S’adapter aux changements climatiques

Publié le : 24 septembre 2020

Dérèglements climatiques : sécheresses récurrentes, de plus en plus longues, de plus en plus intenses… associées dans certains secteurs à des périodes d’excédents pluviométriques… C’est parfois la survie de l’élevage laitier bio qui est en question. Avant d’en arriver là, voici quelques retours d’expérience quant aux stratégies d’adaptation possibles à l’échelle de l’élevage en cas de sécheresse à court ou moyen termes. Parmi les options possibles : adaptation du chargement, ensilage de céréales initialement prévues pour la moisson, implantation de cultures fourragères qui ont un potentiel de production en condition séchante, création de partenariat avec des céréaliers bio et achat de fourrages notamment de fourrages sur pied…

L’élevage bio repose sur deux grands principes : le respect du bien-être animal et le lien au sol. Ce dernier consiste à garantir la production, elle-même biologique, d’aliments naturels, sains et variés, pour les animaux qui sont alors source de fumure organique destinée aux cultures, permettant le maintien de la fertilité des sols. De par ce fonctionnement, l’efficacité économique des élevages bovins biologiques repose en grande partie sur leur possibilité d’autonomie alimentaire et sur la place accordée à l’herbe dans la ration. De récents travaux, notamment dans le cadre du projet CASDAR Résilait (étude de la résilience des systèmes laitiers biologiques), semblent d’ailleurs montrer que les systèmes herbagers autonomes et économes sont les plus résilients.

Malgré tout, ces systèmes subissent fortement, eux aussi, les conséquences des changements climatiques. L’augmentation des températures et les sécheresses à répétition impactent la conduite du pâturage, parfois rendu impossible, et les stocks fourragers, entamés de plus en plus tôt dans la saison. Si les marges de manœuvre pour s’adapter à ces difficultés récurrentes sont parfois très limitées, plusieurs options peuvent être envisagées à court ou moyen termes :

  • Adapter le chargement
  • Ensiler des céréales initialement prévues pour la moisson
  • Implanter des cultures fourragères qui ont un potentiel de production en condition séchante
  • Se positionner pour l’achat de fourrages, notamment des ventes de fourrages sur pied.

Ces choix stratégiques sont issus de retours d’expérience de terrain. En amont, un bilan fourrager est nécessaire pour faire le point sur les stocks fourragers et connaitre exactement les besoins par rapport au nombre d’animaux à alimenter. Face à la récurrence des sécheresses et l’augmentation de leur intensité, les élevages laitiers bio doivent tout miser sur leur capacité d’adaptation et de leur autonomie.

Adapter le chargement

Lorsque les ressources sur les exploitations sont limitées, il est primordial d’être très strict sur le chargement que vous avez sur votre exploitation. En routine, des chargements moyens de 1,2 UGB/Ha de SFP sont cohérents (jusqu’à 1,3 pour les secteurs à bon potentiel, et 0,8 pour les secteurs à plus faible potentiel).

En cas de sécheresse, ce chargement devra être revu à la baisse, pour passer la période délicate. Dans un premier temps, il faut viser un nombre optimum de génisses à élever : une bonne référence est de 4 génisses par 100 000 litres.

Certaines vaches peuvent être taries de façon plus précoce. Une vache en production consommera 17 Kg de MS de fourrage par jour alors qu’une vache tarie pourra valoriser des fourrages de moindre qualité et sur des niveaux d’ingestion d’environ 12 Kg de MS.

Si les stocks et la production fourragère viennent à manquer, vendre des animaux peut être une solution pour tamponner et passer la période délicate. La vente des vaches doit être envisagée même si de nombreuses exploitations en vendent en contexte de sécheresse, ce qui peut avoir tendance à faire baisser les prix. C’est en tous cas l’occasion d’anticiper au maximum les ventes d’animaux.

Ensiler des céréales initialement prévues pour la moisson

Ensiler des céréales immatures peut permettre de combler un déficit de fourrages. Si on ne récolte pas suffisamment de stocks d’herbe au mois de mai et juin, ou si la repousse suite aux fauches et au pâturage n’est pas au rendez-vous, on pourra récolter des céréales immatures pour combler ce déficit. Ce sera beaucoup moins coûteux que d’acheter des fourrages surtout dans un contexte de sécheresse où les fourrages bio ne seront pas forcément disponibles ou à des prix très élevés, et où la qualité de la récolte en grain risque d’être fortement pénalisée.

Suivant la composition du mélange céréalier ou le type de céréales ensilées, les valeurs du produit seront très variables. Les ensilages obtenus ne permettront pas les mêmes performances laitières que des ensilages d’herbe, mais ils permettront d’avoir du stock à distribuer aux animaux. L’important est de trier les différents fourrages récoltés pour pouvoir adapter sa stratégie de distribution par rapport à la période de production, aux objectifs de livraisons par mois…

Attention, suivant la composition ou le type de mélange ensilé, le produit obtenu peut être acidogène (notamment les mélanges à base de triticale) et ne pourra pas convenir dans certaines rations. Il faudra donc être vigilant à son utilisation. De plus, la fenêtre de récolte pour optimiser la qualité est parfois étroite. Il faudra ainsi veiller à anticiper la date de récolte pour que celle-ci ait lieu au bon stade de développement du mélange. L’idée est de trouver un bon compromis entre rendement, taux de matière sèche et digestibilité du produit.

Ensiler une céréale en pure doit se faire au stade laiteux pâteux. S’il s’agit d’un mélange, le repère sera le début de floraison du pois ou le début de formation des gousses de la féverole. L’objectif est de récolter un produit à 30-35% de MS.

Éviter, si vous avez le choix, les céréales à barbes qui sont peu appétentes pour les animaux. Préférer un ensilage en coupe directe ou avec un préfanage rapide plutôt qu’en enrubannage (coût et qualité du produit). Lors de l’ensilage, afin d’obtenir un bon tassement, la longueur des brins doit être de l’ordre de 2 à 4 cm maximum.

Le conditionnement d’un autre fourrage sur le silo de céréales aide aussi à assurer un meilleur tassement, donc une meilleure conservation. Au niveau du rendement, pour un ensilage de céréales plante entière, on peut espérer atteindre environ 150 % du rendement en grain.

Attention pour les exploitations en conversion non simultanée, ces céréales immatures ensilées ne rentrent pas dans les 20% de fourrage pérenne (foin, enrubannage et ensilage d’herbe uniquement). Il faut attendre la date anniversaire de la conversion pour récolter ce produit en C2. Si vous avez des récoltes de fourrages non pérennes à réaliser, faites-le après la date anniversaire de la conversion. Le passage C1 – C2 se fait bien à la date anniversaire, donc il est possible de semer le maïs en C1, il sera en C2 lors la récolte.

Implanter des cultures fourragères qui ont un potentiel de production en condition séchante

Plusieurs fourrages sont en mesure de produire du tonnage en condition sèche. Mais quel que soit le fourrage choisi, la germination et la levée ne peuvent se faire qu’avec un minimum d’humidité dans les sols. Souvent, c’est ce point qui est limitant pour la réussite de ces cultures.

On peut envisager d’implanter ces cultures après la récolte d’un mélange céréalier ensilé ou une autre récolte, mais il n’est pas intéressant de casser des prairies pour implanter ce type de cultures.

Dans le cas où la culture peut être faite en mélange, il faudra ajouter du trèfle d’Alexandrie ou une légumineuse annuelle. Si la décision est prise de mettre en place une culture de ce type, ce fourrage devra être implanté très rapidement après la destruction de la culture précédente afin de semer dans le frais.

Source : données PEREL et Agrobio35 – Données prix à l’hectare de la semence – © Agrobio35

Se positionner pour l’achat de fourrages

Si vous sentez que les stocks vont venir à manquer ou que le pâturage risque d’être limitant, n’attendez pas le dernier moment pour vous positionner sur du fourrage « prêt à manger », mais également sur de l’herbe sur pied à récolter par vous-même.

Faire pâturer quand c’est encore possible

Si de l’herbe à pâturer est encore disponible, cela reste le fourrage le moins onéreux, même en période de sécheresse : veillez à conserver plus de surfaces de pâturage pour les animaux si vous avez l’habitude de faucher une partie de vos surfaces accessibles.

Le temps de repousse risque d’être rallongé entre deux passages de pâturage : pour y remédier, il faudra ralentir le cycle de pâturage, en offrant une surface totale de pâturage plus importante, par exemple en débrayant moins de parcelles de votre accessible. Si vous fauchez trop de paddocks, vous risquez de ne plus avoir d’herbe à faire pâturer et de devoir distribuer du stock. Économiquement il est préférable de faire consommer au pâturage une herbe plus avancée (puisqu’il s’agira de la même herbe consommée mais à un coût à la tonne différent).

« Avoir une approche système », le témoignage de Germain Gougeon

Quelques mots sur l’exploitation :

– Localisation : La Bazouge-de-Chémeré (53)
– Productions : Bovins viande, porcs, grandes cultures
– Nombre d’UGB : 86
– SAU : 101 ha – SFP : 77 ha
– Cultures : Prairies naturelles et temporaires, betteraves, maïs, blé, orge, mélange céréalier.

Quel est votre objectif en termes d’autonomie alimentaire pour votre ferme ?

L’objectif est d’être le plus autonome possible sur l’exploitation, en valorisant au maximum l’herbe pâturée. Déjà, on travaille sur des animaux qui valorisent mieux l’herbe, mais aussi qui supportent et valorisent mieux des écarts importants d’alimentation.

Le fait de semer des prairies sous des cultures permet une meilleure implantation et une certaine garantie d’avoir de l’herbe quand il en faut. Toujours pour atteindre l’autonomie, on ensile nos méteils pour alimenter nos animaux : c’est une valeur sûre. Et si possible, on peut les battre. On est sûr que ça peut pousser avec un manque d’eau en début d’été.

Quelles sont les stratégies mises en place sur votre ferme pour gagner en résilience et notamment mieux s’en sortir face aux changements climatiques ?

Les stratégies à avoir vis-à-vis des aléas climatiques, j’essaye de beaucoup y réfléchir et d’en avoir plusieurs. C’est important à mes yeux.

Tout d’abord on a essayé le semis de blé au mois d’août, dans l’idée de moins travailler le sol et que le sol ne soit pas nu. L’idée était notamment de déplafonner les rendements car le blé talle plus tôt.

On a également fait du semis direct de céréales dans de la luzerne dans le but d’en faire de l’ensilage. On a retenté également en seigle avec pour objectif de battre. L’idée ici est de ne pas travailler le sol pour implanter, on a un sol tout le temps couvert, et on produit à la fois fourrage et céréale sur la même année (battre la céréale puis faucher la luzerne). Au-delà de l’adaptation au climat, il y a là un enjeu d’autonomie alimentaire. La réduction du travail du sol et la couverture quasi permanente du sol sont des objectifs très importants sur la ferme. C’est favorable si on arrive à augmenter le carbone dans le sol. On stocke notamment plus d’eau. Au final, on peut réussir à augmenter la capacité à produire avec des intrants identiques. La réduction du travail du sol, c’est réduire l’intrant travail par le fuel etc… Au début, le seul frein, c’est qu’en stockant le carbone et l’azote, il y a moins de minéralisation. Mais c’est valable sur un plus long terme.

On essaie aussi d’apporter des oligoéléments dans le sol pour booster la photosynthèse des plantes : les plantes vont produire plus, il y aura plus de matière organique restituée au sol et on entrera dans un cercle vertueux : l’idée est de maximiser la photosynthèse. Les arbres de la ferme font partie de ce cercle vertueux. Vis-à-vis de cette pratique, j’aimerais avoir des objectifs identiques avec le pâturage des animaux : restituer du carbone pendant le pâturage et protéger les prairies des montées de température et du dessèchement.

En termes d’adaptation, on a également implanté 3,7 km de haies et on envisage d’en implanter encore 1,5. L’idée de cette pratique est d’augmenter la production de biomasse, de capter du carbone mais aussi d’améliorer la résistance lors de périodes de sécheresse (ombre pour les animaux, humidité, biodiversité). On a implanté une partie en haies diversifiées sur les tours des champs (30 espèces) et des séparations de parcelles avec des acacias pour la rapidité de pousse, l’adaptation au sol séchant et pour le fait que ça capte l’azote et que ça a un pouvoir mellifère.

La rotation est aussi une clef d’adaptation au changement climatique. On essaye d’avoir des plantes plus résistantes à la sécheresse estivale telles que la betterave ou encore l’orge de printemps.

Pour la suite, l’idée va être de continuer de travailler sur la réduction du travail du sol, sur des cultures pâturables l’été, sur les arbres et arbustes fourragers, mais aussi sur l’implantation de mélanges céréaliers plus résistants.

Qu’est-ce qui a le mieux marché ?

Le semis direct de céréales (orge, seigle) dans de la luzerne a bien fonctionné car la récolte a été précoce avec de bons volumes.

La technique du pâturage est importante. Je stoppe le pâturage lorsque l’herbe arrête de pousser pour faciliter la repousse et aussi protéger le sol et ne pas fatiguer les plantes. Cette technique marche bien.

Quels ont été les échecs ?

Le semis de blé en août n’a pas été une grande réussite. L’hiver a mis du temps à venir, et il y a eu de la maladie à l’automne… il faudrait adapter la densité de semis (un semis pas trop dense à l’air de bien fonctionner).

Suite à vos expériences, quel message souhaitez-vous transmettre en guise de conclusion ?

L’approche que l’on a sur la ferme est une approche système : on peut la résumer en un objectif principal qui est de « produire des produits bio en quantité et en qualité en étant le plus autonome possible pour dégager un revenu et en préservant au mieux l’environnement ».

Article issu d’informations recueillies par le réseau GAB-FRAB (Bretagne), ainsi que des publications de la CAB (Pays-de-la-Loire) « Adaptations des éleveurs·ses face au changement climatique » et « Fiche technique – Gestion fourrage ».