Des légumes bio en grande distribution : repères, opportunités et points de vigilance

Publié le : 23 mai 2017

La croissance de l’offre en produits bio dans les linéaires des grandes et moyennes surfaces (GMS) généralistes connaît une accélération notable depuis deux ans. La grande distribution recherche des approvisionnements en produits français et entend développer ses parts de marchés, étant en concurrence avec les débouchés historiques sur le rayon fruits et légumes. Alors que de nombreux producteurs bio et groupements sont démarchés par des enseignes GMS, la FNAB a initié une réflexion sur ce débouché, tout en poursuivant son investissement sur les circuits courts et la distribution spécialisée. L’objectif est de comprendre leur analyse du marché bio, leurs stratégies et les nouvelles relations commerciales que l’on peut imaginer avec elles.

La bio, une opportunité pour la grande distribution

Alors que la consommation de produits issus de l’agriculture biologique s’affirme comme une tendance structurelle et durable, les enseignes de la grande distribution investissent et communiquent massivement autour d’un secteur qui, dans un passé encore récent, relevait pour eux plus du marché de niche que d’un levier de développement. Mais dans un contexte de stagnation, voire, pour certains rayons, de régression des ventes des produits alimentaires et d’interrogation des consommateurs sur l’origine et la qualité des denrées alimentaires, la bio constitue le cœur d’un nouveau modèle d’adhésion proposé par les enseignes de la grande distribution à leurs clients.

 

Le rayon fruits et légumes en grande distribution

Source Interfel

 

 

Le 1er circuit de distribution des fruits et légumes bio est celui des magasins spécialisés avec 44% du marché en valeur, suivi de la grande distribution (29%) et de la vente directe (27%), selon l’Agence bio. En hypermarché, le rayon fruits et légumes est le thermomètre du magasin, le rayon avec les produits parmi les plus sensibles et les plus fragiles.

 

 

Entre recherche d’approvisionnements à court terme et nécessité de structurer les filières

La filière des légumes biologiques en France est en progression constante depuis 2011. Si le marché est en croissance, l’offre française reste insuffisante pour fournir la demande massive, soudaine et simultanée des enseignes de la grande distribution.

Bien positionnée sur les produits de grande consommation comme les œufs et le lait, les enseignes peinent à développer le rayon fruits et légumes en bio et à gagner des parts de marché, et ce pour plusieurs raisons :

  • difficulté de trouver un positionnement et un emplacement pour les produits bio, immédiatement en concurrence avec les fruits et légumes conventionnels. Certaines enseignes ont opté pour des « corners bio », d’autres non
  • manque d’approvisionnements « origine France », dans un contexte de demande exponentielle du secteur de la distribution, qui contraint à importer pour garantir des disponibilités produits 12 mois sur 12
  • habitude de consommation des clients : certains fruits et légumes, comme la tomate, font partie des produits phare, tous rayons confondus et sont proposés aux clients toute l’année. Le secteur de la bio s’accommode mieux d’une consommation plus diversifiée en termes d’espèces et plus en phase avec la saisonnalité
  • concurrence des magasins spécialisés et de la vente directe

Au-delà des volumes à fournir, l’enjeu crucial est celui de la structuration des filières, pour garantir que ce changement d’échelle et le développement de la vente aux grandes distributions ne déstructurera pas un secteur qui a su maintenir des prix stables et rémunérateurs pour les producteurs.

Des stratégies d’approvisionnement en évolution

Face aux difficultés à trouver des produits, certaines enseignes ont entamé depuis plusieurs années une phase de transition. Afin de sécuriser les volumes elles sollicitent moins les grossistes et s’engagent dans des partenariats et une planification en direct avec les producteurs bio. Auchan expliquait en septembre dernier être passé de 3 grossistes fournisseurs il y a 12 ans à 65 producteurs français et 30 producteurs espagnols aujourd’hui. (voir la vidéo de la conférence « changement d’échelle » du salon La Terre est Notre Métier)

Elles misent également sur les fournisseurs locaux, en direct producteurs, notamment dans les groupes d’indépendants (Système U, Leclerc).

Vendre ses légumes bio en grande distribution ?

La diversité des circuits de vente au niveau des fermes et des organisations de mise en marché fait la force de la bio. Si  un partenariat avec la grande distribution peut contribuer à trouver cet équilibre, les producteurs de légumes bio doivent être vigilants et ne pas tout miser sur ce débouché pour éviter d’en devenir dépendant.

Bio d Min Coin, une gamme emballée, credit Norabio

Certains producteurs trouvent leur compte en livrant des grandes surfaces en direct : proximité relationnelle, conditions d’agréage plus souples, possibilité d’écouler des volumes dans des périodes de pic de production.

Les partenariats entre des organisations de producteurs bio et des plates-formes d’approvisionnements des grandes distributions sont plus rares. Ce sont souvent des grossistes qui jouent le rôle d’intermédiaire. Depuis fin 2015, la coopérative Norabio a lancé sa gamme bio régionale Bio d’Min Coin à destination de la grande distribution régionale. Norabio propose des légumes bio de saison emballés, livrés aux magasins GMS dans les jours qui suivent la récolte.

Livrer une centrale d’achat – un métier à part entière

Tout producteur bio ou organisation qui envisage de livrer une plate-forme d’approvisionnements de la grande distribution doit :

  • être en capacité de livrer en quantité, régulièrement avec un très faible droit à l’erreur
  • disposer, en règle générale, du matériel pour fournir une gamme préemballée
  • prévoir un contrôle plus drastique de la marchandise en entrée d’entrepôt qu’il ne peut l’être en entrée de magasin. Les agréeurs appliquent des règles standardisées et transigent rarement.

Points de Vigilance

Le succès des filières historiques du secteur de l’agriculture biologique est corrélé à leur capacité à faire vivre des systèmes de productions variés et à valoriser une diversité d’espèces et de variétés de légumes. Les producteurs bio qui décideraient de s’engager avec des GMS, gagneront à travailler sur ce débouché de manière collective.

Le développement de la bio en grande distribution doit nécessairement s’accompagner d’une réflexion sur les risques en terme de :

  • spécialisation des fermes et des régions
  • standardisation de la production
  • cohérence globale (exemple d’un légume breton envoyé à une centrale en région parisienne pour être commercialisé en Bretagne)
  • perte de vue du projet collectif sous la pression de la concurrence entre bassins de production et organisations pour remporter les marchés.

 

« En Alsace, la grande distribution met les bouchées double pour développer la gamme de légumes bio régionaux. Les enseignes souhaitent se repositionner par rapport à la vente directe. Depuis plusieurs mois, différentes enseignes ont contacté ma ferme : Leclerc, Auchan Grand Est, Lidl. Elles sont conscientes que nous avons déjà nos circuits de commercialisation et qu’on ne les privilégiera pas sans signe positif de leur part. Certaines l’ont compris et commencent à répondre à nos attentes en termes de lisibilité et de planification. Sur le volet logistique, nous avons recours aux services d’un partenaire grossiste pour emballer nos produits. Jusqu’à présent le fonctionnement nous convient et nous nous en sortons économiquement. Mais nous restons vigilants, notamment sur la nécessité de garder une diversité de clients et débouchés et d’échanger entre producteurs, c’est indispensable. »

Dany Schmidt, maraîcher bio dans le Haut-Rhin (Ferme Pulvermülhle) et trésorier de l’OPABA