L’élevage de chevrettes en agriculture biologique

Publié le : 3 décembre 2019

Bases réglementaires et implications techniques

Les chevrettes sont l’avenir du troupeau. A ce titre, un accident d’élevage peut avoir des conséquences néfastes durables. En AB, la réglementation exacerbe les marches techniques (phase lactée, sevrage et pâturage). Bien maîtriser la règlementation, les étapes clefs de l’élevage, les principes d’alimentation, et les risques sanitaires sont des préalables pour faire les choix techniques adaptés à son contexte d’élevage.

En élevage conventionnel, la mobilisation de poudre de lait pour l’élevage des jeunes est la norme pour motifs sanitaires et économiques. En AB, la phase lactée est encadrée et positionne la préférence pour le lait maternel. Le cahier des charges européen (Art. 20 du RCE/889/2008) indique : « Tous les jeunes mammifères sont nourris au lait maternel, de préférence à d’autres laits naturels, […] pendant une période minimale […], de 45 jours pour les ovins et caprins […] ». Le guide de lecture de l’INAO (version décembre 2018) précise ce point en ces termes : « Il s’agit de lait, entier ou non, sans aucun additif, liquide ou en poudre et BIO. Nourrir les jeunes avec du lait non bio constitue un manquement aux règles de la production biologique quand bien même cela serait effectué dans le cadre de la prophylaxie contre les maladies transmissibles par le lait maternel et sous justification vétérinaire« .

Quelle interprétation sur le terrain en 2019 ?

Si l’éleveur utilise le lait maternel (sous la mère, louve, gouttière, taxi lait), il est en adéquation avec le cahier des charges. Le lait de vache bio liquide constitue une alternative au lait maternel motivable auprès du certificateur. Pour la poudre de lait, la préconisation par le vétérinaire pour motifs sanitaires (CAEV, mycoplasmes…) reste l’argument-massue à son utilisation.

Si l’éleveur a une préconisation vétérinaire pour motif sanitaire et utilise une poudre de lait bio, il est en conformité. Si l’éleveur a une préconisation vétérinaire pour motif sanitaire et utilise une poudre de lait conventionnelle, cela constitue un manquement au règlement, mais sans conséquence sur la certification du troupeau. Les chevrettes sont déclassées, mais peuvent rester sur l’exploitation ; le cas ne relève pas d’une mixité interdite. Après le sevrage, les chevrettes repartent en conversion avec une alimentation bio et sont en bio pour les mises bas.

La non-conformité avec cas de mixité interdite concerne l’utilisation d’une poudre de lait conventionnelle, alors que l’élevage ne dispose d’aucune préconisation vétérinaire d’usage de poudre de lait pour motif sanitaire. Cette tolérance à l’utilisation d’une poudre de lait conventionnelle (si, et seulement si, il existe une préconisation vétérinaire pour l’élevage) pourrait évoluer avec la multiplication des opérateurs proposant des poudres de lait bio, donc une plus forte accessibilité en disponibilité et en coût. A ce jour, seuls deux fabricants sont positionnés en France et proposent une poudre de lait bio pour l’élevage des chevreaux autour de 5 000 € la tonne (jusqu’à 3 fois le prix d’une poudre de lait conventionnelle, alors que le différentiel de valorisation du lait bio par rapport au lait conventionnel n’est fréquemment que de 25 %).

Enfin, utiliser de la poudre de lait bio sans prescription vétérinaire, en alternative au lait maternel sur des motifs propre à l’éleveur tels que l’organisation du travail ou encore la perte de lait commercialisé et/ou transformé engendrant une perte de valeur ajoutée, reste en l’état une pratique acceptée. Le certificateur se limite à rappeler la hiérarchie préférentielle des laits.

Le sevrage des chevrettes

La réglementation AB cadre la durée minimale de la phase lactée (45 jours a minima). Cela exclut automatiquement les sevrages précoces à 10 kg autour de 4 à 5 semaines. Ce type de sevrage est de toute manière déconseillé tant le choc est marqué car à cet âge, les réserves corporelles de la chevrette sont insuffisantes. Un sevrage à 5-6 semaine à 12 kg est encore juste sur un plan réglementaire. Le sevrage à partir de 45 jours et 14 kg de poids vif minimum constitue un objectif cohérent règlementairement et techniquement, avec un équilibre technico-économique supérieur sur les sevrages tardifs à 60 jours ou plus, avec des chevrettes à 18-20 kg, pour lesquelles le gain de poids vif par l’alimentation lactée coûte plus cher que celui obtenu par l’alimentation solide. On privilégiera la mise en lots de chevrettes de poids homogènes pour différer le sevrage des plus légères à la généralisation du sevrage tardif et pour permettre aux « retardataires » d’atteindre les 14 kg.

Le pâturage des jeunes ruminants

© FRAB Nouvelle-Aquitaine

Autre pratique interrogée par le cahier des charges européen AB : le pâturage des jeunes ruminants. Ce dernier (Art. 14.2 et 20.2 du RCE/889/2008) indique : « Les animaux d’élevage bénéficient d’un accès permanent à des espaces de plein air… Les herbivores ont accès aux pâturages pour brouter à chaque fois que les conditions le permettent« .

Le guide de lecture de l’INAO (version décembre 2018) précise le paragraphe en ces termes : « Les jeunes animaux (veaux, agneaux, chevreaux) qui sont encore sous alimentation lactée ne sont pas encore des herbivores et ne sont donc pas soumis aux exigences de l’art. 14 paragraphe 2 du RCE n°889/2008 sur l’accès au pâturage, mais ils doivent pouvoir accéder aux surfaces intérieures et aux aires d’exercices extérieures prévues à l’annexe III. »

Quelles incidences en pratique sur les élevages ? D’une part, dès la phase lactée, la mise à disposition d’une aire d’exercice pour les chevrettes est de l’ordre de 0,5 m². D’autre part, à partir du sevrage, la chevrette relève (sur la base d’une lecture rigoriste de la règlementation) de la catégorie des jeunes ruminants et est donc normalement soumise aux exigences de l’art. 14. Or techniquement, le pâturage à cet âge (environ 60 jours) est contre-productif (on entend ici un objectif de pâturage « réel » avec une contribution significative de l’herbe à la ration, où les chevrettes ne peuvent revenir librement au bâtiment, autrement dit il ne s’agit pas d’une aire d’exercice ou d’une aire de jeu). Si l’acquisition d’habitudes alimentaires, point clé pour une utilisation optimale des prairies, est largement subordonnée à une sortie des animaux lors de leur première année de vie, la mise à l’herbe ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions pour atteindre les objectifs de chevrettes prêtes à une mise en lutte à 8/9 mois.

Attention aux mises à l’herbe trop précoces

Des expérimentations à la Ferme du Pradel (07) ont montré que des mises à l’herbe précoces à 3 mois, trop proches du sevrage, limitent la croissance des chevrettes. Or la période entre 2 et 4 mois est une période clé de la croissance où un retard est difficilement récupérable car la vitesse de croissance après 4 mois est physiologiquement moins élevée. Il est techniquement fondé, après le sevrage, de ne pas provoquer un autre stress alimentaire que celui généré par le sevrage (mise à l’herbe, par exemple), donc de se limiter à une alimentation en chèvrerie avec accès à l’aire d’exercice dès que les conditions s’y prêtent. Le réseau FNAB travaille à faire préciser ce point du cahier des charges, susceptible de conduire les éleveurs à des impasses techniques en caprins, s’il est interprété à la lettre.

On positionnera donc des mises à l’herbe à partir de 4 mois pour des chevrettes nées entre décembre et mars. Et pour des chevrettes nées à l’automne, la mise à l’herbe se fera à plus de 5 mois sur des parcelles dédiées (gestion intégrée du parasitisme) pour un apprentissage du pâturage apportant une véritable plus-value aux chèvres.

 

Article rédigé par Philippe DESMAISON, Chargé de mission Elevage Bio à Agrobio Deux-Sèvres – FRAB Nouvelle-Aquitaine

Source : Y. LEFRILEUX et C. CHARTIER

Crédit photos : FRAB Nouvelle-Aquitaine