Anne Le Brigant – Ovin viande – Côtes d’Armor

Anne Le Brigant s’est installée en 2015, en agneaux bio. Elle qui voulait s’installer progressivement a saisi une opportunité foncière pour sauter le pas un peu plus tôt que prévu. Mais sans regret. Dans une production qui manque de références, elle fait son bonhomme de chemins, en s’appuyant sur l’expérience des anciens, qu’ils soient bio ou non. Et avec toujours une attitude positive.

anne le brigant Anne Le Brigant sur sa ferme - crédit FRAB Bretagne

Qu’est-ce qui t’a décidé à t’installer en moutons ?

J’avais en tête de m’installer au cours de mon BTS production animale au Rheu. On y a étudié la vache laitière, le cochon et le mouton. Le mouton ça me branchait bien, mais je voulais voir ce que c’était un élevage à taille professionnelle. J’ai fait un stage à Trémargat (22), chez François et Yvette Clément, qui avaient un atelier de 300 mères à deux. Je ne suis plus reparti. Je passais tous mes week-ends et toutes mes vacances là-bas. Je me suis vite projetée dans cette production.

Comment as-tu cheminé une fois cette décision prise ?

Avec mon compagnon, on a acheté notre maison en 2012, et j’ai pu rapidement louer 7 ha de terres à des voisins. J’ai mis des Bretonnes Pie Noir en allaitantes pendant à peu près 2 ans, tout en continuant à travailler au contrôle laitier. A ce moment-là, j’avais en tête de faire une installation progressive, de diminuer mon temps de travail et de mettre en place l’atelier ovin viande. Par contre, ça n’a pas plu aux banques. J’ai été les voir pour emprunter 20 000 €, pour grillager et acheter les cheptels. On m’a dit non. J’avais déjà un tracteur, et du matériel, mais je n’avais pas de terres en propriété, donc pas de garanties derrière.

A l’été 2014, 20 hectares de terres ont été mis en vente à côté. C’était très cher. J’ai appelé la SAFER, où on m’a clairement dit que si je voulais avoir ces terres, il fallait que je m’installe. En novembre 2014, j’ai quitté mon emploi au Contrôle laitier et j’ai pu acheter 10 ha sur les 20 ha, parce que les voisins avaient déjà prévu de se partager ces terres. Ils se sont partagés 10 ha. Aujourd’hui je vois les choses un peu différemment, mais à l’époque 10 ha ça me suffisait, parce que je ne voulais pas emprunter plus, et aussi parce que je cherchais de l’accessible avant tout. Ces terres sont déjà un peu loin : Il y a 700 mètres à peu près, mais pour aller avec tout un troupeau de moutons, des agneaux, ça fait un peu loin. Si j’avais eu 20 ha là-bas, il fallait un bâtiment là-bas, c’était un autre projet.

C’est donc le foncier qui a structuré ton projet ?

Ça se construit par bloc. Comme partout, l’accès au foncier n’est pas évident. On récupère petits bouts par petits bouts. Je m’entends très bien avec mes voisins, il y a beaucoup d’entraide ; quand j’ai besoin d’eux, ils sont là, mais quand il y a de la terre en jeu… On a négocié pendant des mois, mais j’ai pu avoir ce que je voulais. Le point positif c’est qu’on a pu faire des échanges de parcelles, qui m’ont permis d’avoir plus de terres accessibles pour le pâturage. Donc au final, ça s’est bien passé.

Il y a peu de références en ovins viande, comment as-tu construit ton projet ?

Le parcours à l’installation en général, ce n’est pas évident, car on est dans la projection sans avoir toujours toutes les données en main. Des projets comme l’ovin viande, c’est très peu connu, on n’a peu de références. J’avais beaucoup d’enthousiasme et une vision précise de mon projet, donc je ne voulais pas qu’on m’oriente trop vers une voie qui ne m’aurait pas correspondu. C’est un peu la difficulté sur ces projets là. On fait des plans d’entreprise qui peuvent vite être déconnectés de la réalité. Comment on peut être dans le vrai quand on ne connait pas encore bien la ferme ? C’est assez flou. On peut tout écrire, après il y a la réalité du terrain. Mais pour l’instant, ça correspond à mes attentes.

Comment tu fais justement pour trouver des références et des infos ?

J’ai la chance d’être bien entourée par des éleveurs de moutons, bio et non bio. Ils sont plutôt en fin de carrière, donc ils ont l’expérience, ce sont eux mes personnes ressources. Je lis beaucoup, je fais des recherchas sur Internet, car je suis passionnée par cette production. Mais il m’arrive parfois d’être vraiment en panne. Dans ces cas-là, ce n’est pas forcément les gens en bio qui peuvent m’aider, c’est là la grosse différence. Quand je ne comprends vraiment pas ce qui se passe, ils ne vont pas forcément avoir le traitement adapté en bio, mais ils peuvent avoir le diagnostic. Et c’est déjà un bon point. Le sanitaire c’est le problème majeur, car même les vétos connaissent peu les moutons. Avoir ces regards avisés, à la fois de producteurs bio et non bio, c’est une vraie chance pour moi.

Quelle race de moutons as-tu choisie ?

Ce sont des Roussins de la Hague, une race rustique du Cotentin. Elle est prolifique et bien adaptée à ma conduite : c’est à dire qu’elle passe beaucoup de temps dehors et qu’elle est très peu complémentée. C’est une race bouchère, avec des brebis qui vont faire 70 kg, les béliers 90. Ca veut dire, qu’on a des bons poids de carcasse, aux alentours de 16 à 18 kilos pour un agneau. J’aime bien ce côté race à viande, les bêtes charnues. C’est surtout une brebis très calme, très facile. C’est souvent une remarque que me font les autres éleveurs quand ils viennent ici. Parce qu’il faut souvent que je les lève pour qu’elles veuillent bien quitter le champ (rire). Elles sont vraiment chouettes.

Comment gères-tu l’alimentation de ton troupeau ?

Les moutons sont à l’herbe le plus longtemps possible. L’hiver, ils sont à l’herbe avec du foin. Quand ils rentrent, ils sont au foin, avec luzerne et mélange céréalier. Ils sont en bâtiment 3 semaines avant la mise bas et trois semaines après max. Les mises bas ont lieu de fin janvier, mi-févier, jusqu’à début mai. La particularité, ou la difficulté, c’est que ça fonctionne en lots, des lots qui ont des besoins différents. Aujourd’hui, j’ai 5, 6 lots, alors je gère des pâturages avec 5, 6 lots. Il faut éviter d’avoir trop d’écarts d’âge entre les agneaux, parce que tout ce qui est microbisme, parasitisme est différent. Les références liées à la gestion du pâturage sont quand même largement calées sur le modèle vache laitière. On va avoir le troupeau de laitière, le troupeau de taries et le troupeau de génisses. En moutons, on a plus de lots. Ce n’est pas insurmontable, mais parfois c’est un peu le casse-tête. Petit à petit, j’acquiers aussi les bons réflexes.

Quel regard portes-tu sur cette première année d’installation ?

Tout n’est pas encore défriché et il faut que je fasse mon stock, pour avoir du foin de qualité pour l’hiver. Je ne peux pas le faire sur des prairies moyennes. Ce qui manque sur la ferme, c’est vraiment d’être autonome en céréales. Je n’en consomme pas tant que ça, puisque l’hiver dernier, j’ai passé 6 tonnes. Pour l’instant je m’approvisionne auprès de producteurs locaux, mais j’aurais possibilité de le faire si j’avais le parcellaire adapté. C’est là où je me dis que quand je n’ai pas voulu acheter les 20 ha j’ai peut-être fait une erreur, parce que si j’avais ces parcelles, même si elles sont plus éloignées, elles m’auraient permis de faire des céréales. Psychologiquement, j’avais atteint ma durée maximale de prêt et je n’étais pas prête à aller plus loin. Sur les terres je suis à 12 ans, c’est pas forcément long, mais je ne veux pas aller au-delà. Après, sur un GFA ou une autre solution, je pourrais y réfléchir.

Tu tires néanmoins un bilan positif de cette première année…

Je suis ravie, le charme n’est pas rompu. Je me lève le matin avec plein d’entrain. Je pense qu’il y a des choses que je n’avais pas appréhendées avant l’installation. Je ne voulais pas faire trop gros parce que j’avais un peu peur de me planter ou un peu peur de le payer toute ma vie. La bergerie est beaucoup trop petite par exemple. Quand on s’installe, on se pose sans cesse la question de savoir si on repart sur la même conduite. L’agnelage a été une période très éprouvante, mais aussi parce que je me suis mise la barre super haute. Par contre, une fois finie, j’étais prête à embrayer sur une autre pour faire encore mieux, parce que j’avais plein de choses en tête que je voulais améliorer. Il y a le défi de faire mieux en trouvant un équilibre au travail. Mon compagnon et ma famille m’aident beaucoup. On se donne beaucoup de moyens en termes de temps et d’énergie consommée. On est un peu au max. Le but c’est d’aller en s’économisant aussi. Et ça viendra avec l’expérience.

 

Témoignage recueilli par Antoine Besnard et initialement paru dans Symbiose d’octobre 2016, magazine édité par le réseau GAB-FRAB Bretagne.