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Comme dans les autres filières laitières (vaches et brebis), la filière caprine bute sur la valorisation des mâles et de ses réformes. La consommation de produits issus du lait de chèvre biologique augmente constamment et le cheptel caprin avec (+ 15 % en 2018 au niveau national, d’après l’Agence bio). En région Grand Est, on compte 2166 chèvres reproductrices qui donnent naissance à près de 1950 cabris. Les éleveurs trouvent bon an mal an des solutions mais elles ne sont pas toujours satisfaisantes. Et quand la seule solution est la vente à un engraisseur conventionnel, on frôle parfois avec les limites du cahier des charges afin de ne pas (trop) perdre d’argent dans l’élevage des petits.
Dans la filière caprine, le dilemme de la valorisation des mâles rassemble les éleveurs biologiques et les éleveurs conventionnels.
En effet, au niveau national, les opérateurs d’engraissement et d’abattage des chevreaux (tous conventionnels) se concentrent dans les gros bassins de production : grand Ouest de la France et Rhône-Alpes. La consommation de chevreaux, en général, est assez confidentielle… Ne parlons pas de la consommation de chevreaux bio ! Quand ils ne sont pas engraissés et valorisés dans leur élevage de naissance, les chevreaux sont envoyés chez des engraisseurs. Ils se retrouvent ainsi dans la filière conventionnelle pour une valorisation principalement à l’export. Un crève-cœur pour les éleveurs bio mais un moindre mal quand on sait que dans la filière conventionnelle, 14 à 18 % des effectifs sont équarris ; phénomène que l’on n’observe pas en bio.
La viande de chevreau « souffre » de son image d’animal mignon auprès du consommateur, et sans doute encore plus auprès du consommateur bio. De manière générale, ce dernier mange d’ailleurs moins de viande que les autres consommateurs. La viande ne représente que 10 % des achats des consommateurs bio et même si sa consommation a augmenté de 20 % en 2018, cela concerne principalement les viandes de porc et de volaille. La viande de chevreau et/ou de chèvre n’apparaît même pas dans les tableaux statistiques de l’Agence Bio.
Lait de chèvre
Cheptel national et production :
Cheptel régional et production :
Viande caprine
Sources : Agence Bio, Contrat de filière suite aux EGA (ANICAP, Interbev)
Cette question est d’autant plus d’actualité que les deux engraisseurs conventionnels de la région (nord du Bas-Rhin et Haute-Saône) arrêtent leur activité sans repreneur. Ils absorbaient une grosse partie des volumes régionaux ainsi qu’en provenance d’élevages allemands (Bioland).
Cet été, la Chambre d’agriculture d’Alsace a enquêté les éleveurs alsaciens afin de faire un état des lieux des solutions mises en place sur ce territoire. Avec 26 répondants dont seulement 9 en bio, il est difficile d’isoler les bio. Les profils des élevages bio et conventionnels confondus sont assez similaires sur ce territoire. Nous vous présentons donc ici les résultats mixtes.
D’après l’enquête, on compte que tous les ans 48 cabris en moyenne naissent par élevage et ne sont ni élevés pour le renouvellement, ni vendus en élevage. Les élevages comptent aussi presque 9 chèvres à réformer en moyenne chaque année. Par extrapolation, sur l’Alsace, on compte chaque année 3000 chevreaux – dont 1000 en bio –, et 1000 chèvres de réforme – dont 300 en bio –, à valoriser (le cheptel bio représente 30 % du cheptel caprin en Alsace).
Il convient de distinguer les deux filières séparément : cabris et chèvres de réforme suivent des circuits très différents. Les cabris sont quasiment tous valorisés même si l’organisation dans chaque ferme est très variée. Certains éleveurs font appel à la fois aux circuits courts et longs, alors que d’autres privilégient l’un ou l’autre de ces modes de commercialisation. A l’inverse, les chèvres de réforme ne prennent pas toutes le chemin de l’abattoir dès leur fin de carrière de laitière. Pour 28 % d’entre elles, elles finissent leur vie à la ferme ou bien chez des particuliers pour du débroussaillage ou en tant que chèvres de compagnie. Si on isole les résultats des élevages bio, la proportion de vente à des particuliers est plus marquée et presque aucune chèvre bio n’est envoyée à l’équarrissage.
Près de 50 % des chevreaux et des chèvres sont donc valorisés directement par les éleveurs eux-mêmes. Ils font principalement appel aux services des abattoirs de proximité (Sarrebourg, Haguenau et Cernay), les trois ayant la certification bio.
Les chevreaux sont principalement vendus sous forme de caissette (viande fraîche) ou de plats transformés cuisinés (merguez, roulé, terrines, bocaux) à une clientèle variée (clients de vente directe à la ferme et sur les marché ou pour la restauration). Les chèvres de réforme, quant à elles, se retrouvent surtout dans les assiettes des clients de la vente directe sous forme de saucisson, saucisse à croquer ou salami.
Pour nourrir un chevreau, il faut du lait. Jusque là, tout va bien. Mais quand l’élevage base ses revenus sur la vente de lait transformé en fromage, la concurrence devient rude pour l’utilisation du lait. Jusqu’à quel point cela vaut la peine d’élever les chevreaux au lait maternel ? Quelles alternatives se présentent aux éleveurs ? À quel prix ? Et comment rentrer dans ses frais quand la viande de chevreau est si difficile à vendre ? L’équation est difficile à résoudre et l’argument du label AB ne permet pas de faire franchir le pas si facilement au consommateur.
Alors que se passe-t-il sur le terrain ? Les solutions sont variées : chevreaux élevés sous la mère, achat de lait de vache bio chez un voisin, achat de poudre de lait bio. Les impacts sur le coût d’alimentation du chevreau sont bien sûr très différents (voir tableau ci-contre, réalisé par la Chambre d’agriculture d’Alsace).
La poudre de lait bio coûte jusqu’à trois fois le prix de la poudre conventionnelle. Sur le territoire national, vu le peu de valorisation possible de la viande caprine, certains élevages ont recours à de la poudre de lait conventionnel. Mais attention, cette pratique n’est pas autorisée en
agriculture biologique.
Pour le réseau FNAB, il est nécessaire, à moyen terme, de trouver des solutions pour passer d’un usage souvent généralisé de poudre de lait conventionnel aujourd’hui à du lait bio (pas nécessairement maternel). L’usage du lait en poudre, outre son prix, semble compromis puisque les formules proposées par les deux fabricants contiennent des matières grasses végétales bio, ingrédients qui seront interdits dès la mise en application du règlement européen révisé en 2021, les jeunes devront alors être nourris avec un lait bio et naturel.
Face à cette évolution de la réglementation, au manque d’engraisseurs conventionnel et bio et au prix de la poudre de lait bio, des éleveurs de chèvres et ovins lait bio ont entamé une réflexion collective autour de la valorisation des chevreaux et des agneaux de lait et des évolutions des pratiques en élevage vers une alimentation sans poudre conventionnelle.
En région Grand Est, des pistes sont évoquées : atelier d’engraissement des chevreaux et agneaux bio collectif, communication auprès des consommateurs sur le lien intrinsèque entre fromage et viande, outils d’abattage et de transformation certifiés bio en région et accessibilité, liens avec les fermes-auberges, alimentation lactée au lait de vache, élevage des chevrettes sous les mères pour le renouvellement et la vente à la reproduction, lactation longue pour diminuer les naissances…
Dans le cadre du futur règlement bio entrant en vigueur en janvier 2021, la commission européenne a éclairci son positionnement sur l’usage des différents types de lait pour l’alimentation des jeunes mammifères bio.
L’INAO a souhaité retranscrire dès maintenant ce changement dans le guide de lecture du règlement bio. Voici la nouvelle application de la réglementation :
Les animaux sont nourris au lait maternel. En cas d’impossibilité, ils peuvent être nourris avec un lait naturel biologique :
– De préférence d’une mère allaitante de la même espèce provenant de la même exploitation,
– D’une mère allaitante de la même espèce provenant d’une exploitation biologique de la région ou d’une mère allaitante d’une autre espèce provenant de l’exploitation ou d’une exploitation biologique de la région.
Les laits reconstitués en poudre, contenant des matières d’origines végétales ou des composants chimiques de synthèse ne peuvent pas être considérés comme du « lait naturel ».
De ce fait, certains lait en poudre actuellement certifiés « utilisables en AB » pourraient ne plus l’être. Si vous êtes concerné, pensez à le vérifier auprès de votre organisme certificateur.
L’utilisation de lait en poudre non bio suite à une préconisation vétérinaire n’est pas remise en cause :
L’alimentation d’une partie des jeunes (agneaux, veaux, chevreaux) avec des laits naturels non bio, comme pratique d’élevage exceptionnelle (problème d’adoption par la mère, usage thérapeutique ponctuel) constitue une non-conformité au règlement pour les jeunes concernés, entraînant leur déclassement (puis conversion selon les délais fixés à l’art. 38 du RCE/889/2008), mais ne doit pas être considérée comme un doublon bio / non bio sur la même espèce animale. Cela n’entraîne pas le déclassement des autres animaux de la même espèce
présents sur l’exploitation.
Rédaction : Danaé Girard et Julia Sicard (Bio en Grand Est), avec la contribution d’Adeline Wimmer (Chambre d’agriculture d’Alsace)
Crédit photos : Bio en Grand Est
Article initialement paru dans les Lettres AB n°24 – déc. 2019 , le magazine de Bio en Grand Est
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