Vanessa Masto – Caprin – Alpes de Haute Provence

Une conversion rapide et réussie en élevage caprin

Je me suis installée fin 2001 avec mon mari François, en élevage caprin avec production fromagère à la ferme. Nous avons démarré avec des chèvres du Rove ainsi que des Alpines, puis le troupeau a été maintenu à quelques exceptions près en chèvres du Rove.

La conversion de la ferme en AB a commencé par mon engagement auprès de Qualité-France en juillet 2009. Elle a pu être rapide, six mois, puisque mes pratiques étaient déjà proches de celles de l’AB. J’ai également pu prouver que les terres n’avaient pas reçu de produits chimiques de synthèse depuis plus de trois ans (les parcours et prairies étaient exclusivement pâturés). La production 2010 a donc été certifiée.

Un accompagnement bien utile

Nous avons sollicité l’appui d’AGRIBIO 04, notamment pour la rédaction du diagnostic conversion. Après évaluation des aides potentielles pouvant nous être accordées pendant la transition, le crédit d’impôt s’est révélé être le plus intéressant. De plus, la contraction d’une MAE « Conversion à l’AB » aurait entraîné une conversion en 24 mois, moins intéressante pour nous. Bien-sûr nous bénéficions également de l’aide à la certification. En 2011, en déclarant nos revenus de l’année 2010, première année certifiée en AB, nous avons eu droit au crédit d’impôt.

Peu de changements de pratiques

Le troupeau est passé de 90 chèvres en lactation en 2002, pour arriver à 55 juste avant conversion. Notre objectif était de minimiser la taille du troupeau tout en amenant la production de lait par chèvre à son potentiel maximal.

Notre assolement a peu changé depuis l’installation : notre troupeau pâture sur 29 ha de parcours, et 3 ha de prairies permanentes qui ne sont pas fauchées. En effet, nous n’avons pas de matériel agricole sur la ferme. Courant 2008, nous nous sommes tournés vers un agriculteur de la commune, Lionel Blanc, pour nous fournir les fourrages. Sa production était certifiée AB. En 2009, il nous a produit du grain pour la complémentation, également en AB. L’alimentation du troupeau n’était donc plus un souci pour une éventuelle conversion !

Trois types de fromages étaient produits à la ferme : des lactiques, des brousses et le fameux Banon qui bénéficie d’une AOC. Nous transformions environ 16 000 L de lait par an. La production de nos chèvres n’a visiblement pas varié avant et après conversion. Cependant, nous pensions pouvoir pousser la production de nos chèvres, actuellement de 290 L par an, jusqu’à 350 L en faisant une sélection efficace.

La commercialisation est le volet qui a le plus changé suite à la conversion

Avant certification, nous travaillions avec deux fromagers affineurs, M. Mons à Lyon et M. Bourgue à Avignon, qui nous ont appuyés pour un passage en bio. Nous fournissions également une épicerie et deux restaurants.

Notre objectif après conversion a été de diversifier nos ventes, en fournissant 5 AMAP, une Biocoop, et un seul restaurant. Les fromagers affineurs restaient nos plus gros clients, même si M. Mons ne spécifiait pas le fait que nos fromages soient certifiés dans sa propre commercialisation. Nous avons renégocié la valorisation de nos fromages auprès de nos acheteurs, et la hausse après conversion était de 12 %.

Ces changements de stratégie de vente ont augmenté notre charge de travail : nous avons cherché à optimiser nos livraisons, mais elles restaient bien-sûr importantes. De plus, le fait de livrer des AMAP nous imposait plus de temps de conditionnement. Globalement, nous sommes satisfaits du passage en bio. Nos pratiques ont peu changé, mais une partie de notre production a été mieux valorisée grâce aux AMAP et à la Biocoop. Cela nous a assuré une meilleure trésorerie pour démarrer la saison suivante.

Bien entendu il y aurait des choses à améliorer. Nous avons constaté qu’il est parfois difficile de travailler avec les AMAP, car les maraîchers arrêtent momentanément leurs livraisons vers le début du printemps, or c’est la période pendant laquelle nous avons une forte production. Enfin, nos chevreaux partent toujours dans des filières d’engraissement traditionnelles. Il serait peut-être intéressant de créer une filière d’engraissement en AB.

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 1, Des agriculteurs bien dans leur terre…, édité par Bio de Provence

Et depuis, que sont-ils devenus ?

Les pratiques sont restées les mêmes

Depuis 5 ans, le troupeau a légèrement augmenté. Il se stabilise entre 60 et 65 chèvres, 2 boucs et une dizaine de chevrettes par an destinées au renouvellement de notre cheptel. Notre souhait initial était de diminuer la taille du troupeau après la conversion (nous avions 90 chèvres en lactation à l’origine), tout en amenant la production de lait initialement de 290 L/an/chèvre à 350 L/an/chèvre. Aujourd’hui la production annuelle est proche de 19 000 L, soit une production de 295 L/an/chèvre. L’objectif n’est donc pas encore atteint, mais nous sommes satisfaits de cet effectif.

Concernant l’alimentation du troupeau, rien n’a changé. Notre troupeau pâture sur 29 hectares de parcours et 3 hectares de prairie permanente. Pour le fourrage, nous nous adressons toujours à Lionel Blanc, un agriculteur de la commune. Si nous déplorons la différence de prix entre le fourrage certifié AB et le fourrage conventionnel, nous ne souhaitons tout de même pas nous lancer dans cette production. Cela nécessiterait un investissement trop conséquent et l’achat de terres mécanisables.

Nous n’avons connu à ce jour aucun problème sanitaire majeur. Notre troupeau est en bonne santé. Nous ne vaccinons pas systématiquement nos bêtes. Le plus délicat dans notre cas est de se procurer des mâles du Rove en AB. Afin d’avoir plus de choix d’un point de vue génétique, nous achetons des chevreaux dans le circuit conventionnel entre 15 jours et 1 mois que nous élevons ensuite sur l’exploitation. Ceux-ci passent par une conversion de 6 mois avant de pouvoir être certifiés AB, mais cela reste peu contraignant.

Un accompagnement technique volontairement réduit

A ce jour, nous ne souhaitons pas forcément être accompagnés techniquement. Nous avons donc décidé de nous focaliser sur notre troupeau et ainsi renforcer notre expérience. La connaissance de nos terres ainsi que l’observation de nos bêtes nous permettent d’apprendre énormément. C’est là que nous pouvons réellement comprendre l’impact de certaines pratiques sur la qualité du lait. Pour nous, l’expérience est et restera notre meilleure source d’amélioration.

Toutefois, ayant deux labels (AOP et AB), nous sommes régulièrement suivis et contrôlés par les organismes certificateurs ainsi que la DSV. Si cela est au premier abord contraignant, on s’y habitue rapidement.

Notre conversion s’est très bien passée, et nous sommes toujours aussi contents d’avoir sauté le pas. Si la partie administrative de la conversion a été un petit frein, nous n’éprouvons à ce jour aucun regret. Et je pense que cela a été très bien accepté par notre entourage et nos clients. Nous rencontrons plus de jugements sur le fait d’être éleveurs caprins que sur le fait de répondre au cahier des charges de l’agriculture biologique !

La commercialisation est ce qui a le plus changé depuis 5 ans

Tout d’abord, il est important de préciser que nous avons toujours travaillé à la commande. Cela nécessite de faire quelques compromis sur les prix de vente mais évite toute perte sèche. Notre passage en bio nous a seulement obligés à diversifier notre portefeuille de clients. Les deux premières années de certification, nous fournissions 5 AMAP, 1 Biocoop et 1 restaurant. Nous avions également conservé les deux fromagers affineurs avec lesquelles nous travaillions auparavant, mais en renégociant à la hausse la valorisation de nos produits.

Ce changement de stratégie de vente avait considérablement augmenté notre charge de travail et ce même si nous optimisions nos livraisons. De plus, il était devenu de plus en plus difficile de travailler avec les AMAP. Nous fonctionnions avec une organisation de précommandes, ce qui engendrait des temps de préparation trop importants. Les livraisons se faisant à Avignon, Apt, Bonnieux et Cavaillon, la commercialisation de nos produits était rapidement devenue très contraignante et n’était pas adaptée à notre situation familiale.

C’est pourquoi deux ans après notre conversion, nous avons à nouveau changé de stratégie et avons ciblé un seul et même client : M. Mons à Lyon, fromager affineur. Il nous a soutenu lors de notre passage à l’agriculture biologique et était surtout intéressé pour s’approvisionner davantage chez nous. En conséquence, nous avons restreint notre production autour des fromages qu’il recherchait, à savoir les fromages lactiques et le banon AOP. La livraison de notre production s’effectue à Avignon une fois par semaine, et est acheminée à Lyon dans un camion réfrigéré. Nous sommes conscients que cette nouvelle stratégie de commercialisation n’est pas sans risque mais elle nous permet de mieux nous consacrer au cheptel et également de nous dégager du temps pour notre vie de famille.

De plus, notre production est exportée dans les pays du Nord où elle est appréciée pour sa qualité, mais également pour son mode de production biologique. Cela n’est pas toujours le cas en local, où une confusion persiste auprès des consommateurs entre fromages AB et fromages fermiers. Enfin, il n’y a pas eu de changement concernant la valorisation de nos chevreaux puisque ceux-ci partent encore dans des filières d’engraissement traditionnelles.

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 4 – Que sont devenus les témoins du tome 1, édité par Bio de Provence