Phytothérapie : quel contexte réglementaire en Agriculture Biologique ?

Publié le : 6 mars 2019

De plus en plus d’éleveurs se tournent vers la pratique de la phytothérapie pour le soin de leurs animaux, de manière préventive ou curative. Cette méthode fait partie des médecines qu’il convient de privilégier en élevage bio en alternative aux produits allopathiques chimiques de synthèse. Il s’agit d’ailleurs d’alternatives crédibles au recours aux antibiotiques, qui séduisent ainsi de plus en plus d’éleveurs, au-delà de la bio. Malgré leur intérêt évident dans la lutte contre l’antibiorésistance, le cadre réglementaire n’est absolument pas adapté à leur utilisation en élevage. Cette complexité réglementaire fait peser des risques sur les utilisateurs, qu’ils soient vétérinaires ou éleveurs, et rend très difficile leur mise en œuvre en santé animale. Elle engendre également des difficultés importantes pour la formation des éleveurs.

Les éleveuses et éleveurs bio français sont les premiers utilisateurs de préparations à base de plantes pour la santé des animaux de rente. Comme le montrent différents projets de recherche, de plus en plus d’éleveurs se tournent vers la pratique de la phytothérapie pour le soin de leurs animaux, de manière préventive et/ou curative.

La phytothérapie consiste à soigner, ou à prévenir les maladies, grâce à des extraits de plantes et à leurs principes actifs. L’aromathérapie est une branche de la phytothérapie qui consiste à utiliser les plantes sous forme d’huiles essentielles.

L’utilisation de cette médecine répond pourtant à des enjeux multiples :

– A l’échelle de la ferme :

  • Réduction des frais de santé
  • Suivi de proximité du troupeau favorisant ainsi l’autonomie de l’éleveur et le bien-être animal
  • Diversité de forme d’utilisation de ces produits (pures, mélangés, concentrés) et une centaine de substances utilisées

– A une échelle plus large :

  • Réduction de la pression des antibiotiques, dans le cadre de la lutte contre l’antibiorésistance
  • Développement de systèmes en agroécologie, visant une amélioration des performances économique, environnementale et sociale

Un contexte réglementaire flou pour les producteurs

Si certains textes semblent aller dans le sens de l’utilisation thérapeutique de substances à base de plantes, comme le plan Ecoantibio 2 du Ministère de l’Agriculture, voire y obligent, comme le cahier des charges Bio (cf. tableau ci-après), d’autres ne facilitent au contraire pas leur usage, notamment sur les fermes.

Le plan Ecoantibio (2012-2015) visait effectivement une diminution du recours aux antibiotiques dans le but de lutter contre l’antibiorésistance. Le plan Ecoantibio 2 (2017-2021) prévoit d’accentuer cette tendance en favorisant : les formations des éleveurs et vétérinaires, la recherche d’alternatives aux antibiotiques (vaccins, mais aussi phytothérapie, aromathérapie…), la diffusion de références afin de mieux connaître les conditions d’utilisation techniques et réglementaires.

Le cahier des charges Bio préconise, quant à lui, une gestion préventive de la santé en élevage en favorisant l’utilisation des produits phytothérapiques, homéopathiques et des oligo-éléments.

Préconisations du cahier des charges bio concernant les soins aux animaux (834/2007 Art 14 et 889/2008 Art 23-24)

APPROCHE PRÉVENTIVE

APPROCHE CURATIVE

Médicaments vétérinaires allopathiques chimiques de synthèse (hors vaccins et antiparasitaires), notamment antibiotiques Interdits Possibles sous condition d’une utilisation encadrée par un vétérinaire, dans la limite de 3 par an

Ils doivent être prescrits par un vétérinaire et inscrits au carnet d’élevage

Vaccins

Antiparasitaires

Autorisés Autorisés
Produits phytothérapiques

Homéopathie

Oligo-éléments

Utilisés de préférence à condition qu’ils aient un effet thérapeutique réel sur l’animal et sur la maladie concernée Autorisés
Autres pratiques Choix de la race, alimentation et conditions d’élevage adaptées

Pourtant, les conditions d’utilisation des « médecines alternatives » et notamment de la phyto-aromathérapie sont assez strictes, dès lors qu’elles sont utilisées dans le but de soigner, et entrent alors dans le cadre du code de la santé publique.

Conditions d’utilisation des produits à base de plantes

Ces différentes modalités sont peu adaptées au terrain , en effet :

  • La très large majorité de ces substances ne bénéficie pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).
  • La sollicitation systématique d’un vétérinaire pour chaque prescription est un frein à l’autonomie sur la ferme.
  • Peu de vétérinaires sont formés en aromathérapie, de même pour l’homéopathie, ou encore l’ostéopathie et l’acupuncture. Un manque de compétences et d’accompagnement individuel est ainsi parfois constaté sur le terrain.

Quelques chiffres

  • Enquête épidémiologique TRAIT’Bio (ITAB, ANSES), qui visait à étudier les méthodes de santé animale auprès de 85 élevages de poulets de chair bio : Les résultats montrent que les produits à base de plantes représentent 79 % des usages préventifs et 21 % curatifs (dont 48% en aromathérapie).
  • Enquête CEDABIO (ITAB, IDELE) : Sur 96 exploitations, dont la moitié en Bio, 57 % des éleveurs de bovins lait utilisent des médecines dites « alternatives » pour la santé de leurs vaches.

Viser l’autonomie grâce aux formations

L’utilisation de cette médecine requiert de l’apprentissage et de l’expérimentation sur la ferme, ainsi que d’échanger en groupe pour prendre conscience des précautions d’utilisation et gagner ainsi en autonomie. Une participation à des formations spécifiques sur la gestion globale de la santé en élevage et l’utilisation de ces produits parait nécessaire.

Là encore, la réglementation est peu adaptée au terrain. Récemment, l’organisme financeur de formations VIVEA a rendu obligatoire l’intervention de vétérinaires lors des formations en phytothérapie en élevage pour les rendre éligibles au financement, alors que rien ne l’oblige dans la réglementation.

Étant donnés l’impact financier de cette intervention supplémentaire, la difficulté à trouver des vétérinaires formés à la phytothérapie pour intervenir… l’obligation de présence d’un vétérinaire sur la totalité de la formation risque de ralentir la dynamique de participation des éleveurs à ces formations dans certains départements. Pourtant, actuellement, des intervenants non vétérinaires, enrichis de leur expérience de terrain et formant parfois eux-mêmes les vétérinaires, sont compétents sur le sujet.

Témoignage d’une participante aux formations

Comment t’es-tu tournée vers la phyto-aromathérapie ?

« Au début, ça venait d’une volonté de ne plus utiliser d’antibiotiques sur l’élevage. Il fallait trouver une autre manière de soigner les bêtes. Je connaissais l’aroma en humain et ça me plaisait bien. J’ai commencé les formations en 2011, un cycle d’initiation puis de perfectionnement. Je continue de me former régulièrement en perfectionnement et au sein du groupe d’échanges en santé animale. »

Qu’est-ce que les formations t’ont apporté dans ta manière de gérer la santé de l’élevage ?

« J’ai commencé à les utiliser toute seule suite à des lectures de protocoles réalisés dans une autre association, ou des livres de références. Mais rapidement on se rend compte que les formations sont indispensables. Certaines huiles peuvent effectivement être dangereuses, il ne faut pas faire n’importe quoi !

J’ai eu quelques échecs, mais je suis convaincue de l’intérêt de ces pratiques. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun antibiotique sur la ferme, même si nous n’en utilisions que peu avant ça. On fait exceptionnellement appel au vétérinaire pour des situations d’urgence. Sinon, on arrive à gérer quasiment toutes les maladies. J’ai réussi à cerner les quelques huiles indispensables qui convenaient à notre élevage. »

Quels sont tes besoins actuellement pour continuer à utiliser ces pratiques ?

« Je veux pouvoir continuer à me former régulièrement ! En effet, les protocoles évoluent, on peut vite oublier les pratiques, et collectivement, on prend plus de recul sur nos pratiques.

Il manque aussi d’une réglementation adaptée concernant les conditions d’utilisation de ces produits. Les vétérinaires autour de nous, qui sont censés nous faire les prescriptions, ne maîtrisent pas ces pratiques et les solutions qu’ils nous proposent ne sont pas adaptées. Cependant, il serait intéressant d’avoir un relai vétérinaire localement qui réponde à nos attentes. En tant qu’éleveurs Bio, on essaie de viser l’autonomie, à condition d’être bien formés. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas besoin d’un accompagnement ponctuel. Lorsqu’on gère le pâturage, on ne sollicite pas un conseiller à chaque fois. En santé animale c’est la même chose.

Il serait également intéressant de faire partie d’un projet de recherche afin de suivre des protocoles et de mesurer l’effet réel de ces techniques. »

Quelles sont les perspectives d’utilisation de la phytothérapie en santé animale ?

Entretien avec Catherine Experton, Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB)

Le contexte réglementaire actuel est-il en train de se durcir ?

« La réglementation ne se durcit pas mais son application est utilisée de façon excessive. Il y a une montée au créneau récente sur le sujet. Il y a quelques temps, seuls quelques éleveurs utilisaient ces pratiques. Aujourd’hui, tout le monde s’y met. Il ne faut pas défendre l’automédication, mais les éleveurs, qui sont au quotidien auprès de leurs animaux, savent diagnostiquer des pathologies courantes. Ils sont conscients des risques potentiels en utilisant des produits concentrés comme les huiles essentielles, mais savent calibrer leur usage sans négligence. Les freins à l’utilisation de la phyto-aromathérapie par la réglementation n’empêcheront pas leur utilisation sur les fermes. En revanche, la manque d’accessibilité aux formations peut engendrer des dérives d’usage. »

Quels sont les pistes en termes de réglementation ?

« Plusieurs pistes peuvent être étudiées :

  • Définir un statut réglementaire, adapté pour les substances à base de plantes comme le recommande l’ANSES : hors médicament et hors complément alimentaire (en s’inspirant de réglementations d’autres pays européens);
  • Réfléchir au cadre de recours à l’automédication, qui pourrait se faire sous certaines conditions comme d’avoir suivi des formations, uniquement en première intention, et dans le cadre du bilan sanitaire…
  • Faciliter la réalisation de préparations magistrales par les vétérinaires. Eux-mêmes sont censés vérifier que chaque plante ne montre aucun effet néfaste pour la santé animale avant de la prescrire. Or ce n’est quasiment jamais vérifié. »

Quelles sont les pistes pour l’utilisation sur le terrain ?

« Nous avons proposé une liste de plantes à dire d’experts couramment utilisées à des fins thérapeutiques en élevage et dont les effets bénéfiques ont été prouvés sur le terrain.

Il est nécessaire de continuer les recherches sur ce sujet pour mesurer les effets de l’utilisation de la phyto-aromathérapie en santé animale. Des projets sont en cours avec des associations d’agriculteurs et des vétérinaires. »

Rédaction : Rébecca Etienne (Civam Bio 53)

Sources

  • Actes du forum santé animale, « Quel(s) cadre(s) pour la réglementation, la prescription, l’utilisation et la fabrication des produits à base de plantes dans la gestion de la santé animale ? », ITAB, 2011
  • « Utiliser les huiles essentielles en élevage bovin, pourquoi comment », Adage 35, novembre 2017
  • État des lieux réglementaire sur les substances à base de plantes utilisées en élevage, ITAB, 2015
  • Article 1er – II de la LAAAF (Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt), 2014
  • Plan EcoAntibio 2, Direction Générale de l’Alimentation, Mai 2017
  • RCE N°889/2008
  • Article L5111-1 (code de la santé publique), Règlement UE 37/2010
  • Interview d’Isabelle Rouault, référente nationale de la pharmacie vétérinaire pour la direction générale de l’alimentation (DGAL), Web-agri, juillet 2018
  • Rapport de l’ANSES, État des lieux des alternatives aux antibiotiques en vue de diminuer leur usage en élevage, Février 2018