Soigner ses animaux avec des plantes : des pratiques à légaliser

Publié le : 1 juin 2020

La phytothérapie consiste à soigner, ou à prévenir les maladies, grâce à des extraits de plantes et à leurs principes actifs. L’aromathérapie est une branche de la phytothérapie qui consiste à utiliser les plantes sous forme d’huiles essentielles. Le cahier des charges bio impose que les produits phytothérapiques, les produits homéopathiques et les oligo-éléments soient utilisés de préférence aux médicaments vétérinaires allopathiques de synthèse ou aux antibiotiques. Et c’est ce qui est fait sur le terrain, puisque 65 % des éleveurs et éleveuses de ruminants bio utilisent la phyto-aromathérapie (CASDAR Otoveil 2019).

Pourtant, celles et ceux qui souhaitent aujourd’hui soigner leurs animaux autrement qu’avec des produits allopathiques de synthèse sont confrontés.ées à un cadre réglementaire inadapté à l’utilisation de plantes et extraits de plantes. Souvent, revendiquer leurs effets thérapeutiques les mettrait dans l’illégalité. Les formations et échanges de savoirs sont également rendus compliqués. Malgré tout, la demande et l’intérêt sont croissants que ce soit en bio ou en conventionnel. Ce besoin répond en outre à des enjeux de santé publique, puisque ces substances à base de plantes viennent généralement remplacer l’utilisation d’antibiotiques, d’antiparasitaires, ou de biocides en élevage.

En 2019, plus de 1000 éleveurs et éleveuses ont alors signé un manifeste pour proclamer tout à la fois l’intérêt et l’illégalité de leurs pratiques et demander une évolution de la réglementation. Le « Manifeste des 1052 éleveurs et éleveuses hors-la-loi » a ainsi été publié dans Le Parisien le 16 octobre 2019. Sa diffusion dans la presse a permis de sensibiliser le public aux difficultés rencontrées par les éleveurs qui souhaitent utiliser des plantes pour soigner leur troupeau et se former sur ce sujet.

Plantes en élevage : le manifeste des 1052 éleveurs et éleveuses hors-la-loi

Nous, éleveurs-euses bovins, caprins, ovins, porcins, équins, de volailles, apiculteurs-trices ; Que nous soyons en agriculture biologique ou en conventionnel, en montagne ou en plaine, nous utilisons des plantes pour prévenir les maladies et pour les soins à nos animaux.

Nous privilégions l’usage des plantes, plutôt que des antibiotiques ou tout autre produit chimique de synthèse.

Et nous sommes dans l’illégalité !

En valorisant un savoir-faire traditionnel basé sur la nature, en protégeant ainsi nos animaux et nos concitoyens-nes de l’antibiorésistance, en préservant l’eau de contaminations par des médicaments chimiques de synthèse, nous sommes hors-la-loi.

L’usage généralisé des antibiotiques pose aujourd’hui un problème de santé publique. Chaque année, en France, plus de 150 000 patients développent une infection liée à une bactérie multirésistante, et plus de 12 500 personnes en meurent.

Face à cette urgence, il est incohérent que l’usage des plantes en élevage se voit imposer un tel carcan réglementaire.En effet, aujourd’hui, pour pouvoir utiliser des plantes en élevage, elles doivent disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), comme les médicaments, et être prescrites par un vétérinaire. Or, très peu de médicaments à base de plantes disposent de cette AMM, procédure lourde et inadaptée. Au mieux, nous avons le droit d’utiliser des préparations sur prescription d’un vétérinaire, lorsqu’aucun autre médicament n’est disponible !

Impossible donc, pour nous, éleveurs et éleveuses, d’utiliser des orties, du romarin, du pissenlit, de la lavande… pour les soins à nos troupeaux. La loi nous contraint à leur préférer des produits antibiotiques, anti-inflammatoires ou anti-parasitaires issus de la chimie de synthèse !

Parce que nous voulons continuer à nous former. Parce que nous voulons expérimenter, échanger et débattre librement sur ces pratiques avec nos collègues.

Parce que nous ne voulons plus être hors-la-loi ! L’Etat doit en urgence définir un cadre réglementaire spécifique pour pouvoir utiliser les plantes en élevage et mettre un terme à cette situation.

C’est une note de l’ANSES « sur le statut juridique du médicament vétérinaire au regard des produits à base de plantes » qui sert de référence depuis 2013 pour préciser la situation réglementaire des plantes dites médicinales utilisées en élevage. En l’absence d’allégation de santé, les extraits de plantes peuvent notamment être considérés comme des aliments complémentaires. Dans le cas contraire, l’administration considère que l’utilisation de plantes en élevage doit être réglementée dans le cadre du médicament vétérinaire, ce qui implique que les substances pharmacologiquement actives de la plante doivent être évaluées soit dans le cadre de la réglementation qui fixe les LMR (Limite Maximale de Résidus) soit dans le cadre d’une AMM. Or on ne compte que 8 médicaments vétérinaires à base de plantes actuellement autorisés.

Il est aussi possible pour le vétérinaire de prescrire une « préparation magistrale » à base de plantes. Mais cela doit être fait sous sa responsabilité et dans le cadre de la cascade, c’est-à-dire s’il n’existe pas de médicament allopathique de remplacement, et avec un délai d’attente doublé pour la bio. De plus, pour qu’une plante soit incluse dans une préparation magistrale à destination d’animaux d’élevage, elle doit obligatoirement disposer à minima d’un statut avec une LMR, ce qui n’est le cas que d’une dizaine d’huiles essentielles. Cela freine par ailleurs l’autonomie des éleveurs, qui restent dépendants d’une prescription vétérinaire, alors que très peu de vétérinaires sont actuellement formés à la phytothérapie.

L’utilisation, dans un cadre légal, des substances à base de plantes se heurte donc à de nombreux freins, et le très large spectre de plantes utilisables (une centaine couramment utilisée) ne facilite pas son encadrement. Autre frein, on manque encore de connaissances sur les interactions entre plantes (manque de connaissances analytiques). De plus, l’absence de résidu issu des substances à base de plantes dans les produits animaux est difficile à prouver, du fait de la consommation de plantes aromatiques par les animaux, des interactions possibles entre leurs composants, mais aussi de la complexité de leur composition. En effet, d’un point de vue méthodologique, l’approche classique de la question des résidus, qui pourrait permettre d’élaborer un dossier LMR, est difficilement applicable à des substances telles que les huiles essentielles qui sont des composés complexes de plusieurs dizaines de molécules différentes.

Beaucoup d’éleveurs et éleveuses se résignent alors à utiliser des extraits de plantes en tant que « complément alimentaire », bien que cela empêche toute allégation thérapeutique et que cela ne corresponde pas à leur usage. Il faudrait pouvoir reconnaître la spécificité des plantes et extraits de plantes pour réglementer leur utilisation de manière adaptée, à l’intermédiaire entre ces différents statuts.

Pour sortir de l’impasse, le collectif « Plantes en élevage » demande qu’une liste de plantes soit autorisée en tant que substances naturelles à usage biostimulant, en dehors du cadre du médicament vétérinaire, donc sans prescription, sans LMR, sans AMM. Il s’agirait de créer une nouvelle catégorie dans le code rural, celle des « préparations naturelles traditionnelles », qui seraient obtenues par des procédés devant être accessibles à tout utilisateur final et consistant en des moyens simples, définis dans la loi. Cette liste de plantes, déjà bien documentée par le collectif, à dire d’experts, se compose de plantes couramment utilisées à des fins thérapeutiques en élevage et dont les effets bénéfiques ont été prouvés sur le terrain. Ce sont soit des plantes à usage alimentaire chez l’homme, soit des plantes couramment consommées par les animaux en vert et après fauche, soit des plantes utilisées en phytothérapie humaine.

« Nous priver d’un trait de plume administratif du droit inaliénable à l’utilisation des plantes favorables à la santé est un abus de pouvoir illégitime, qui méconnait la spécificité du vivant, le rôle complémentaire de chaque être vivant dans l’écosystème qu’il partage avec les végétaux, les animaux et l’homme. » (Philippe Labre, extrait du site Our Living World)

Ressources et liens utiles

Extrait de la feuille de route de maitrise de l’antibiorésistance, du Comité interministériel pour la santé (17 novembre 2016) :

« Chaque année, en France, 12 500 décès sont liés à une infection à bactérie résistante aux antibiotiques. A l’échelle mondiale, les résistances microbiennes seraient actuellement responsables de 700 000 morts par an.

L’antibiorésistance est un problème universel qui réclame une action coordonnée entre les différents secteurs et acteurs concernés : système de soins, filières animales, environnement, recherche, milieu scolaire, santé au travail, etc. Maîtriser le problème de l’antibiorésistance ne peut passer que par une approche globale du phénomène, tant au niveau national qu’au niveau international. […]

En France, malgré le succès initial des plans antibiotiques mis en place depuis 2001 en santé humaine, le niveau de consommation des antibiotiques reste excessivement élevé par rapport à la moyenne européenne. En revanche, le plan Ecoantibio a permis de réduire d’environ 20 % l’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire entre 2011 et 2015, abaissant ainsi la consommation au niveau de la moyenne européenne ; il convient cependant de poursuivre cet effort dans la durée. »

Sources

Actes du forum, « Quel(s) cadre(s) pour la réglementation, la prescription, l’utilisation et la fabrication des produits à base de plantes dans la gestion de la santé animale ? », ITAB, 2011

État des lieux réglementaire sur les substances à base de plantes utilisées en élevage, ITAB, 2015

Plan EcoAntibio 2, Direction Générale de l’Alimentation, Mai 2017

Rapport Carlet : J. Carlet, P. Le Coz. Propositions du groupe de travail spécial pour la préservation des antibiotiques. Ministère des affaires sociales et de la santé, juin 2015

Informations sur l’antibiorésistance du Ministère des Solidarités et de la Santé

Informations sur l’antibiorésistance du Ministère de la Transition écologique et solidaire

Rapport sur l’antibiorésistance et l’environnement, MTES, février 2017

Dossier de presse, Santé Publique France, novembre 2019

Article de Science Pop