Découvrez les pratiques et techniques par filière
Le règlement biologique européen stipule que, pour fertiliser les terres bio, les matières organiques et engrais issues d’élevages conventionnels sont autorisées, sauf si elles proviennent d’élevages « industriels ». Cependant, le règlement ne précise pas davantage quels élevages doivent être considérés comme « industriels ». Charge donc à chaque Etat membre de préciser au niveau national sa définition d’élevage « industriel ». Et par extension, quelles matières organiques ne peuvent être utilisées comme fertilisants en bio.
Avec ce tour d’Europe, nous verrons que tous les pays ne se sont pas encore dotés d’une définition et que lorsqu’une définition est prévue, celle-ci est plus ou moins exigeante. Comment la France se positionne-t-elle en comparaison avec ses voisins ? La FNAB a mené l’enquête.
Si de nombreux pays ont depuis longtemps adopté une définition, la France vient seulement de se doter d’une règle qui entrera en vigueur au 1er janvier 2021. L’objectif de ces définitions nationales est bien d’assurer que dans la pratique l’approvisionnement en engrais extérieurs à la ferme reste malgré tout conforme aux principes de l’agriculture biologique.
En France, c’est le Comité National d’Agriculture Biologique de l’INAO qui s’est penché sur ce sujet épineux et qui a formulé une définition graduée qui, en évoluant dans le temps, permettra aux opérateurs biologiques (agriculteurs et firmes productrices d’engrais) de s’adapter et d’assurer une continuité de la disponibilité en matière organique utilisable en bio.
La définition* d’élevage « industriel » votée par le CNAB en juillet 2019, est la suivante :
Le CNAB s’étant accordé sur un calendrier progressif, cette définition applicable à partir du 1er janvier 2021 ne sera que temporaire. Une évaluation de l’impact de cette nouvelle règle doit être réalisée en 2022. Sur cette base et à horizon 2023, la définition de 2021 pourrait être modifiée de telle sorte que les tailles d’élevages (60 000 poules, 3 000porcs, 900 truies) seraient supprimées. Si c’est le cas, quelle que soit la taille de l’élevage, il ne sera plus possible d’utiliser des effluents issus d’élevages en caillebotis ou grille intégral ni en cage.
* Cette définition est adossée sur les tailles d’élevages de volailles et de porcs définis à l’annexe I de la directive 2011/92/UE sur l’Evaluation de l’Incidence sur l’Environnement (EIE) de certaines infrastructures.
En effet, à l’heure actuelle les 19 pays** mentionnés dans cette enquête ont d’ores et déjà une interprétation nationale pour définir quels types élevages conventionnels doivent être considérés comme industriels et dont les effluents ne peuvent être utilisés en bio.
D’un pays à l’autre, les définitions relèvent d’un cadre différent :
Au moment de la rédaction de cet article, seuls trois pays (parmi les 19 réponses reçues) ne sont pas dotés d’une définition limitant la provenance des effluents :
** La FNAB n’a malheureusement pas obtenu de réponse des pays suivants : Autriche, Chypre, Estonie, Finlande, Irlande, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Malte. A l’inverse, deux pays non membres de l’Union Européenne nous ont répondu : le Royaume-Uni et l’Islande.
PAYS | DEFINITION | DEFINITION : OC/ Nationale/privée |
Allemagne |
Sont autorisés les effluents provenant d’élevages conventionnels :
|
Nationale |
Belgique (Wallonie) |
Sont autorisés les effluents provenant d’élevages conventionnels :
|
Nationale |
Bulgarie |
Sont considérés comme industriels les élevages de :
|
Nationale |
Croatie |
Pas de définition d’élevage industriel, car entré dans l’UE en 2013 (donc application très récente du règlement bio). | / |
Danemark |
Sont considérés comme industriels les élevages n’ayant aucune surface agricole produisant des cultures végétales et permettant l’épandage des effluents. | Nationale |
& Italie |
Sont considérés comme industriels les élevages répondant à moins une condition :
|
Nationale |
France |
A partir du 1er janvier 2021, sont considérés comme industriels les élevages de :
|
Nationale |
Grèce |
Sont autorisés les effluents provenant d’élevages conventionnels extensifs (principalement en petits ruminants).
Sont considérés comme industriels les élevages conventionnels de volailles. |
OC |
Hongrie |
Sont considérés comme industriels les élevages :
Sont autorisés les effluents provenant d’élevages conventionnels si :
|
OC |
Lettonie |
Sont considérés comme industriels les élevages conventionnels :
|
Nationale |
Lituanie |
Sont autorisés les effluents provenant d’élevages conventionnels réunissant les deux critères suivants :
|
Nationale |
Luxembourg |
Pas de définition d’élevage industriel, car pas d’élevages considérés comme industriels. | / |
Pays-Bas |
Seul est autorisé le fumier provenant d’élevages conventionnels ayant des terres, si:
Le fumier de volailles conventionnelles est interdit car les quantités suffisantes de fientes de volailles bio sont disponibles. |
Nationale |
& Islande |
Sont considérés comme industriels les élevages réunissant les deux critères suivants :
|
OC (Pologne)
Nationale (Islande) |
Royaume-Uni |
Sont autorisés les effluents provenant d’élevages conventionnels :
Sont considérés comme industriels les élevages :
|
OC |
Slovénie |
Sont considérés comme industriels les élevages soumis à une autorisation (conformément à la législation nationale sur les installations pouvant provoquer des pollutions majeures) :
|
Nationale |
Suède |
Sont considérés comme industriels les élevages conventionnels de :
|
Privé (KRAV) |
Déjà à l’époque du premier règlement bio européen, se pose la question des effluents utilisables en bio. En 1995, la Commission européenne propose une note d’orientation permettant de caractériser les différents types d’élevage (extensif, hors-sol et intensif). A l’époque, le règlement bio européen couvrait uniquement les productions végétales. En effet, le cahier des charges bio pour l’élevage n’a été adopté qu’en 1999. La note de la Commission européenne donnait donc aux Etats membres des indications sur les types d’élevages compatibles avec l’AB. Chaque pays étant bien évidemment libre d’établir une définition plus stricte.
Depuis, les Etats membres se sont petit à petit éloigné du cadre proposé par la Commission et ont développé leur propre définition d’élevage. Cette définition a été envoyée aux oubliettes, si bien que les élevages considérés comme industriels hier (dont les effluents étaient inconcevables en AB), sont autorisés dans les définitions de certains Etats membres, notamment la France !
Extraits de la note d’orientation de la Commission Européenne de1995 concernant l’annexe II A du règlement (CE) N° 2092/91 (5684/VI/95-Rev5) :
Exploitations dans lesquelles les deux critères suivants sont simultanément réunis :
a) systèmes où les animaux sont la plupart du temps empêchés de se mouvoir librement sur 360° ou maintenus dans l’obscurité ou privés de litière, y compris notamment :
b) élevage indépendant de toute autre activité agricole sur l’exploitation. Ce type d’élevage est mis en place dans des structures n’ayant aucune superficie agricole destinée à des cultures végétales et permettant de procéder à l’épandage des effluents.
Elevage ni extensif, ni hors-sol (définition en creux).
On remarque que ce sont principalement les conditions de logement à l’intérieur des bâtiments qui sont prises en compte : éclairage,
caillebotis, cage, contention, présence & qualité de la litière. La majeure partie des pays ont considéré la production de volailles et de porcs dans leur définition. Ceci reflète le fort niveau d’industrialisation de ces filières en conventionnel.
L’autre critère le plus souvent utilisé par les Etats membres est le chargement (UGB/m²) ou le nombre maximal d’animaux d’une même espèce dans une même exploitation. Ce critère quantitatif à l’avantage d’être facilement contrôlable.
Par ailleurs, le type d’élevage (hors-sol ou lié au sol) est également un critère choisi de manière récurrente par les Etats membres : soit pour considérer les capacités d’épandage (surfaces en cultures végétales présente autour de l’élevage), soit pour mettre en avant l’accès au pâturage pour les ruminants ou au plein air pour les monogastriques.
Enfin, l’alimentation est également un critère choisi par certains pays : présence d’OGM ou de médicaments vétérinaires.
Pays | Type effluent | Type d’élevage | Aliment :
OGM, Traitement véto |
UGB/m² ou Nbr max d’animaux | Bât. : Lumière | Bât : Sol | Porc | Volailles |
Allemagne |
2,5UGB + Règlement bio volailles | Règlement bio porc volailles | Règlement bio porc volailles | Règlement bio | Règlement bio | |||
Belgique |
Plein Air, Bovins engraissement interdits |
Label qualité | Label qualité | |||||
Bulgarie |
350 pp 500 poulets chair |
Hautement mécanisé, automatisé, standardisé | ||||||
Danemark |
Hors-sol interdit (sans surfaces cultures végétales ou épandage) | |||||||
Espagne Italie |
lumière naturelle, éclairage artificiel |
Caillebotis, cages, présence et qualité litière | ||||||
France |
60 000 pp 3 000 porcs 900 truies |
Caillebotis Cage |
||||||
Grèce |
Petits ruminants extensifs | Interdit | ||||||
Hongrie |
Plein Air Enclos Pâturage |
2 UGB/ha ou 170kg N/ha | Caillebotis, cages, présence & qualité litière | Non contention | Chair : -33kg/m² | |||
Lettonie |
Pâturage ruminant Plein air volailles |
100 bovins 100 truies 1 000 porcs |
||||||
Lituanie |
OGM | 300 bovins 600 truies 1 000 porcs 2 000 ovins/caprins 12 000 lapins 21 000 poules 10 000 volailles chair |
||||||
Pays-Bas |
Fumier | Pâturage herbivores | en dur (herbivores) | Elevé sur paille | Interdit | |||
Pologne Islande |
Hors-sol interdit (sans surfaces cultures végétales ou épandage) | Obscurité | Mouvoir 360° Litière Confinement (batterie) |
25kg/m² | ||||
Royaume-Uni |
Pâturage | OGM | Eclairage naturel | Litière végétale Cage Confinement (batterie) |
Non Contention | 30kg/m² | ||
Slovénie |
40 000 volailles 2 000 porcs 750 truies |
|||||||
Suède |
Fourrure lapin | Coccidiostatiques | 50 porcs/an | Caillebotis (ruminant) Cages |
Aire repos paillée | Chair :21kg/m² Batterie (pp) |
LE SAVIEZ-VOUS ?
- L’Italie et l’Espagne ont exactement la même définition ! C’est parce que les autorités compétentes de ces deux pays ont discuté ensemble d’une définition commune d’élevage industriel.
- La définition polonaise est basée sur une note d’orientation de la Commission Européenne datant de 1995. Nous constatons que les pays membres de l’époque n’ont pas conservé cette proposition dans leur définition nationale, alors que la Pologne (qui n’était à cette date pas encore membre de l’UE !) a décidé de redonner vie à la vieille définition de la Commission européenne. (Voir encadré « Regard dans le rétro » ci-dessus).
D’après les derniers chiffres de l’Agence Bio***, les surfaces en grandes cultures (GC) dans l’Union Européenne représentent, en 2018, plus de 2,9 millions d’hectares, répartis entre production céréalière (2,3 millions ha), d’oléagineux (315 600 ha) et de protéagineux (365 000 ha). Pour ces trois types de cultures, 80% des surfaces sont situées dans les 10 premiers pays producteurs : France, Italie, Allemagne, Espagne, Roumanie, Autriche, Pologne, Suède, Lituanie et Danemark***.
En 2017, la France s’est hissée en tête des pays producteurs européens (en 2018 : 510 000 ha soit près de 17,6% des GC dans l’UE***), alors même que nous ne disposions pas de définition limitant le recours aux effluents issus d’élevage industriels. Il est donc intéressant de mesurer ce succès au regard de notre application du règlement européen.
Il est également intéressant de constater que dans tous les pays du peloton de tête, le recours aux effluents conventionnels industriels est encadré depuis longtemps et qu’il est plus restrictif que ce que prévoit la toute nouvelle définition française. Avant même son entrée en application, la règle française fait pâle figure :
*** L’agriculture bio dans l’Union Européenne, Les carnets internationaux de l’Agence BIO, Edition 2019 (mars 2020)
Le groupe d’experts européen sur la production biologique (EGTOP) dresse le même constat quant aux nombreuses disparités et aux distorsions de concurrence engendrées par ces définitions nationales d’élevage « industriel ». En 2018, le groupe EGTOP recommandait à la Commission européenne d’harmoniser la définition dans le règlement pour remédier à la concurrence déloyale qu’elle engendre pour les pays mieux disant.****
**** Rapport Final EGTOP Fertilisants III, juin 2018, p.5 & p.21
Vous avez besoin d'une information qualifiée (évolution réglementaire, recherches et expérimenations en cours...), organisée par grand système de production ? Abonnez-vous à votre lettre filière !