Filière œufs bio, la FNAB veille au grain !

Publié le : 7 février 2020

En plus d’un développement important du marché bio, la prise de conscience des consommateurs vis-à-vis des conditions d’élevage des poules en cage est en train de transformer en profondeur le secteur des œufs. Les entreprises de la filière incitent leurs producteurs à se convertir à la bio et ont poussé depuis 2016-2017 la création de nombreux ateliers. Si cette dynamique semble positive à tout point de vue, ce changement d’échelle s’est toutefois accompagné de craintes partagées par différents acteurs de la filière, qui restent toujours d’actualité. Bilan de la situation et des préconisations du réseau bio.

Œufs bio, la dynamique de production se poursuit

Quelques chiffres, fin 2018 :

  • 2027 exploitations produisant des œufs sont certifiées bio, soit 14 % de plus qu’en 2017
  • 6,6 millions de poules pondeuses sont bio, ce qui représente 31,3 % de plus qu’en 2017
  • Plus de 10 % du cheptel de poules pondeuses français est certifié en bio.

Au cours du premier semestre de l’année 2019, le nombre d’œufs bio produits par les organisations participant à l’observatoire du SYNALAF a poursuivi son ascension conséquente de 26 % par rapport à la même période de 2018. L’effectif de pondeuses mises en place a suivi la même progression avec +28 %.

Du côté du marché, en 2019, les achats d’œufs bio par les ménages français ont représenté un peu plus de 13 % du total des achats d’œufs des ménages français. En termes d’évolution, les volumes des achats d’œufs bio ont été en nette hausse au cours des trois premiers trimestres de 2019 (+18 % par rapport à 2018). Une légère augmentation des prix a également été constatée (+1,7 % par rapport à 2018) d’après le Kantar Worldpanel.

Source : Agence Bio.

Un modèle vertueux, à ne pas dévoyer

La densification de la production observée depuis quelques années semble s’accentuer. Une étude menée par la FNAB en 2017 (issue d’un sondage réalisé en partenariat avec l’Agence Bio) a mis en évidence une tendance à l’agrandissement, avec la mise en place d’ateliers pouvant atteindre jusqu’à 24 000 poules. En proposant des œufs issus d’élevages à échelle industrielle, ces exploitations s’éloignent des principes fondateurs de la bio et nuisent à l’image de marque du label AB à plusieurs titres. Souvent limitées en termes d’autonomie, elles doivent recourir à un aliment bio issu de l’extérieur, plutôt que de produire elles-mêmes les céréales bio nécessaires à l’alimentation des poules (c’est-à-dire dans le respect du lien au sol). De plus, les espaces de plein air sont souvent mal organisés, ces parcours n’étant que peu, voire pas du tout, aménagés ou arborés, ce qui pose question quant à l’accès effectif au plein air par l’ensemble des poules de ces élevages.

Face au développement de ce type de systèmes à la limite du cahier des charges, l’ensemble des acteurs de la filière œufs bio avaient été invités à se rassembler à Nanterre en fin d’année 2017, dans le cadre d’un séminaire co-organisé par la FNAB et le SYNALAF. Une occasion pour en savoir plus sur le fonctionnement de cette filière complexe et en développement, mais aussi pour échanger et débattre sur ses perspectives et son avenir. Les acteurs présents lors de ce séminaire partageaient le même constat : fin 2017, l’œuf bio était une filière en pleine expansion et l’arrivée de nouveaux volumes permettrait de combler la demande croissante. Son marché était estimé à 370 millions d’euros, sa croissance en volume était de +13 % par rapport à 2016 et la majorité des œufs produits était écoulés en GMS (2/3 du volume d’œufs coquille bio). Les enseignes de grande distribution continuaient de tirer la demande vers le haut, affichant les atouts de cette filière franco-française.

Cependant le séminaire a également permis de pointer du doigt les principales failles de cette filière : un cahier des charges flou ne fixant aucune limite de taille d’élevage, une réglementation concernant les parcours et l’accessibilité à l’extérieur plus que laxiste, un lien au sol alimentaire trop facilement contournable… Ainsi de nombreux ateliers de 12000, 18000 voire 24000 poules ont pu sortir de terre. Le réseau FNAB a alerté sur les dangers d’un tel modèle de développement et ses lourdes conséquences présumées : perte de confiance du consommateur, scandale médiatique, perte d’autonomie alimentaire et décisionnelle des éleveurs, pression sur le prix de l’œuf et répercussions sur les producteurs en place… mais aussi et surtout : incohérence totale avec les fondements même de l’Agriculture Biologique.

Ces craintes étaient d’ailleurs partagées par le SYNALAF et différents acteurs économiques de la filière. C’était le cas par exemple du représentant du centre de conditionnement LŒUF, qui indiquait « qu’en bio, on peut rationaliser la filière, mais on ne peut pas l’industrialiser », ou encore du représentant de l’enseigne Leclerc, conscient que « le consommateur bio achète une qualité mais aussi une philosophie » et qu’il ne faudrait « pas dénaturer la promesse de la bio ».

Depuis ces échanges, la situation a évolué rapidement et le constat reste mitigé. Certains opérateurs semblent jouer le jeu et poursuivent leur développement de manière mesurée, avec des critères de production respectant les principes de la bio, souhaitant préserver l’ensemble des garanties apportées par le label. D’autres en revanche mettent encore en place des ateliers de grande dimension, sans lien au sol, contournant ouvertement les règles pourtant très claires du cahier des charges.

© FRAB Bretagne

Défendre les principes de la bio, c’est sécuriser durablement les élevages et leurs marchés

Si l’industrialisation n’est pas compatible avec le modèle bio, c’est bien parce qu’elle a provoqué les dérives actuelles du modèle agricole conventionnel. Ce sont les grands principes à l’origine du cahier des charges bio qui apportent les garanties attendues par les consommateurs : de leur respect dépend donc la sécurisation et la pérennité de toute une filière.

Les pionniers de la bio avaient ainsi imaginé ce cahier des charges avec la préoccupation de ne pas reproduire les erreurs du conventionnel. Pourtant la filière œufs bio s’illumine déjà de nombreux voyants rouges : densification des élevages, spécialisation d’une région de production, dissociation géographique des zones d’élevage et des zones de cultures… Si le cahier des charges européen fixe des règles de production trop laxistes, il revient aux producteurs et aux organisations économiques de mettre en place les gardes fous qui éviteront à cette filière bio de subir les désagréments bien connus des filières conventionnelles.

Quant aux distributeurs, qu’ils soient spécialisés ou non, de grande surface ou non, ils ont un rôle fondamental à jouer dans l’orientation des modèles de production, ne serait-ce que par le choix de leurs fournisseurs. Ils peuvent choisir de contribuer à la croissance de ce secteur sans favoriser ceux qui en exploitent les failles réglementaires. Ils peuvent aussi initier avec leurs partenaires des filières mieux-disantes.

Pour que la filière œufs bio continue de mériter son image de marque, son développement doit s’inscrire dans une cohérence d’ensemble. La garantie du plein air, le lien au sol, la maitrise des volumes, la contractualisation pluriannuelle, l’autonomie décisionnelle des producteurs et leur implication dans leur filière… sont autant de leviers permettant la maitrise du développement de la production, en accord avec les principes du label AB et les attentes des consommateurs de produits bio.

Préconisations du réseau FNAB pour un système cohérent en œufs bio

LIMITER LA TAILLE DES BÂTIMENTS

Pourquoi ?

⇒ Pour avoir des élevages dimensionnés en cohérence avec le potentiel de production de leurs terres et l’accessibilité au parcours par les animaux.

Que préconise-t-on ?

  • Limiter la dimension des bâtiments : 1000 m² maximum par bâtiment (sous un même toit), ce qui correspond à un effectif de 6000 poules maximum par bâtiment (soit 2 lots de 3000 poules maximum par bâtiment).
  • Limiter la dimension de l’élevage lui-même : 2000 m² maximum par exploitation, un effectif de 12000 poules par exploitation (en plusieurs bâtiments) étant parfaitement viable économiquement.
  • Séparer les différents bâtiments d’une distance d’au moins 30 m.

FAVORISER L’ACCÈS EFFECTIF DES POULES PONDEUSES AU PLEIN AIR

Pourquoi ?

⇒ Pour garantir un haut niveau de bien-être animal en favorisant leur comportement exploratoire naturel et permettre aux pondeuses de compléter leur alimentation à l’extérieur.

Pour cela, tout doit être mis en œuvre, d’une part dans l’aménagement du bâtiment pour faciliter la sortie des poules, d’autre part dans le dimensionnement et l’organisation du parcours de plein air afin de permettre à toutes les poules d’avoir accès à l’extérieur, de circuler et d’explorer facilement l’ensemble du parcours, et ce durant toute leur vie.

Que préconise-t-on ?

  • Prévoir des trappes de sortie de chaque côté du bâtiment en cas de nids centraux.
  • Limiter la distance entre les trappes de sortie et tout point du bâtiment : 15 mètres maximum.
  • Ne pas mettre en place de volières dans les bâtiments, pour éviter d’augmenter les densités.
  • Organiser et aménager le parcours de sorte qu’il soit rassemblé autour du bâtiment et que rien n’en limite l’accès par les poules :
    • le parcours ne doit pas présenter de goulots d’étranglement ou de pouloducs (tunnels d’accès aux parcours en cas de route à traverser) ; cela a d’ailleurs été interdit depuis décembre 2018
    • la longueur du parcours doit être de 150 mètres maximum (distance maximale entre les trappes et la fin du parcours
    • la distance entre les trappes et la fin de parcours devrait être au minimum de 20 mètres pour 1000 poules (distance à diviser par 2 en cas de trappes des deux côtés du bâtiment).
  • En cas de vérandas, faciliter l’accès des poules à la véranda et au parcours :
    • même nombre et même dimension des trappes entre intérieur et véranda qu’entre véranda et extérieur
    • accessibilité permanente à la véranda avec des trappes maintenues ouvertes 24h/24.
  • Assurer l’ouverture des trappes pour l’accès des poules au parcours :
    • au plus tard à l’âge de 25 semaines (175 jours)
    • au plus tard à 11 heures le matin et jusqu’au crépuscule.
  • Réserver le parcours aux pondeuses.
  • Couvrir le parcours en majeure partie de végétation :
    • implanter des éléments arborés dès la première année de production
    • prévoir 1 arbre ou arbuste ou abri pour 100 poules, dont une majorité d’éléments naturels (compter 10 % minimum de surface de parcours recouverte de végétation arbustive ou arborée)
    • prévoir un espacement maximum de 30 mètres entre chaque élément de végétation.

FAVORISER L’AUTONOMIE ET LE LIEN AU SOL À L’ÉCHELLE DE L’EXPLOITATION

Pourquoi ?

⇒ Pour assurer la durabilité de l’ensemble du modèle de production bio et garantir une origine locale des aliments, notamment des productions céréalières, destinés aux animaux bio.

Que préconise-t-on ?

  • Produire à minima 20 % des besoins alimentaires de l’élevage et développer autant que possible le niveau d’autonomie alimentaire de la ferme.
  • Conserver de l’autonomie dans sa prise de décision et sa filière de commercialisation.
  • Être attentif à l’origine et aux conditions de production des aliments bio achetés à l’extérieur.

Article rédigé par Niels Bize (FRAB Bretagne) et Brigitte Beciu (FNAB)