Plantes médicinales en élevage : comment aborder la question des résidus ?

Publié le : 4 septembre 2020

Une réglementation paradoxale

Depuis 2013, la note de synthèse de l’ANSES “sur le statut juridique du médicament vétérinaire au regard des produits à base de plantes” sert de référence pour préciser la situation réglementaire des plantes dites médicinales utilisées en élevage (cette note de position de l’ANSES était complétée en 2013 d’une note plus détaillée). Cette note rappelle que, en l’absence d’allégation de santé, les extraits de plante relèvent du statut d’aliment complémentaire avec des obligations réglementaires assez souples. Dans le cas contraire, ils deviennent un médicament vétérinaire sur la base de la définition du médicament par présentation.

Dans ce cas, hormis pour les huit présentations commerciales disposant d’une AMM, un mélange d’extrait de plante relève de la préparation magistrale. La préparation magistrale définit un cadre très précis concernant l’origine des matières premières et les conditions de fabrication. Pour qu’une plante soit incluse dans une préparation magistrale à destination d’animaux d’élevage, elle doit obligatoire figurer au tableau n°1 des LMR avec la mention « LMR non requise ». Dans ce cas-là, un temps d’attente forfaitaire (7 jours lait – 28 jours viande) est appliqué. Mais, hormis une dizaine d’huiles essentielles de plantes aromatiques (cannelle, fenouil, muscade, menthe, etc.), la majorité des plantes qui figurent dans ce tableau le sont avec la mention « réservé à la fabrication de remèdes homéopathiques ». De ce fait, les possibilités d’utiliser des plantes médicinales en élevage sont extrêmement réduites.

On se trouve dans une situation étrange où le même mélange est soit un complément alimentaire soit un médicament vétérinaire, sur la simple base d’une dénomination mais avec des obligations réglementaires très différentes. Cela explique que l’on voit fleurir des intitulés étranges tels que « mélange à base de plantes, destiné à renforcer les défenses immunitaires des ruminants domestiques dans un contexte de forte infestation parasitaire » alors que le technico-commercial le présentera oralement à l’éleveur comme un « vermifuge ».

Une solution pour sortir de cette situation absurde serait de considérer le statut de produit frontière aux plantes et extraits de plantes, en les plaçant dans une catégorie juridique à part : ni tout à fait médicament, mais plus qu’aliment. Une proposition de ce type a été proposée au Ministère de l’Agriculture, sur modèle des PNPP (Préparations Naturelles Peu Préoccupantes) dans le domaine des pathologies végétales.

Cela oblige à se poser la question des résidus que l’on pourrait retrouver dans le lait ou la viande et de leur éventuelle toxicité pour le consommateur.

L’impasse d’une approche classique

Dans la suite de cet article, nous allons prendre comme exemple celui des huiles essentielles pour les deux raisons suivantes : d’une part, du fait de leur forte concentration, les huiles essentielles sont souvent mises en avant comme étant un risque pour le consommateur, et d’autre part, ces extraits font l’objet de procédés d’analyse normalisés, ce qui facilite la réflexion sur la question des résidus.

La composition d’une huile essentielle (HE) est connue au travers d’une chromatographie qui précise les différentes molécules constituantes ainsi que leurs proportions. C’est sur cette base que les producteurs peuvent qualifier leur HE : par exemple, thym à linalol ou romarin à cinéole.

Ces chromatographies montrent que les HE sont des composés complexes de plusieurs dizaines, voire plus d’une centaine, de molécules différentes. Très souvent quelques composés sont en forte proportion (ainsi le thym à linalol comporte 30 à 50 % de linalol) tandis que la majorité des autres composés peuvent représenter moins de 1 % de l’HE. Par ailleurs, la composition exacte d’une huile essentielle va varier d’une année à l’autre, d’un producteur à l’autre, d’une distillation à l’autre. Pour cette raison, les chromatographies doivent être réalisées par lot de fabrication.

De très nombreux composés se retrouvent à l’identique dans les différentes huiles essentielles et l’on peut estimer que la trentaine d’HE utilisable en élevage représente environ 100 à 150 composés différents.

Une approche classique de la question des résidus serait de considérer les différents composés des HE comme des molécules nouvelles et de procéder à l’étude systématique des risques qui y sont attachés. Sur la base des connaissances de la toxicité chez l’homme de ces molécules, il serait possible d’élaborer un dossier LMR. Puis il faudrait étudier le devenir de chaque composé dans l’organisme des différentes espèces animales potentiellement concernées et doser les concentrations de la molécule d’origine et tous ses métabolites dans les produits animaux.

Il est peu probable qu’une telle démarche soit mise en place à cause de son coût très élevé : aucun laboratoire n’investira de telles sommes pour des substances qui ne peuvent faire l’objet d’une brevetabilité.

De plus, cette démarche analytique se heurte à un problème méthodologique : les propriétés d’une huile essentielle ne résultent pas de la seule somme des effets de chacun de ses composés. A minima, dans l’organisme, il peut y avoir des interactions entre des molécules modifiant les propriétés de certains composés et notamment leur toxicité. L’huile essentielle de basilic sacré comporte du méthyl-chavicol et du méthyl-eugénol connus pour leurs propriétés hépatocarcinogène chez la souris. Or cette même huile essentielle montre aussi une action antitumorale(1).

Il est probable que le métabolisme des différents composés des huiles essentielles soit aussi affecté par un effet « cocktail » obligeant à étudier ce métabolisme à partir de l’administration de l’HE complète.

Pour toutes ces raisons de complexité de la composition et de non brevetabilité du produit, il paraît aujourd’hui difficilement imaginable d’appliquer aux extraits de plantes les contraintes propres aux nouvelles molécules en ce qui concerne la question des résidus dans les produits animaux.

Prendre en compte la spécificité des plantes

Un obstacle supplémentaire d’un point de vue méthodologique est l’impossibilité de différencier un composé qui résulte d’une administration volontaire de celui qui se retrouve dans le lait ou la viande suite à la consommation de plantes aromatiques par les animaux. Car c’est bien là la spécificité des plantes, y compris médicinales, que de rentrer déjà dans la chaîne alimentaire aussi bien des animaux que des hommes.

Vaches, chèvres et brebis consomment des composés aromatiques

Certains chercheurs ont montré que des brebis ou des chèvres au pâturage consomment quotidiennement des quantités importantes de composés aromatiques(2). Il est ainsi possible d’estimer qu’un kilogramme de lait de brebis au pâturage apporte quatre à dix fois plus de composés aromatiques que la dose médicale recommandée pour l’homme(3).

On connaît depuis très longtemps le rôle joué par les plantes aromatiques dans la typicité des produits laitiers, particulièrement des fromages de montagne. De nombreuses études scientifiques ont cherché à caractériser les composants responsables du goût particulier des fromages. Dans le département du Cantal, il a été mis en évidence que les fromages d’appellation Cantal et Saint Nectaire sont riches en α-pinène, β-myrcène and β-phellandrène, tandis que seul le Cantal offre des quantités notables de tricyclène, α-phellandrène et géraniol(4). De nombreuses autres études ont été menées sur ce lien entre qualités organoleptiques du lait et présence de métabolites issus des plantes aromatiques consommées par les animaux en Italie(5), en Espagne(6), en Norvège(7)… pour ne citer que quelques exemples.

La relation entre la présence de métabolites issus de plantes pâturées, aromatiques ou non, dans la viande et le pâturage a fait aussi l’objet de différentes études(8). Il a même été montré que ces métabolites de plantes aromatiques peuvent servir de marqueur du recours au pâturage lors de l’engraissement d’agneaux(9).

Les travaux ont par ailleurs montré que l’administration d’huiles essentielles à des vaches laitières, modifie l’excrétion de ces métabolites dans le lait mais de façon marginale, parfois non significative, et toujours très fugacement(10).

D’autres études montrent que des composés d’huiles essentielles de thym, d’origan et d’ail administrés à des doses croissantes ne se retrouvent pas dans le lait(11,12,13). Même administrées par voie intra-mammaire, une huile essentielle comme celle de la sauge officinale ne persiste pas dans le lait de brebis après 24 à 48h(14).

On constate donc que les aliments issus de ruminants élevés au pâturage contiennent naturellement de grandes quantités de composés aromatiques. L’administration volontaire d’extraits de plantes ne modifie pas cette composition, sinon de façon marginale.

Compléments alimentaires chez l’homme

Par ailleurs, la réglementation définit la liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires chez l’homme (arrêté du 24 juin 2014 établissant la liste des plantes, autres que les champignons, autorisées dans les compléments alimentaires et les conditions de leur emploi). Cet arrêté comporte un tableau d’environ 540 plantes pouvant rentrer dans la composition des compléments alimentaires. Il prévoit que ces plantes peuvent être sous forme native (plante ou matière première végétale) ou sous forme d’extrait (préparations de plantes obtenues pas différents procédés, notamment la distillation).

Pour certaines plantes, des obligations d’étiquetage sont prévues pour déconseiller une utilisation prolongée ou par les femmes enceintes. Pour d’autres plantes, la concentration de certains composés ne doit pas dépasser un seuil défini. Enfin, les huiles essentielles de sauge officinale, d’armoise, d’hysope, de moutarde noire et de muscadier sont interdites.

Cet arrêté balise donc de façon assez précise les plantes qui peuvent rentrer dans la consommation alimentaire humaine.

Cela reflète que de nombreux extraits de plantes, potentiellement utilisables chez les animaux, sont aussi des plantes à usage alimentaire fréquemment utilisés comme épices ou condiments. A ce titre, elles rentrent déjà dans la chaîne alimentaire sans poser de problème de santé. Ce raisonnement est un des motifs de l’inclusion d’un certain nombre d’huiles essentielles d’épices dans le tableau des LMR avec la mention « LMR non requise » (voir par exemple le cas de la cannelle).

Dans certains cas, ce raisonnement présente une faille. Les basilics et l’estragon sont des plantes aromatiques qui contiennent du méthyl-chavicol (= estragole) dont il a été montré que la déshydrogénation dans le foie se traduit par l’apparition de propriétés hépatocarcinogènes à partir d’une certaine dose(15). La plante entière de basilic ou d’estragon ne présente pas de danger car elles contiennent certaines flavones qui jouent un rôle protecteur. Ces flavones, solubles dans l’eau, ne se retrouvent pas dans l’huile essentielle qui peut ainsi poser des problèmes de toxicité. Mais ce problème est très largement documenté(16) et peut permettre des choix d’usage raisonnés de ces huiles essentielles. Un autre exemple est donné par l’huile essentielle de muscade. Celle-ci est interdite comme complément alimentaire par l’arrếté du 24 juin à cause de la toxicité de la myristicine. Pourtant, cette HE se retrouve dans le tableau n°1 des LMR avec la mention « LMR non requise » et la précision « A n’utiliser que sur des animaux nouveau-nés ».

Reconnaître les extraits de plantes comme substances frontière

La situation réglementaire actuelle est largement insatisfaisante. La classification des extraits de plantes dans la catégorie des médicaments vétérinaires soulève l’insoluble problème de leur inscription au tableau n°1 des LMR. Sans cette inscription, aucun usage de ces extraits de plantes n’est autorisé en Europe dans un cadre thérapeutique, donc au sein de préparations magistrales.

Mais il est possible de reconnaître la spécificité des plantes et extraits de plantes par leur présence permanente dans la chaîne alimentaire, que ce soit par la consommation de plantes aromatiques par les animaux, ou par leur usage dans l’alimentation humaine.

Il semble donc raisonnable d’inclure ces extraits de plantes dans une catégorie juridique intermédiaire, qui reconnaîtrait leur statut spécifique, sans pour autant faire courir de risques aux consommateurs. Les extraits qui pourraient poser des problèmes de toxicité seraient soit interdits d’utilisation, soit limités à certains animaux (non laitiers, jeunes, etc.) ou certains dosages. Une telle option ouvrirait une solution à la situation ubuesque actuelle.

Rédaction : Michel Bouy, vétérinaire, Cabinet Antikor

Sources

  1. Aruna K, Sivaramakrishnan VM Anticarcinogenic effects of the essential oils from cumin, poppy and basil. Phytotherapy Research 10:577-580.
  2. Poulopoulou I, Zoidis E, Massouras T, Hadjigeorgiou I. Transfer of Orally Administered Terpenes in Goat Milk and Cheese, Asian-Australas J Anim Sci. 2012;25(10):1411-1418. DOI: doi.org/10.5713/ajas.2012.12165.
  3. Hilpipre Cécile, Journées Aromathérapie clinique : huiles essentielles, élevage et toxicité, 2018, INRA-SAEB.
  4. Cornu, A. , Kondjoyan, N. , Martin, B. , Verdier‐Metz, I. , Pradel, P. , Berdagué, J. and Coulon, J. (2005), Terpene profiles in Cantal and Saint‐Nectaire‐type cheese made from raw or pasteurised milk. J. Sci. Food Agric., 85: 2040-2046. doi:10.1002/jsfa.2214.
  5. M. Bergamaschi and G. Bittante. From milk to cheese: Evolution of flavor fingerprint of milk, cream, curd, whey, ricotta, scotta, and ripened cheese obtained during summer Alpine pasture, Journal of Dairy Science, 10.3168/jds.2017-13573, 101, 5, (3918-3934), (2018).
  6. Izaskun Valdivielso, Mertxe de Renobales, Noelia Aldai and Luis Javier R. Barron, Changes in terpenoid composition of milk and cheese from commercial sheep flocks associated with seasonal feeding regimens throughout lactation, Journal of Dairy Science, 10.3168/jds.2016-11761, 100, 1, (96-105), (2017).
  7. Grethe Iren A. Borge, Ellen Sandberg, Jorun Øyaas, Roger K. Abrahamsen, Variation of terpenes in milk and cultured cream from Norwegian alpine rangeland-fed and indoor fed cows, Food Chemistry, Volume 199, 2016, Pages 195-202, ISSN 0308-8146, https://doi.org/10.1016/j.foodchem.2015.11.098.
  8. Prache, s & Nathalie, Kondjoyan & Delfosse, Olivier & Chauveau-Duriot, B & Andueza, D & Cornu, Agnes. (2009). Discrimination of pasture fed lambs from lambs fed dehydrated alfalfa indoors using different compounds measured in the fat, meat and plasma. Animal : an international journal of animal bioscience. 3. 598-605. 10.1017/S1751731108003881.
  9. Serrano, Emma & Cornu, Agnes & Nathalie, Kondjoyan & Agabriel, J & Micol, D. (2011). Traceabil-ity of grass feeding in beef: Terpenes, 2,3-octanedione and skatole accumulation in adipose tissue of young bulls. Animal : an international journal of animal bioscience. 5. 641-9. 10.1017/S1751731110002296.
  10. J. Lejonklev, M.M. Løkke, M.K. Larsen, G. Mortensen, M.A. Petersen, M.R. Weisbjerg, Transfer of terpenes from essential oils into cow milk, Journal of Dairy Science, Volume 96, Issue 7, 2013, Pages 4235-4241, ISSN 0022-0302, https://doi.org/10.3168/jds.2012-6502.
  11. HALLIER A., NOIROT V., MEDINA B., LEBOEUF L., CAVRET S., Dosage dans le lait de vache de composés actifs d’huiles essentielles administrées par voie orale, Rencontres Recherches Ruminants, 2013, INRA, Paris.
  12. Ferme D., Avgustin G., Kamel C., Effets d’une supplémentation à base d’extrait d’ail (Allium sativa) et de cinnamaldéhyde sur la présence de résidus chez la vache laitière 2007.Renc. Rech. Rumin. 14, 258.
  13. A. Hallier, V. Noirot, B. Medina, L. Leboeuf, S. Cavret, Development of a method to determine essential oil residues in cow milk, Journal of Dairy Science, Volume 96, Issue 3, 2013, Pages 1447-1454, ISSN 0022-0302, https://doi.org/10.3168/jds.2012-6152.
  14. Alekish, Myassar & Bani Ismail, Zuhair & Awawdeh, Mofleh & Shatnawi, Shoroq. (2017). Effects of intramammary infusion of sage (Salvia officinalis) essential oil on milk somatic cell count, milk composition parameters and selected hematology and serum biochemical parameters in Awassi sheep with subclinical mastitis. Veterinary World. 10. 895-900. 10.14202/vet-world.2017.895-900.
  15. Bureau L – Actualité en phytothérapie – 2016. DOI 10.1007/s10298-016-1065-4.
  16. Piero Sesteli et col. The potential effects of Ocimum basilicum on health: a review of pharmacological and toxicological studies, Expert Opinion on Drug Metabolism & Toxicology, vol 14, 2018, https://doi.org/10.1080/17425255.2018.1484450.