Autonomie en élevage bovin bio : quels leviers ?

Publié le : 27 juin 2018

La journée technique « Parlons d’autonomie ! », issue des projets de recherche – développement  Mélibio (porté par le Pôle AB Massif Central) et Optialibio (porté par l’Institut de l’élevage), le 24 mai 2018, au lycée agricole de Tulle – Naves (Corrèze), était consacrée à l’autonomie en élevage de bovins biologiques. Elle s’est terminée par une visite de parcelles de prairies à flore variée et d’orties (culture fourragère d’appoint) du lycée. A cette occasion, trois éleveurs de bovins allaitants ont témoigné sur leurs pratiques et sur le niveau d’autonomie de leur exploitation.

« On achète 4-5 camions de paille par an et c’est tout ce qui rentre sur la ferme »

« On achète 4-5 camions de paille par an et c’est tout ce qui rentre sur la ferme » déclare Joël Sardenne, éleveur de bovins allaitants dans le nord de la Corrèze, en bio depuis 2000 et en recherche d’autonomie. Joël Sardenne est aussi président de la coopérative SCA Pré vert qui commercialise des bovins, ovins et porcins bio, avec une large part en restauration collective et dans le réseau Biocoop.

Pour alimenter la filière, il essaye de faire vêler au printemps pour fournir du veau rosé de 6-7 mois en hiver (janvier-février-mars). Les vaches ne sont pas gardées au-delà de 8 ans, pour conserver une bonne qualité bouchère. L’exploitant produit 10 ha de maïs qu’il ensile selon les besoins de l’année. C’est donc une variable d’ajustement qui lui permet de passer une sécheresse estivale (2012 par exemple). Pour le reste, les surfaces se partagent entre prairies, cultures dont mélanges céréaliers et un à deux hectares de soja (semé tardivement sur sol réchauffé). Le soja est semé avec le semoir à maïs, à faible densité afin de pouvoir maîtriser les mauvaises herbes avec la bineuse à maïs. Les rendements sont en moyenne de 30 q/ha, avec parfois des irrégularités selon les années. Le soja représente 5 à 10 % du concentré consommé sur la ferme.

L’alimentation hivernale est à base d’enrubannage, issu de la luzerne et des prairies à flore variée, avec en plus un peu d’ensilage de maïs car les mères allaitent leur veau en hiver. Le concentré est réservé aux veaux rosés qui consomment par ailleurs surtout du regain. Les premiers veaux de l’année 2018 ont été vendus à 206 kg de carcasse pour un âge de 7 à 7,5 mois.

Au mois de mars, la prairie est semée en diagonale sous couvert de céréales. La moisson se fait en juillet et la première coupe en automne, si possible suivie d’un pâturage avant l’hiver. Le mélange produit entre 35 et 45 q/ha, avec des différences de composition selon les années.

Depuis le passage en bio, la ferme est plus autonome. Les animaux sont beaucoup moins traités (antiparasitaires…) et sont moins malades (beaucoup moins de matrice avec le changement d’alimentation en particulier).

Jacques Faucon, enseignant pour 80 % de son temps, élève des vaches limousines sur 54 ha, dont 15 ha labourables, dans le sud de la Corrèze. 50 hectares sont consacrés à la production fourragère et 4 à celle du méteil et maïs grain. Tous les animaux sont engraissés. Le chargement est de 0,9 UGB/ha. Seules les vaches sont hivernées trois mois en bâtiment où elles ne reçoivent que du foin en libre service (20 en stabulation libre paillée et 16 en étable entravée), les génisses étant dehors tout l’hiver. 4 à 5 ha sont utilisés pour l’hivernage de celles-ci, parcelles ensuite récoltées en foin un peu tardif. Jacques Faucon achète 2 à 3 T d’aliments par an mais recherche sinon le 100% d’autonomie. Quelques vaches ont 50 % de sang Angus, ce qui a amélioré, selon l’éleveur, leurs capacités maternelles et la précocité des animaux.

Loïc Madeline est éleveur de charolaises en Normandie. Ses 80 ha sont partagés entre 15 prairies permanentes…. et 35 hectares de cultures de ventes (mélanges céréaliers…). Il produit des génisses de viande tout à l’herbe (pâturée ou récoltée), finies à 30-32 mois. Les vêlages se font entre le 15 février et le 15 avril. Les mâles partent souvent en broutards non bio, cette filière étant à creuser… Le pâturage se fait en paddock, en pâturage tournant (1 parcelle pour 5-6jours).

Pour gérer les rumex, gênants sur son exploitation, l’éleveur contraint au fil ses animaux pour remettre en état ses surfaces après 4 ans de cultures. Les vaches, et même les veaux consomment les rumex lorsqu’ils sont jeunes. Les vaches ne consomment que de l’herbe du 1er avril à la rentrée en bâtiment au 15 octobre, sauf si le mois d’août est très sec (distribution de foin).

Les semences sont triées et les résidus de tri sont réintroduits dans un mélange inerté destiné à l’alimentation, la distribution au seau ayant une grande influence dans la sociabilité des animaux. Le maïs en culture à double fin n’est que rarement possible en Normandie, le sol étant trop humide pour la récolte et la somme des températures insuffisante pour atteindre à la maturité du grain.

Loïc sème à la volée de l’avoine sur des semis de luzerne ou trèfle, et récolte l’avoine soit en ensilage, soit en grain (25 à 30 q/ha), quitte alors à pénaliser une récolte de la prairie. Cette technique n’est par contre pas possible en Corrèze du fait des printemps secs fréquents…

Les leviers de l’autonomie alimentaire

Loïc Madeline, qui travaille à mi-temps à l’Institut de l’élevage et qui est responsable du projet Optialibio, a présenté en amont les facteurs explicatifs de l’autonomie alimentaire en élevage bovins bio, en lien avec les prévisions climatiques pour les années à venir.     

Pour les bovins lait : la diversité de l’assolement, la précocité de mise à l’herbe et les précipitations de printemps améliorent l’autonomie, la part de prairies permanentes peut également jouer. La part de concentrés/UGB et le % de maïs/SFP quant à eux réduisent l’autonomie.

En bovins viande, les précipitations de printemps et d’automne sont des critères positifs tandis que la production de viande/SAU et les concentrés sont des déterminants négatifs.

Le revenu disponible est supérieur dans le groupe des éleveurs les plus autonomes. Les leviers de l’autonomie ? Augmenter les ressources (augmenter le pâturage, implanter des mélanges céréales-protéagineux…), diminuer les besoins (diminuer le taux de renouvellement, pratiquer la monotraite…), adapter son troupeau aux ressources (croisement de races…).

Des outils pour progresser

Stanislas Lubac, de l’Institut technique de l’agriculture biologique, a dressé un panorama des outils créés dans le cadre des projets Mélibio et Optialibio :

  • le simulateur d’autonomie AMIABLE (une formation à la maîtrise de cet outil sera organisée pour les conseillers) ;
  • le panorama des leviers d’autonomie alimentaire pour faire face aux aléas climatiques, organisé selon une classification double entrée (1) thématique et (2) rapidité de mise en œuvre. Parmi les leviers cités : l’implantation et les modes de gestion de diverses prairies artificielles selon les besoins et spécificités locales (prairies à flore variée, prairies monospécifiques de sainfoin, luzerne, sulla…), ou alors de cultures d’appoint comme le moha, le soja ou le sorgho ; la réduction pérenne ou ponctuelle de la production animale, la mise en pension des animaux… ; l’adoption de races rustiques, l’adaptation de la production laitière à la pousse de l’herbe…
  • l’outil d’aide à la décision pour la conception de prairies à flore variée, Capflor. Grâce au logiciel Capflor, des collectifs d’agriculteurs ont implanté à ce jour plus de 200 parcelles de mélanges prairiaux complexes (plus de six espèces) adaptés à leurs contextes locaux.
  • deux outils d’animation de collectifs destinés à identifier des leviers et stratégies : le Rami fourrager et un nouveau jeu s’appuyant sur des cartes leviers. Le Rami fourrager (complexe à mettre en œuvre mais permettant d’effectuer des simulations quantitatives) et le jeu des cartes leviers (facile à s’approprier), qui se pratiquent avec un conseiller et un groupe d’agriculteurs, permettent d’identifier différents leviers et de simuler plusieurs stratégies pour améliorer l’autonomie à partir d’un cas précis.
  • l’accès à des références avec une synthèse d’essais sur les prairies à flore variée et un guide technique CERPRO sur les mélanges céréales-protéagineux à vocation fourragère.

 

A propos de Mélibio :

L’enjeu du projet Mélibio est d’accompagner les éleveurs, en priorité en agriculture biologique, du Massif Central dans leur quête d’autonomie et de sécurisation de leurs systèmes fourragers face aux aléas de tous ordres. L’augmentation de la production d’herbe et la résilience du système fourrager sont obtenues par l’introduction d’une nouvelle diversité végétale cultivée, complémentaire des ressources naturelles utilisées : prairies temporaires semées en mélange (Prairies à Flore Variée, PFV), et cultures annuelles pâturées ou récoltées en fourrage (Cultures Fourragères Annuelles, CFA). Ce projet promeut des modes de raisonnement, des outils (en particulier Capflor, pour aider les éleveurs à choisir les espèces de leurs PFV) et des partages d’expériences, pour plus de solutions construites et validées au niveau local.

A propos d’Optialibio :

Ce projet a pour but de rendre les systèmes bovins biologiques plus résistants aux aléas climatiques en améliorant leur autonomie alimentaire. Cette dernière est appréhendée, dans le projet, sous l’angle de l’autonomie en fourrages et en aliments concentrés (énergétiques et protéiques). Le programme de travail s’appuie sur la mise à disposition des connaissances actuelles susceptibles d’améliorer l’autonomie des systèmes bovins biologiques. Il fait également appel à des essais et expérimentations en stations ainsi qu’à la construction d’outils d’évaluation et d’aide à la gestion de l’alimentation des bovins en agriculture biologique. Ces outils intègrent également une dimension climatique pour tester différents scénarios d’aléas climatiques.

Pour en savoir plus :

Retrouvez les documents présentés pendant la journée :