place pour gérer les adventices et autres maladies/ravageurs, la fertilité… pour atteindre mes objectifs ?
  • Quelle est mon adaptabilité aux facteurs incertains (climat/problèmes agronomiques) ?

En agriculture biologique et donc en cultures biologiques, la réflexion technique est essentielle. Il faut en effet penser une stratégie adaptée à son système et se passer d’un schéma générique classique. Cette réactivité tactique nécessite de prendre plus le temps pour observer ses cultures et décider de réajustements qui s’imposent à toutes personnes travaillant avec le vivant et le climat. L’idée est donc d’anticiper un maximum les alternatives pour les impasses fréquentes, mais aussi d’avoir un suivi des cultures et une ouverture d’esprit permettant de s’adapter aux imprévus qui arriveront forcément ! Une piste est de prendre le temps de faire ces « schémas décisionnels » pour vérifier si son système, majoritairement non écrit, est bien cohérent.

Article rédigé par Thomas Queuniet du Civam bio 53