Le maïs population : retours d’expériences d’éleveurs laitiers

Publié le : 2 février 2017

Depuis une quinzaine d’années, des éleveurs bio se réapproprient la culture et la sélection de maïs population. Quels sont les atouts de ces variétés ? Sont-elles adaptées aux élevages laitiers ? Deux producteurs de la Loire témoignent.

Alors qu’un maïs hybride F1 est issu du croisement de deux lignées « pures » et sélectionné pour sa stabilité et son homogénéité dans des conditions de production optimales, un maïs population (ou « de pays ») provient de la sélection paysanne. Grâce à des essais au champ, en pollinisation libre, la variété population est ainsi obtenue par « tâtonnements ». Elle est moins uniforme qu’un hybride et plus adaptable aux conditions locales et aux évolutions climatiques.

Au sein d’une variété population, les individus ne sont pas tous parfaitement semblables, bien qu’ils possèdent des caractères communs. Leur base génétique, plus large que celle de lignées pures ou hybrides, leur confère une bien meilleure capacité d’adaptation à différentes conditions, telles qu’un faible niveau d’intrants (source : Rés’OGM Info).

L’utilisation de ces variétés population permet en outre aux éleveurs de réduire leur coût alimentaire, de gagner en autonomie et de maîtriser l’usage de leurs semences en fonction de leurs propres objectifs, ce qui permet aussi de renforcer la résilience de leur exploitation.

Les variétés de maïs hybrides ont commencé à remplacer les variétés population à partir de la seconde Guerre Mondiale, au moment de la « révolution verte ». Afin de s’affranchir des variétés hybrides des Etats-Unis, la France a alors favorisé le développement de variétés hybrides nationales. Ces dernières, créées par l’INRA, ont été diffusées largement et les maïs population ont été retirés du catalogue officiel en 1960 (source : Rés’OGM Info).

Face au risque de contamination des semences de maïs par des OGM et au coût élevé des semences hybrides en bio, des éleveurs bio se sont intéressés à nouveau aux variétés population. Dans les années 2000, des agriculteurs du Sud-Ouest ont lancé un programme d’expérimentation sur les maïs population, avec l’appui d’Agrobio Périgord. Par la suite, des paysans ont démarré des essais dans d’autres régions (Pays-de-la-Loire en 2006, Rhône-Alpes en 2007 sous l’impulsion de l’ARDEAR) et le mouvement continue de se développer.

Réseau Semences Paysannes

« Les variétés population sont composées d’individus exprimant des caractères phénotypiques proches, mais présentant encore une grande variabilité leur permettant d’évoluer selon les conditions de cultures et les pressions environnementales. »

Raymond PITIOT (GAEC de la Revolanche), éleveur laitier bio à Saint-Paul-en-Jarez (42)

En GAEC depuis 2002, je cultive du maïs population depuis 2007 pour l’alimentation de nos 50 vaches laitières. La ration, basée sur le foin et le pâturage, est équilibrée par de l’ensilage de maïs, qui est réalisé exclusivement avec du maïs population depuis que j’ai commencé à en faire.

Dans les maïs population, on trouve surtout des variétés adaptées au maïs grain et des variétés tardives. J’ai donc changé plusieurs fois de variétés, recherchant les plus adaptées à nos besoins. En les améliorant en fonction de nos critères (précocité, poupées pas trop hautes pour limiter la sensibilité à la verse, maïs qui reste suffisamment vert pour que la plante conserve une bonne digestibilité) et en fonction du milieu, qui joue beaucoup, on a obtenu des variétés bien adaptées pour faire du maïs ensilage.

J’utilise actuellement trois variétés (Portuffec, Aguartzan et Italien) et on en essaie de nouvelles chaque année. Cette année, nous avons multiplié du Poromb dans un secteur isolé, que nous allons pouvoir cultiver en plein champ en 2017.

Par rapport aux hybrides que nous utilisions auparavant, le maïs population est très « volumineux ». Nous n’avons donc pas eu de perte de rendement en maïs ensilage : étant un peu plus tardif, le maïs est parfois plus vert, mais la quantité de matière sèche produite est à peu près la même. Il a peut-être moins d’amidon, mais plus de protéines.

Le maïs population doit être semé moins serré qu’un hybride, pour qu’il ait suffisamment de lumière et qu’il ne monte pas trop, ce qui pourrait réduire le nombre de poupées. On a tendance à penser qu’en semant plus dense, on aura plus de rendement mais avec de la bonne semence, ce n’est pas forcément le cas… Lors d’une année de sécheresse, en 2015, c’est le maïs qui avait été semé le moins épais qui a eu le meilleur rendement et les meilleurs taux.

Alors que les individus d’une variété hybride arrivent tous à maturité au même moment, ceux d’un maïs population ne sont pas tous au même stade : la floraison peut s’étaler sur 3 semaines. C’est ce qui rend les maïs population plus adaptables aux changements de temps, notamment en cas de sécheresse.

Tout ce travail de sélection demande du temps, mais étant donné que les semences bio sont très chères, faire ma sélection moi-même permet de rémunérer ce temps de travail. En plus de leurs atouts agronomiques, les maïs population permettent de regagner de l’autonomie sur nos fermes.

 

 

Didier BRUYERE (GAEC de la Brumagne), éleveur laitier bio à Chazelles-sur-Lyon (42)

Installé en GAEC à deux sur 95 hectares, nous avons en moyenne 65 vaches laitières et 30 génisses de renouvellement. En 2009, la crise laitière nous a conduits à une remise en question qui a abouti à la conversion en 2010. Je connais les maïs population depuis deux-trois ans, et j’en cultive depuis 2016 avec un groupe d’éleveurs de la Loire. Nous mettons en place des « vitrines » avec différentes variétés de maïs (population et hybride) pour les comparer.

Nous sommes suivis par le contrôle laitier depuis deux ans pour connaître les valeurs alimentaires. Comme ce sont des maïs tardifs et qu’on ne peut pas semer très tôt en bio, le taux de matière sèche peut encore être amélioré en gagnant en précocité. Quant aux autres valeurs, elles sont aussi bonnes qu’avec du maïs hybride. Les maïs population n’ont pas à rougir face aux maïs F1, et leur avantage, c’est qu’ils s’adaptent au milieu. L’année prochaine, je ne ferai que du maïs population !

En plus, c’est une démarche passionnante, qui donne envie d’apprendre. Je trouve ça essentiel d’être autonome, particulièrement en élevage laitier bio. Produire notre propre semence, ça nous permet de retrouver des valeurs paysannes, et c’est très valorisant de réussir à être maître de sa production du début à la fin. Après tout, pourquoi dépendre d’une entreprise extérieure quand on peut produire chez soi ?