Prairies à flore variée

Publié le : 14 juin 2019

Depuis 2014, l’APABA accompagne des éleveurs dans la mise en place de prairies à flore variée productives et pérennes adaptées à leurs besoins. Dans ce sens, une vingtaine de parcelles sont suivies sur le département de l’Aveyron. Ce travail en partenariat avec l’INRA de Toulouse participe au développement de l’outil d’aide à la décision libre Capflor®.

Objectif : une prairie diversifiée et productive à long terme

Les suivies de parcelles conduits par l’APABA depuis 2014 ont pour objectifs de tester et d’évaluer les performances de mélanges prairiaux à flore variée dans les différents contextes pédoclimatiques rencontrés en Aveyron. Par l’utilisation d’espèces et de variétés soigneusement sélectionnées, les prairies doivent répondre à plusieurs enjeux :

  • Maintenir une composition diversifiée et équilibrée (graminées/légumineuses…)
  • Maintenir une pérennité élevée (≥ 5 ans) pour limiter le travail du sol
  • Montrer une valeur alimentaire et une appétence élevée tout au long de l’année
  • Montrer une productivité fourragère élevée
  • Montrer une forte robustesse à la sécheresse

Démarche Capflor®: écologie, agronomie et empirisme

A) Définir les espèces et les variétés

Principe de fonctionnement de la sélection d’espèces avec l’outil Capflor® avec un exemple d’espèces sélectionnées

Pour répondre aux différents objectifs, les mélanges doivent comporter des espèces et des variétés performantes et complémentaires. Une sélection est donc nécessaire suivant plusieurs critères :

1°/ Sélection d’espèces adaptées aux conditions pédoclimatiques de la parcelle (pH, niveau de fertilité, réserve en eau du sol, altitude…)

2°/ Sélection d’espèces et/ou de variétés en fonction de l’usage (fauche, pâture, mixte) et de la phénologie souhaité (floraison précoce, intermédiaire ou tardive)

3°/ Sélection d’espèces aux fonctions complémentaires et capables de coexister. L’ensemble doit permettre la formation d’une prairie dense et équilibrée à long terme.

L’outil d’aide à la décision libre Capflor® permet de faciliter cette sélection d’espèces et vous accompagne dans la composition des mélanges.

B) Définir le nombre d’espèces dans le mélange

Selon le niveau de contrainte du milieu (pH, réserve en eau, altitude…) et le mode d’utilisation souhaité de la prairie, le nombre d’espèce cible varie. Le tableau ci-dessous, présente de manière synthétique les seuils définis en Aveyron.

C) Définir la densité de semis

La dose de semis doit être définie en fonction de la pérennité souhaitée de la prairie et des espèces sélectionnées. Elle est en lien direct avec la densité de peuplement à moyen terme. D’une espèce à l’autre le Poids de Mille Grains (PMG) varie énormément (de 0.06 g à près de 20 g/1000 graines).

Pour les prairies avec une durée de production souhaitée inférieure à 4 ans, la dose de semis sera comprise entre 28 – 35 Kg/ha contre 35 – 42 Kg/ha (hors sainfoin & bromes) pour des prairies de plus longue durée.

D) Définir la part de chacune des espèces dans le mélange

Le dosage des différentes espèces dans les mélanges à flore variée est d’une importance capitale car il influe directement sur l’équilibre botanique du couvert, donc sur sa pérennité. Les plantes aux caractéristiques très différentes (taille des semences, vitesse d’implantation, sensibilité à la concurrence…) doivent pouvoir cohabiter ensemble à moyen terme. Pour cela, l’APABA travaille à l’acquisition de références dans différents contextes pédoclimatiques de l’Aveyron.

Résultats : des prairies diversifiées en évolution permanente

Le suivi de parcelles engagé par l’APABA depuis 2015 a pour objectif d’évaluer la productivité, la valeur alimentaire, la régularité de production et la pérennité de mélanges prairiaux à flore variée en condition réelle d’exploitation. Les résultats présentés ci-dessous sont issus des trois premières années de suivi (2015-2017).

Echantillon

Un ensemble de seize parcelles a été suivi dans le cadre de l’étude. Sept parcelles étaient implantées dans des zones drainantes à forte contrainte hydrique estivale et neuf autres dans des zones plus profondes et arrosées. Les parcelles ont été semées entre le printemps 2015 et le printemps 2017. En zone séchante, les parcelles présentaient des sols de type argilo-sableux (Grands Causses) et argilo-limoneux (Causse Quercy et Vallée du Tarn) avec des pHeau compris entre 7.5 et 8. L’objectif visait essentiellement à sécuriser un volume de fauche (précoce ou tardive), parfois suivie d’un pâturage à l’automne. Sur la zone plus arrosée (Lévezou), les parcelles présentaient des sols de type argilo-limoneux avec des pHeau compris entre 5.8 et 6.8. Dans ce secteur, l’objectif recherché portait davantage sur la qualité nutritionnelle et la souplesse d’utilisation de l’herbe (usage mixte).

Quantité de fourrages récoltés et valorisés

Les volumes de fourrages récoltés ont été évalués à partir des enregistrements des producteurs (nombre de bottes, poids, durée de pâturage…).

En première année d’utilisation (année du semis), le niveau de production fourragère des prairies à flore variée s’est échelonné entre 0,2 et 2,5 TMS/ha selon les secteurs et la période de semis (printemps ou fin d’été). La durée d’implantation des mélanges à flore variée semble plus longue et délicate vis-à-vis de compositions plus simples.

Lors de la campagne fourragère 2016, cinq parcelles implantées en 2015 ont été suivies sur le Lévezou. Ces dernières ont affichées des rendements fourragers compris entre 4,9 et 12,3 TMS/ha. La répartition des rendements au cours de l’année est présentée dans le graphique suivant :

Rendements fourragers 2016 – Secteur Lévézou

Lors de la campagne fourragère 2017, quatorze parcelles ont été suivies dans différents contextes pédoclimatiques de l’Aveyron. Ces dernières ont affiché des rendements fourragers compris entre 2,2 et 8,7 TMS/ha. La répartition des rendements au cours de l’année est présentée dans le graphique ci-dessous :

Rendements fourragers 2017

Le rendement fourrager des prairies à flore variée suivies a montré une grande variabilité entre secteurs pédoclimatiques et entre les deux campagnes. Sur la période 2016-2017, les quantités d’herbe valorisées ont fluctué entre 2,2 et 12,3 TMS/ha avec une moyenne de près de 5.8 TMS/ha (tous secteurs confondus). Sur les secteurs de Causse (Larzac et Quercy), le rendement moyen a avoisiné 3 TMS/ha contre 6,8 TMS/ha sur le Lévezou.

Les parcelles spécialisées ont affiché des rendements fourragers globalement plus importants que les parcelles d’usage mixte : 6 TMS/ha en moyenne pour les parcelles de fauche et 6,8 TMS/ha en pâture contre 4,3 TMS/ha pour les parcelles mixtes.

Valeur alimentaire des couverts

L’ensemble des échantillons ont été prélevés au plus proche de l’optimum d’utilisation de l’herbe au printemps (mars/avril) et avant la dernière utilisation à l’automne (octobre).

De la même manière que les rendements fourragers, les analyses de valeur alimentaire de l’herbe ont montré une certaine variabilité entre les parcelles et au cours de l’année. Le niveau de digestibilité cellulasique de l’herbe (dCel) a ainsi fluctué entre 47,3 et 84,6 % (70,3 % en moyenne) et la teneur en matières azotées totales (MAT) entre 10,9 % et 28,9 % (19,6 % en moyenne). Selon les parcelles, la contribution des légumineuses dans le couvert a fluctué de 6 à 66 % (42.9 % en moyenne).

Le graphique ci-dessous présente l’évolution et la répartition des valeurs de digestibilité, de teneur en MS et MAT des prairies étudiées de l’automne 2016 au printemps 2018 :

Évolution de la valeur alimentaire

Les résultats d’analyse de l’automne 2017 ont montré une forte chute du niveau de digestibilité et une hausse de la teneur en MS de l’herbe. Ce phénomène semble du à la lignification des plantes fourragères suite aux fortes températures estivales. En dehors de cela, les prairies à flore variée ont montré une bonne valeur alimentaire, régulière au cours des années et des différents cycles de pousse.

Robustesse du couvert face aux aléas climatiques

Les relevés botaniques ont mis en évidence une évolution dynamique des communautés végétales dans le temps et dans l’espace. La contribution des différentes espèces dans le couvert semble avoir fluctué au grès des relations de concurrence et de complémentarité entres espèces, des pratiques de gestion des éleveurs et des épisodes climatiques. Les graphiques ci-dessous présentent l’évolution de la composition botanique d’une prairie à flore variée de l’automne 2015 au printemps 2018.

Évolution de la composition botanique d’une prairie par espèce | 2015 – 2018

Évolution de la composition botanique d’une prairie par famille | 2015 – 2018

Les relations de concurrence et de complémentarité entre plantes pour l’accès aux ressources (eau, lumière & nutriments) sont à l’origine d’une grande partie des variations de compositions. Nous avons pu observer que le développement rapide et important des plantes à port dressé couvrante (luzerne, sainfoin, RGH, plantain, chicorée…) en début de printemps tend à limiter le développement des plantes de taille plus réduite (Ray grass anglais, fétuque élevée, trèfles nain et intermédiaire notamment). Le bon dosage de ces espèces est un élément important pour l’équilibre et la pérennité du couvert.

Les pratiques de gestion ont également influencé la composition botanique de la prairie. Le pâturage tournant ou la pratique de fauches de nettoyage (lorsque le couvert est trop dense) permet d’augmenter l’accès à la lumière aux espèces héliophiles de petite taille (trèfles et lotier notamment) qui jouent un rôle important de colonisation des trous. Attention cependant à ne pas sur-pâturer. Nous avons pu valider le lien entre une pression de pâturage élevé et l’augmentation de présence de plantes adventices.

⇒ Les épisodes climatiques ont aussi modifié la composition botanique des prairies. Lors des épisodes de sécheresse de l’automne 2016 et de l’été 2017, les compositions botanique ont évoluées en faveur d’espèces à enracinement profond (luzerne, sainfoin, fétuque élevée, dactyle, pâturin des près, lotier, plantain & chicorée). Ces espèces ont maintenu une légère croissance alors que les autres plantes souffraient de déficit hydrique. Dans ces conditions, la densité de plantes dans les prairies a également diminué laissant place à des zones nues et/ou à des plantes colonisatrices (adventices, TB nain, pâturin des près…). De même, la submersion de certaines parcelles au cours de l’hiver 2017-2018 a fait disparaitre quelques espèces sensibles (luzerne, trèfle violet…).

Conclusion

Les prairies à flore variée semblent plus longues et exigeantes à l’implantation que des mélanges binaires. La qualité du semis et la réussite de la levée sont primordiales pour maintenir un équilibre botanique performant. En conditions non limitantes, elles permettent des performances de production très intéressantes sur le plan qualitatif et quantitatif.

Préconisations : un semis de qualité et des pratiques adaptées aux couverts

Au grès des observations, plusieurs conditions paraissent importantes pour garantir la diversité et la pérennité des prairies à flore variée, notamment la réussite du semis et la cohérence des pratiques.

Une préparation soignée pour une prairie de longue durée

Les prairies à flore variée comportent différentes espèces de plantes fourragères aux caractéristiques très différentes (taille des semences, vitesse d’implantation, sensibilité à la concurrence…). Ces caractéristiques rendent parfois difficile la mise en place des mélanges.

⇒ Préparer le mélange de semences : Il est préférable de mélanger les semences en amont du semis à l’aide d’une bétonnière ou d’une mélangeuse à aliments permettant de préparer le volume nécessaire pour une parcelle entière. Pour limiter le tri des différentes graines par vibration dans la trémie du semoir, il est possible d’incorporer du sable, de la vermiculite ou de la perlite lors du brassage. Une fois le mélange constitué, il est recommandé de le stocker dans des sacs qui seront vidés dans la trémie au champ. A chaque aller-retour, le mélange doit être homogénéisé à la main.

⇒ Préparation le sol et le lit de semences : Pour que les semences puissent être humidifiées et germer dans de bonnes conditions, il faut assurer un contact étroit de la semence et des jeunes radicelles avec la terre. Compte tenu de la faible taille des semences, ce contact n’est correctement réalisé que si le lit de semences est fin, bien émietté et rappuyé. Pour cela, il est fortement recommander d’effectuer un passage de rouleau cranté avant et après semis. Les plus grosses des mottes de terre ne doivent pas dépasser 3 cm de diamètre.

Itinéraire technique type pour l’implantation d’une prairie multi-espèces

⇒ Semer au bon moment : Plusieurs éléments doivent être pris en compte pour définir la date de semis des prairies notamment la vitesse d’implantation des différentes espèces, les conditions climatiques et la portance des sols. La date de semis doit permettre aux différentes espèces implantées d’atteindre un stade de développement suffisamment avancé pour résister aux premières gelées (cas d’un semis d’été) ou aux premières sécheresses (cas d’un semis de printemps).

Vitesse d’implantation selon les espèces

Les graminées doivent ainsi atteindre le stade 3-4 feuilles et les légumineuses le stade 3-5 feuilles trifoliées pour pouvoir se défendre des agressions. Dans le cas d’un mélange à flore variée, il est difficile d’évaluer la durée de végétation nécessaire pour atteindre ces stades car la vitesse de levée des différentes espèces est très différente. Certaines plantes comme le Ray Grass d’Italie peuvent lever en 5 jours alors que d’autres comme la Fléole mettront 25 à 30 jours. Dans le cas d’un mélange complexe, il est recommandé de semer 6 à 8 semaines avant un risque de gelée ou de sécheresse si possible avant un orage.

⇒ Permettre une bonne couverture du sol : Les faibles réserves nutritives des semences de plantes fourragères nécessitent de placer les semences à une profondeur de 1 à 1,5 cm maximum. Au-delà les plantes s’affaiblissent trop pour lever, et en deçà, elles peuvent se dessécher et ne pas germer. Elles entrent alors en concurrence avec des adventices. Pour limiter ces problèmes, il est recommandé de répartir le plus régulièrement possible les semences au sol en semant à la volée ou en croisant deux passages de semoir.

Une conduite adaptée à la végétation

Les prairies à flore variée tirent leurs performances de la diversité des espèces qui les composent. Ces dernières s’articulent et se succèdent pour répondre aux besoins de production des éleveurs. Ainsi, les mélanges de fauche produisent une végétation haute et feuillue tandis que les mélanges de pâture produisent une végétation basse et dense. Pour maintenir un équilibre dans le temps et permettre aux plantes d’exprimer leur potentiel, il est nécessaire d’adapter certaines pratiques d’entretien et d’usage.

⇒ Entretenir la fertilité des parcelles : Les espèces fourragères commercialisées en France proviennent le plus souvent de centres de sélection dans lesquelles elles évoluent en conditions non limitantes (pH optimal, niveau de fertilité élevé, peu de stress hydrique…). Pour permettre aux plantes d’exprimer leur potentiel il est donc nécessaire de leur offrir des conditions similaires en entretenant la fertilité du sol (notamment pH, taux d’humus, fertilité N et P…).

⇒ Adapter les pratiques de gestion : Pour maintenir un équilibre de la végétation à long terme, il est nécessaire d’adapter les pratiques de gestion des prairies. Ainsi, le mode d’utilisation défini doit être strictement respecté. Le pâturage de prairies conçues pour la fauche entraine la disparition de certaines espèces sélectionnées spécifiquement dans ce but, déséquilibre le mélange, réduit le niveau de production et la pérennité du couvert. De même, une prairie composée pour un usage mixte (fauche + pâture) sera globalement moins productive qu’une prairie de fauche et moins souple d’utilisation. La fréquence d’utilisation joue également un rôle important. L’augmentation de la fréquence d’utilisation favorisera le développement des légumineuses au détriment des graminées qui seront stimulées par le pâturage au printemps.

Rédaction : Maxime Vial, APABA