Produire des châtaignes bio, témoignage de Ludovic Desbrus

Publié le : 27 avril 2017

La production française de châtaignes est répartie sur 2 bassins principaux : le Sud-est et le Sud-ouest. Deux types de châtaigneraies sont présents sur le territoire : la châtaigneraie traditionnelle, et les nouveaux vergers, replantés avec des variétés hybrides moins sensibles au chancre ou à l’encre (Marigoule, Bouche de Bétizac..) ou avec des variétés traditionnelles sur porte-greffes hybrides. En agriculture biologique, le secteur des fruits à coque (châtaignes, noix, noisettes et amandes) représente plus du tiers des surfaces fruitières bio totales (10 877 ha en 2015 bio + conversion). Avec 4719 hectares de châtaigneraies conduites en bio en 2015, cette production est la seconde plus importante en termes de surfaces de vergers conduits en bio après l’olive. Point de vue de Ludovic Desbrus, castanéiculteur bio en Ardèche et administrateur FNAB.

L. Desbrus

Quel est votre parcours ?

L. Desbrus

Issu d’une famille pratiquant la polyculture et l’élevage dans le Nord de l’Ardèche -petits fruits, châtaigne ovin- je me suis installé avec ma compagne en 1998, après une dizaine d’année hors du contexte agricole et de l’Ardèche. Il s’agit d’une installation hors cadre familial avec la reprise de 4 hectares d’anciennes châtaigneraies traditionnelles. Nous avons démarré progressivement avec la remise en l’état du lieu d’habitation, la rénovation de la châtaigneraie puis l’élaboration d’une gamme de produits transformés. Notre installation s’est faite sur 4 ou 5 ans, en démarrant dans le laboratoire d’un ami avant de construire le nôtre. Au fil des années, nous avons souhaité pouvoir maitriser nous-mêmes la presque totalité des processus de transformation de la châtaigne (hors épluchage de châtaigne fraiche par four) : séchage à la ferme, machine à décortiquer, broyage dans un moulin, labo à la ferme pour confitures et pâtisserie. Les producteurs souhaitant s’investir sur la transformation, sous-traitent souvent une partie de ces opérations. Nous avons souhaité être le plus autonome possible. Nous nous sommes installés en bio. C’était intégré à notre mode de vie et on ne s’est pas posé la question ! C’est de là, que nous nous sommes rapprochés d’Agribio Ardèche, que j’en suis devenu administrateur puis président avant de finalement m’investir au niveau régional.

La ferme en bref :

  • Localisation : (en gros) Nord Ardèche / Haut Vivarais
  • Les Productions : châtaignes, produits transformés et chambre d’hôtes
  • Surface : 5 ha de châtaigniers plus quelques prairies à foin
  • Main d’œuvre : 2 personnes à temps plein + 4 – 5 saisonniers à la récolte
  • Commercialisation : à 95% en circuit court (vente directe, magasin de producteurs, magasin bio spécialisé, site web…)

Les châtaignes en bio représentent de nombreuses surfaces arboricoles biologiques, qu’en pensez-vous ?

L. Desbrus

Il y a une certaine logique à cela. En Ardèche, nous sommes essentiellement dans un contexte de châtaigniers traditionnels en zones de fortes pentes avec peu d’emploi de produits chimiques. Avec les aides pour la conversion et le maintien en agriculture biologique, et notamment grâce à la revalorisation des montants pour les vergers en 2010, de nombreux agriculteurs ont opté pour la certification bio. Parallèlement, la demande de châtaignes des transformateurs industriels s’est développée, notamment pour la fabrication de produits de type farine. Cela s’est cumulé avec une redynamisation de la filière grâce au développement de l’AOP Ardèche. De gros efforts ont été réalisés pour la rénovation des vergers et nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle phase de renouvellement par plantation le plus souvent avec porte-greffes résistant à l’encre (Phytophthora).

Selon moi, le seul bémol de cet élan vers la bio dans notre territoire, c’est que de nombreux producteurs se sont convertis principalement par opportunisme économique, cette culture ne leur demandant aucun changement de pratiques. Souvent, ces conversions n’ont pas été suivies d’un passage en bio sur les autres ateliers ni même d’un intérêt à l’envisager, ce que je trouve dommage. Je souhaiterai défendre cette vision : un règlement européen qui prévoit que toute exploitation qui passe en bio sur une production entre dans une démarche de progrès afin qu’il le devienne intégralement au bout de quelques années.

Quels sont les défis techniques pour cette production ?

L. Desbrus

Sur le point technique, il ne faut pas mettre la châtaigne au même niveau que les autres fruits, où les impasses techniques en bio peuvent être un vrai frein à la conversion. Nous avons des difficultés mais la plupart des recherches sur les problèmes sanitaires du châtaigner et de son fruit sont des méthodes compatibles avec le cahier des charges bio (lutte bio, confusion sexuelle, isolement de souches résistantes). C’est une chance.

Malgré de nombreuses recherches, nous n’avons pas de solution efficace pour notre variété Castanea Sativa face à l’encre (Phytophthora cambivora et Phytophthora cinnamomi). Cette maladie détruit les racines et provoque un dépérissement de l’arbre, qui meurt en quelques années. L’arbre n’émet plus de rejets. Il est possible d’utiliser des portes-greffes hybrides obtenus par croisement avec la variété japonaise, Castanea Crenata, qui est moins sensible.

 

Torymus sinensis, credit INRA

D. Kuriphilus ou cynips induit le developpement de galle sur feuille. Femelle adulte. credit J.C. Malausa – INRA

En revanche, pour le cynips du châtaigner (Dryocosmus kuriphilus), nouvellement arrivé sur nos territoires, des solutions encourageantes voient le jour. Grâce à la mobilisation de toute la filière et de soutiens extérieurs, près de 500 lâchers d’un insecte parasite du cynips, Torymus sinensis, ont été réalisés commune par commune. Il encore trop tôt cette année pour conclure sur les résultats mais des comptages de galles et des prélèvements mesurant le degré de parasitage du parasite donnent des signes prometteurs.

 

L. Desbrus

Concernant les fruits, de nombreux problèmes affectant l’état sanitaire des fruits sont récurrents: vers de carpocapse, balanins, tordeuse et attaques fongiques pouvant dégrader le fruit dès la récolte. Ces pourritures arrivent dès que les températures et l’humidité se conjuguent avant ou pendant la récolte. Cela nous oblige à travailler vite au moment du ramassage et à prévoir des solutions de froid, du trempage ou de la mise sous atmosphère contrôlée avant séchage si le séchoir ne peut accueillir toute la récolte. A mon sens, il y a là un enjeu réel de recherche correspondant à une attente des producteurs, tant en terme de prévention que de conditions optimales de conservation.

 

ver de carpocapse,credit INRA

Des essais de confusion sexuelle ou de piégeage du carpocapse sont effectués. Mais la pression des châtaigniers sauvages dans notre région limite l’efficacité de ces solutions. Les châtaignes véreuses sont un vrai frein pour la vente en frais. C’est pourquoi, dans la filière conventionnelle, de nombreux acteurs de l’aval traitaient les lots au bromure de méthyle, remplacé depuis par d’autres produits comme le fluorure de sulfuryl (ex Profume). En bio, nous procédons autrement. Des solutions thermiques à l’eau chaude ou encore un trempage long permettent d’enlever les vers. En revanche, cela a un coût, et prend du temps : il faut compter 15 jours de plus pour la préparation de la récolte avec, au minimum, 9 jours de trempage, et une semaine de ressuyage et de tri des châtaignes. Cette méthode de trempage long a deux intérêts : elle permet de trier les châtaignes mais aussi d’améliorer la conservation sur le long terme en bloquant le développement des moisissures. Il faut veiller à renouveler l’eau pour éviter le démarrage de fermentations indésirables. Ce processus doit être suivi d’une conservation au froid. Certains trouvent qu’il y a un impact gustatif négatif de cette technique mais réalisée dans de bonnes conditions, elle est largement plébiscitée et même rendue obligatoire dans le cadre de l’AOP « Châtaigne d’Ardèche » si le producteur prévoit une commercialisation tardive des fruits en frais.

Il y a donc un véritable enjeu sur la conservation des fruits, et notamment, pour leur stockage avant transformation. Nous ne pouvons pas transformer tous les volumes récoltés en deux jours ! Des solutions de la filière arboricole pourraient être intéressantes à explorer, comme les palox avec couvercle membranaire afin de maintenir les fruits sous atmosphère contrôlée.

Et au niveau de la commercialisation, qu’en est-il ?

L. Desbrus

La châtaigne se valorise en frais, principalement pour les gros calibres, et en produits transformés pour les plus petits: crème de marron (ou crème de châtaigne avec 60% de sucre total selon la législation), délice (moins sucré), châtaignes cuites et pelées prêtes à l’emploi, marrons glacés, farine, brises, sirop, soupe, terrines végétales… La demande est en réelle augmentation sur les produits transformés, le marché du frais stagnant plus. Le développement des habitudes de consommation « sans gluten » est peut-être un des facteurs explicatifs. Les consommateurs sont aussi de moins en moins enclins à cuisiner la châtaigne fraîche.

Nous avons toutefois des enjeux sur la valorisation de la châtaigne bio. Certains producteurs ne cherchent pas toujours à valoriser le fait d’être en bio. Une part des nouveaux convertis se satisfont seulement de la plus-value apportée par les aides. Ils ont leurs débouchés habituels, et ne vont pas aller chercher un autre débouché pour un différentiel de prix qui ne justifie pas de changer leur réseau de commercialisation. Un travail serait à entreprendre avec les metteurs en marché pour les sensibiliser à valoriser la châtaigne bio. Mais y a-t-il un marché suffisant pour absorber les volumes en frais en bio alors que le produit a déjà une connotation de « produit naturel » ?

Comment voyez-vous l’avenir ?

Il y a une belle dynamique autour de la châtaigne, autant en Ardèche, dans les Cévennes que dans le sud-ouest. Les producteurs se mobilisent et la dynamique de conversion à la bio est toujours présente. Finalement, d’un point de vue territorial, c’est autant de surfaces préservées de l’emploi des produits chimiques et une filière redynamisée par ce développement de la consommation bio. Il est aussi positif d’observer que les recherches concernant nos problèmes techniques vont vers des alternatives compatibles avec la bio. Concernant les producteurs n’ayant converti que leur atelier châtaigne, nous pourrions chercher à comprendre comment lever les freins à leur conversion complète.

Soyons toutefois vigilants à ce que les produits soient valorisés en bio jusqu’au consommateur qui doit être correctement averti de ce qui différencie une châtaigne bio d’un fruit passé par les grands canaux de distribution conventionnels ! Il y aurait un travail à réaliser avec les opérateurs pour les inciter à développer le marché de la châtaigne bio et communiquer sur la spécificité des châtaignes bio, notamment fraîches.

Vous souhaitez en savoir plus sur la production de châtaignes en bio ? N’hésitez pas à contacter votre groupement local d’agriculture biologique.

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