Autonomie protéique : des mélanges hautement protéagineux au toastage, état des lieux des avancées sur les fermes

Publié le : 19 décembre 2017

Afin de faire face au risque croissant de présence par contamination d’OGM sur des matières premières provenant de l’international, le groupement de producteurs de lait Biolait a acté début 2017 l’interdiction de recourir à des aliments importés, notamment concernant les tourteaux de soja.

Cette décision replace une fois de plus la question de l’autonomie protéique au cœur des enjeux. Sur le terrain, les éleveurs s’organisent et des dynamiques collectives fleurissent pour relever ce défi. Le réseau FRAB AuRA revient sur l’une d’entre elles ayant émergé en Rhône et Loire.

Cournillens, Suisse romande. Mélange féverole Olan 80 % - triticale d’automne Larossa 40 % semé à l’automne (le 22/10/16 ; combinaison herse rotative et semoir à céréales) derrière maïs (récolté plantes entières). Epandage de digestat au printemps (20 t/ha)

 

Depuis 2016, un groupe d’une douzaine d’éleveurs laitiers bio et conventionnels de la Loire et du Rhône s’est lancé dans la recherche d’autonomie protéique, appuyé par l’ADDEAR de la Loire, l’ARDAB et Loire Conseil Elevage. Un premier travail d’identification de toutes les sources de protéines existantes sur les fermes de chacun des membres du groupe a été réalisé durant l’hiver 2016. Il a abouti à l’identification de différentes pistes telles que l’optimisation de la conduite de l’herbe et du pâturage, la révision de la place des maïs, l’introduction de méteils protéagineux dans les rotations, ou encore le toastage des graines de protéagineux.

Des cultures de méteils protéagineux à l’essai

Des essais de mélanges à destination de récolte en grains ont été mis en place dès l’automne 2016, dont les récoltes sont en cours (article rédigé fin juin 2017). Ces derniers sont d’une part faiblement exigeants en azote, mais aussi compétitifs par rapport aux adventices grâce à une forte occupation de l’espace, permettant d’éviter tout désherbage mécanique. En ce sens, ils peuvent être envisagés en milieu ou fin de rotation.

Pour choisir les espèces à intégrer, il est indispensable de s’assurer qu’elles ont des maturités proches.

A la récolte, le but est d’obtenir :

  • Quantitativement, des rendements plus élevés que pour des cultures en pur (surtout compte tenus des intrants faibles à nuls)
  • Qualitativement, une valeur protéique supérieure. Attention, la proportion de légumineuses étant variable d’une année à l’autre, les résultats sont imprévisibles.

Jusqu’à présent, les agriculteurs du secteur qui pratiquaient des méteils les récoltaient souvent en ensilage. Le pois fourragers entrait très fréquemment dans la composition de ces mélanges. Les « nouveaux » mélanges testés cette année étaient eux à base de féverole et de pois protéagineux. Ces derniers ayant une tige rigide, ils sont ainsi moins sujets au risque de verse.

Retour sur le voyage d’étude du groupe Rhône-Loire en Suisse

Cournillens le 8 juin 2017, échanges du groupe rhônalpin et de Maurice Clerc du Fibl, devant les mélanges protéagineux testés

En juin 2017, l’ARDAB a organisé un voyage d’étude en Suisse en lien avec le FIBL et Bio Suisse. A cette occasion, les membres du groupe ont pu échanger avec leurs homologues du canton de Neufchatel et de Fribourg sur les pratiques en matière de mélanges protéagineux qui ont fait leur preuve. Sur le secteur suisse, les aléas climatiques marquent les esprits depuis quelques années : gel, excès de pluie, sécheresse prolongée. Chacun a pu constater que les cultures associées apportaient la sécurité en garantissant une production dans toutes les situations. Selon Maurice Clerc du FIBL : « Grâce aux cultures associées, la production indigène de pois protéagineux et de féverole bio a fortement augmenté (respectivement 50 % et 43 % d’auto-approvisionnement en 2015) ».

Le Fibl a fait de nombreux essais de mélanges semés à l’automne et au printemps :

  • A l’automne, à partir de 2 espèces :
    • pois protéagineux et orges,
    • féveroles associées à avoines, triticales ou blés fourragers.
  • Au printemps, toujours à base de 2 espèces :
    • féveroles associées à des avoines, avoines rudes, triticales ou blés,
    • lupins bleus associés à des avoines, avoines rudes, triticales ou blés,
    • pois protéagineux et orges.

Pour chaque mélange, les légumineuses et les graminées sont semées respectivement à 80 % et 40 % de la dose en pur.

Cette collection de 16 bandes a été présentée lors de la journée suisse des Grandes Cultures bio, le 8 juin dernier.

Cournillens, Suisse romande. Mélange féverole Olan 80 % – triticale d’automne Larossa 40 % semé à l’automne (le 22/10/16 ; combinaison herse rotative et semoir à céréales) derrière maïs (récolté plantes entières). Epandage de digestat au printemps (20 t/ha)

Les agriculteurs du groupe Rhône-Loire, qui sont pour la plupart en zone séchante avec des parcelles non irriguées, vont tester ces mélanges découverts à l’occasion du voyage d’étude en Suisse, et ce dans les mêmes proportions. Ils auront ainsi recours à des semis d’automne et choisiront des variétés adaptées, notamment pour la féverole pour laquelle l’enjeu est grand d’optimiser sa résistance aux froids hivernaux, gelées et éventuels épisodes secs printaniers. Les féveroles semées à l’automne 2016 dans les premiers essais ont en effet souvent été semées trop claires, et elles ont vite cessé de fleurir avec la sècheresse de printemps.

Le toastage des protéagineux chez des éleveurs de la Loire

En parallèle de ces essais culturaux, le groupe s’est intéressé dès l’an dernier au toastage des graines de protéagineux. Ces derniers disposant de facteurs antinutritionnels, une transformation est nécessaire pour les éliminer.

Le toastage est un procédé thermique permettant de cuire les graines à cœur. Le phénomène de cuisson engendre une modification chimique des protéines, qui vont se complexifier avec les sucres par la réaction de Maillard. Ce processus permet de limiter la dégradation des protéines dès le rumen de la vache, qui aura plutôt lieu dans l’intestin où elles pourront être assimilées. Le toastage des protéagineux permet d’augmenter les valeurs en PDIA (protéines dites « by-pass », dégradables dans l’intestin) et par conséquent d’augmenter la valeur du PDIE, qui peut être doublé par l’action du toastage.

Pour ce processus, on conserve, à la différence du tourteau ou de l’extrusion, l’huile présente dans les protéagineux. L’aliment toasté est donc également plus riche en énergie grâce à la présence des matières grasses.

Autre atout : le toastage permet de conserver les grains au moins une année, contre quelques mois pour l’extrusion et les tourteaux.

Synthèse des analyses faites par le GRPEA en 2015, à partir d’échantillons de grains crus et toastés provenant de fermes – CIVAM 85

Produit % MS Energie (UF/kg) Azote (g/kg)
UFL UFV PDIA PDIN PDIE
Tourteau Soja 50 (1) 87,6 1,21 1,21 212 395 272
Tourteau Colza (1) 88,7 0,96 0,90 103 247 155
Soja cru 85,8 1,12 1,09 21 203 63
Soja toasté 94,4 1,39 1,39 126 254 167
Pois cru 87,5 1,04 1,04 27 140 88
Pois toasté 95,9 1,20 1,20 106 168 160
Lupin cru 90,1 1,18 1,16 42 211 95
Lupin toasté 94,7 1,24 1,26 153 271 201
Féverole crue 87,5 1,03 1,02 34 167 87
Féverole toastée 94,0 1,11 1,10 127 217 176

* (1) Source : Tables INRA 2007. Des expérimentations INRA sont en cours afin de mettre ces valeurs alimentaires à jour.

Plusieurs modèles de toasteur ont été comparés par le groupe d’éleveurs, pour trouver le matériel adapté à leur situation (volumes à toaster, répartition des besoins sur le territoire…). Parmi les pistes étudiées figure celle d’un toasteur mobile à gros débit testé par un collectif d’éleveurs vendéen, que le groupe a pu découvrir à l’occasion d’un voyage d’étude organisé l’été dernier par l’Addear 42 et l’ARDAB.

Sur le secteur Rhône-Loire, l’idée d’avoir à terme plusieurs petites unités fixes a paru plus adaptée. Au printemps 2017, un toasteur a été commandé aux États-Unis. Il s’agit d’un modèle fixe, électrique, à faible débit (1 t/jour, 40 kg à l’heure), robuste et simple de conception. Ce toasteur va être testé à la ferme du Murier, à Saint Joseph (42). Affaire à suivre donc !

L’émergence d’une dynamique en Ain et en Isère

Suite à la participation d’un éleveur de la zone ADABIO au voyage d’étude organisé en Vendée par l’ADDEAR 42 et l’ARDAB, ce projet d’autonomie en protéines a également pris forme dans l’Ain et l’Isère. Agriculteurs bio et conventionnels, éleveurs laitiers mais aussi en vaches allaitantes, porcs et volailles, se sont retrouvés pour échanger sur cette même problématique : comment gagner en autonomie pour l’alimentation de ses animaux en valorisant les protéagineux ?

Une première réunion d’échange s’est tenue le 21 juin pour répondre aux interrogations des éleveurs et amorcer des pistes d’approfondissement.

Questionnements des éleveurs et suites à donner

Si tous les éleveurs présents à ce temps d’échange se sont montrés intéressés, plusieurs points ont soulevé des interrogations. Parmi eux figurent la manipulation, le niveau d’exigence du tirage, la nécessité d’un passage à l’aplatisseur, l’organisation collective et le temps de travail supplémentaire engendré. Ces questionnements et limites identifiés sont à comparer à la meilleure valorisation de la protéine et au gain potentiel sur les rations (coût alimentation/production). Il est apparu également important d’évaluer le degré d’autonomie souhaité sur la ferme et de recenser les besoins, dans une optique de mise en lien éventuelle avec des céréaliers.

Dans le prolongement de cette première rencontre, une formation sera mise en place durant l’automne afin de travailler sur la culture des protéagineux et leur valorisation au sein des rations. Une rencontre est prévue avec les éleveurs de la Loire et du Rhône ayant travaillé sur cette thématique et acquis un toasteur .

Article rédigé par Sandrine Malzieu, ARDAB, et Amandine Clément, ADABIO (réseau FRAB AuRA)