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Si le rôle de l’abeille domestique Apis mellifera est bien connu dans la pollinisation de nos arbres fruitiers, la contribution des abeilles sauvages, ou osmies, reste peu explorée. Pourtant, nul ne doute de leur rôle de pollinisateurs : la pollinisation par les abeilles sauvages présente selon les scientifiques le même intérêt économique que celle par les abeilles domestiques. Point sur leur contribution dans nos vergers par Joannes BOULON d’Agribio Ardèche.
Près d’un millier d’espèces d’abeilles sauvages sont présentes en France. Mais seules 2 % d’entre elles effectuent 80 % de la pollinisation sauvage des cultures selon une étude1 réalisée par une équipe internationale dont font partie l’INRA et le CNRS.
Une autre étude2 publiée en 2014, menée aux États-Unis, a étudié la corrélation entre le nombre d’espèces d’abeilles retrouvées sur des vergers de pommiers et le pourcentage de fleurs qui sont devenues fruits. L’étude conclut qu’en moyenne, le nombre de fleurs donnant une pomme augmente de 0,8 % à chaque espèce d’abeille sauvage supplémentaire observée sur le verger.
De plus, l’activité pollinisatrice de certaines espèces d’abeilles sauvages peut démarrer à des températures avoisinant les 3° C, soit bien inférieures à celles nécessaires à l’abeille mellifère pour parcourir les vergers. C’est le cas des abeilles maçonnes ou solitaires, également appelées osmies, qui comptent parmi les espèces les plus efficaces en termes de pollinisation. Leur capacité à visiter des fleurs malgré des températures basses les rend très intéressantes pour les fruits à noyaux dont la floraison est précoce. De même, elles butinent généralement dans un rayon restreint, quelques centaines de mètres, sans aller vers des floraisons qui pourraient être plus attractives, comme ont tendance à le faire les abeilles domestiques.
Au-delà du maintien des équilibres naturels et de la biodiversité, Il y a donc un grand intérêt économique à favoriser l’installation de ces populations d’abeilles sauvages dans les vergers.
La diminution des colonies d’abeilles mellifères est un phénomène largement médiatisé. Mais il faut savoir que de nombreuses espèces d’abeilles sauvages sont elles aussi en déclin.
Les causes sont en partie similaires à celles des abeilles domestiques mais les abeilles sauvages souffrent également de la destruction et de la dégradation de leurs habitats. Ceci entraîne une diminution des ressources alimentaires et la disparition des sites de nidification (diminution des plantes à fleurs, destruction des bocages, utilisation d’herbicides et d’insecticides).
Ainsi, si une grande attention est portée aux abeilles mellifères, dont la mortalité importante inquiète, les abeilles sauvages doivent elles aussi être prises en compte dans un souci de préservation de la biodiversité et de maintien des rendements agricoles.
Aujourd’hui, certains œuvrent pour développer l’installation des populations d’abeilles. C’est le cas de l’Orchard Bee Association (OBA) aux États-Unis, d’Apis Bruo Sella en Belgique, ou plus proche de nous de Paul BETTS qui se définit comme osmiculteur et a créé le site abeillessauvages.com. Le succès de l’aménagement de l’environnement en faveur des abeilles sauvages va dépendre selon eux de deux facteurs indissociables : la disponibilité de substrats de nidification et de construction de nids et celle des ressources alimentaires.
Dans la nature, les abeilles solitaires peuvent nidifier dans des espaces creux, de préférence en forme de galerie (abeilles caulicoles), ou dans des tiges contenant de la moelle qu’elles creusent pour construire la galerie dans laquelle elles vont aménager les cellules de leur nid (abeilles rubicoles). Il est donc assez facile de reproduire de tels sites de nidification. Voici quelques règles à respecter3 :
Paul BETTS a ainsi élaboré pour les arboriculteurs une méthodologie visant à recréer et développer une densité optimale d’individus sur un verger. Selon lui, après avoir ramené les osmies du secteur au cœur du verger, chaque nid que l’on aura placé et qui sera adopté par une femelle osmie produira trois à quatre individus femelles vivantes l’année suivante, elles-mêmes capables de produire autant de femelles. La croissance de la population est donc exponentielle. Même si beaucoup d’éléments restent à découvrir sur le sujet, le potentiel est donc prometteur.
L’osmiculture c’est une technique d’élevage local d’abeilles indigènes et solitaires de la famille des Megachilidae qui nichent hors sol. Cet élevage se focalise sur la fourniture d’un environnement de nidification adapté, sur l’identification et l’élimination (d’une façon ponctuelle) des parasites qui s’incrustent dans une population.
Paul BETTS
« Je cherche à favoriser le développement des abeilles sauvages sur mes parcelles d’abricots : elles sont des pollinisatrices plus efficaces que les abeilles mellifères, notamment à des températures basses. Je suis aussi intéressé par la pérennité de leur pollinisation, puisque bien implantées et dans de bonnes conditions, elles s’installent durablement sur le verger. J’ai introduit au début du printemps 400 à 500 abeilles, et je constate, sans les avoir réellement chiffrés jusqu’alors, une pollinisation et des rendements améliorés. Mon objectif est de voir ces populations d’abeilles sauvages s’installer et se multiplier.
Aujourd’hui, je suis obligé d’en réintroduire chaque année. Je pense que le facteur limitant est le manque de diversité des fleurs pour les abeilles tout au long de la saison et la rareté des points d’eau dans mon secteur. En dehors de la floraison des fruitiers, leurs ressources alimentaires sont bien maigres.
Je vais donc travailler à créer un environnement favorable à leur installation, en implantant des haies diversifiées autour de mes parcelles et en disposant des points d’eau afin qu’elles puissent s’abreuver ».
« La suppression du broyage en saison au profit du roulage modifie complètement la flore du verger. Cette pratique rend le pollen des premiers pissenlits disponible jusqu’au broyage avant récolte. L’usage d’engrais verts type mélilot et sarrasin sur des parcelles jouxtant le verger permet d’avoir du pollen en quantité et qualité en plein été et prend le relais de l’enherbement du verger à une période où les fleurs restent présentes mais en quantité plus limitée. Il faut noter que mon verger est irrigué en aspersion sur frondaison avec des apports entre 100 et 160 mm selon les années, expliquant le maintien d’une flore active en été sur la parcelle. Cette modification de pratique ne perturbe pas un verger adulte (au moins sur des sols profonds et riches en MO) : la technique augmente la fourniture d’azote par les légumineuses (développement des trèfles, luzernes, vesces, gesses et lotier), économise du carburant et favorise, au-delà des osmies, nombre d’insectes utiles au verger ».
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