Des fromageries collectives créées par des éleveurs

Publié le : 9 février 2022

Ô Pré des Volcans et AlterMonts sont des fromageries collectives créées par des éleveurs et éleveuses laitiers bio en Auvergne-Rhône-Alpes. Présentation de ces deux beaux projets collectifs particulièrement inspirants.

AlterMonts

AlterMonts, genèse d’un projet à la fois dingue et tellement cohérent !

Gautier Mazet, un des associés de la ferme du Valfleury, témoigne du chemin parcouru.

Comment est venue l’idée d’une fromagerie collective ?

En 2015, Justine Lagrevol, l’animatrice du SIMA Coise, a contacté plusieurs paysans de manière informelle pour les inciter à réfléchir à un système collectif de valorisation du lait avec cette idée : « on crée bien des CUMA, pourquoi pas une fromagerie? ». En 2016, la fin des quotas a engendré une crise du lait conventionnel et a interpelé plusieurs éleveurs bio : « et si ça arrivait en bio ? ». Certains ont réfléchi aux moyens de gagner en résilience.

Plusieurs paysans ont reparlé de l’idée de créer une fromagerie. Un noyau de 4 fermes s’est créé dont 3 certifiées bio. La quatrième ferme a été accompagnée pour démarrer une conversion à l’AB (formation et diagnostic de conversion).

Comment avez-vous été accompagnés dans votre réflexion ?

L’accompagnement global a été réalisé par Mickaël Berthollet de l’AFOGC Rhône Loire.

> 1e phase : la formation… 6 mois de formations ont été suivies sur les valeurs humaines, pour apprendre à mieux se connaître, étudier la possibilité de travailler ensemble…

À l’issue de ces 6 mois, le groupe s’est prononcé sur la suite. Tout le groupe a souhaité continuer la réflexion !

> 2e phase : la réflexion plus opérationnelle… que faire et où ?

La décision de faire du fromage a été prise en 2016-2017. Le groupe a visité des coopératives, des ateliers de fabrication, a étudié leurs équipements, leurs organisations… La recherche de locaux a été menée en parallèle. En termes de fonctionnements, le groupe s’organise avec plusieurs commissions : travaux, transformation…

Le groupe a choisi de fabriquer des fromages que l’on retrouve peu sur le territoire afin de ne pas entrer en concurrence avec les collègues qui transforment sur leur ferme. L’idée était donc de faire en priorité un fromage de garde de 35-40 Kg nécessitant des installations conséquentes. La meule paysanne d’AlterMonts est née !

Le groupe, en découvrant le monde du fromage et ses contraintes, a réalisé que ce fromage ne pourra se faire qu’avec un lait issu de vaches n’étant pas alimentées avec des aliments fermentés. Deux fromages se sont donc ajoutés à la gamme (tome et raclette) afin de pouvoir fabriquer toute l’année, l’objectif étant tout de même d’augmenter la période de production de lait sans aliments fermentés.

Ces 3 fromages sont obtenus avec du lait cru, valeur essentielle au groupe pour mettre en avant leur lait local lié au territoire.

> 3e phase : les essais… ils ont été réalisés en mode « start-up » dans une ancienne laiterie, avec du matériel de location, par Christian Foilleret, un ancien fromager.

Ces différents essais ont permis de commencer à tester des recettes mais également de faire des rencontres avec les premiers metteurs en marché. Ils ont également permis de montrer l’importance et la complexité de l’affinage après plusieurs mésaventures dans différentes caves.

> 4e phase : le choix du nom… AlterMonts !

Le groupe a été accompagné par un designer. Plusieurs noms et chartes graphiques ont été proposés. Il a fallu beaucoup de discussion avant qu’AlterMonts soit choisi.

Comment s’est passée la recherche des locaux ?

Dans un premier temps, le groupe a recherché des locaux à réaménager. Plusieurs projets ont commencé à être étudiés mais n’ont pas abouti (pour cause de PLU, d’assainissement…). Le groupe a donc pris la décision de construire un bâtiment. En septembre 2019, la construction du bâtiment à Saint Denis sur Coise (69) a démarré.

Quelle gamme produisez-vous ?

Du départ, 2 types de fromages de garde ont été choisis :

  • La tome : pâte pressée non cuite avec 6 semaines d’affinage, facile à mettre en place
  • La meule : pâte pressée cuite de 35 Kg, avec 4 mois minimum d’affinage.

Un troisième fromage a été sélectionné à la demande des metteurs en marché :

  • La raclette : pâte pressée non cuite, 7 semaines d’affinage.

Le recrutement du fromager a-t-il été un casse-tête ?

AlterMonts

AlterMonts – ©FRAB AURA

Une fois les premiers essais démarrés, les recettes validées, la construction de la fromagerie démarrée… il a fallu recruter un fromager !

Dès le début, ce point avait été identifié comme compliqué (les visites de fromageries, notamment à Comté l’avaient montré), en particulier pour un poste dans les Monts du Lyonnais, un secteur où il n’y a pas d’AOP. Le recrutement a été lancé en octobre-novembre 2019.

Contre toute attente, un jeune fromager originaire des Monts du Lyonnais a postulé. Fils d’éleveur qui avait arrêté la production laitière, il était heureux de contribuer à la valorisation du lait des Monts. Pour renforcer son expérience, il s’est formé dans des coop à Comté et raclette.

C’était un gros pari pour l’équipe de confier un outil flambant neuf dans lequel 1 million d’euros avait été investis, à un fromager si jeune. C’est stimulant pour les deux parties !

Comment se passe la commercialisation ?

Les associés·ées ont choisi de ne se fermer aucune porte car la bio se développe chez tous les metteurs en marché et qu’il faut écouler des volumes. Mais la commercialisation ne se fait pas à n’importe quel prix et les conditions d’AlterMonts doivent être respectées.

Le groupe cherche l’équilibre entre avoir un grand nombre de petits metteurs en marchés, ce qui serait lourd à gérer, et en avoir un gros qui prendrait beaucoup de volume mais fragiliserait la structure.

Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

Il y a eu parfois des moments compliqués, des désaccords, des décisions importantes à prendre… mais tout a toujours été géré au mieux grâce à l’accompagnateur Mickaël. La gestion des facteurs humain était une priorité et cet appui extérieur a beaucoup aidé.

Deux banques ont été contactées et une seule a suivi. Cela a posé question au groupe, d’autant plus que c’est le refus qui est arrivé en premier !

Le coût de l’assainissement a été un gros souci. Les premiers devis étaient exorbitants ! Heureusement, l’un des associés a eu un contact alternatif qui a pu réaliser ce chantier à un prix compétitif.

Le lancement de la production a été délicat. Le groupe a choisi de partir sur du matériel d’occasion révisé. Il a fallu se faire la main, lancer l’affinage, puis arbitrer au quotidien entre poursuivre les affinages ou répondre à la demande… Les difficultés techniques sont résolues au fur et à mesure grâce à l’implication du fromager et des paysans pouvant être appuyés par des conseils techniques extérieurs (Christian Foilloret, des fromagers de coopératives à Comté, un meilleur ouvrier de France…).

Les réflexions autour de la fromageabilité du lait amènent également beaucoup de questionnements sur les pratiques d’élevage. Des techniques ont changé ou ont évolué mais il reste beaucoup à faire ! Pour cela, les éleveurs et éleveuses ont suivi des formations : de producteurs de lait, ils et elles sont passés·ées à producteurs de lait à fromage !

Le facteur temps a aussi été un élément important à prendre en compte : chacun a des engagements divers et il est parfois nécessaire de dégager du temps. Aujourd’hui, le temps estimé pour la fromagerie est d’environ 1 à 1,5 jours minimum par semaine pour chaque associé·e. Du point de vue pratique, chacun note les heures réalisées pour le compte d’AlterMont. Cela permet d’avoir un suivi, de quantifier cet engagement auprès des partenaires financiers, de parfois rééquilibrer, et peut-être un jour de le rémunérer.

Comment le groupe a-t-il évolué ?

Ces différentes difficultés ont permis au groupe de gagner en maturité. Le groupe a été un facteur de résolution des difficultés : parfois l’un a la solution ou apporte une ouverture, le groupe est un facteur de résilience !

Au début, les relations étaient professionnelles, maintenant nous sommes tous amis ! Un des points super positif de ce projet, c’est l’amitié qui s’est développée entre nous. Ces moments de rencontres permettent aussi de parler de techniques culturales, d’alimentation, de soins alternatifs… C’est très stimulant !

Quelle est ta plus grande joie ?

Les premiers fromages qui sortent des caves et qu’on goûte ! Toutes les premières fois ont été de grands moments.

Quels sont les projets d’AlterMonts ?

La fromagerie va monter en puissance sur les transformations. Aujourd’hui (en 2021), le rythme est d’environ 300 000 litres/an mais doit atteindre les 500 000 litres/an.

Les objectifs :

  • continuer à faire des fromages qui plaisent aux gens du territoire et les vendre localement
  • rémunérer correctement le lait des 4 fermes
  • embaucher un ou une aide fromager pour assurer l’affinage des fromages, qui est très chronophage (actuellement les associés aident à l’affinage plusieurs heures par semaine à tour de rôle).

Pour en savoir plus : www.facebook.com/AlterMonts

Ô Pré des Volcans, l’aventure de quatre fermes laitières bio du Puy-de-Dôme

Ô Pré des Volcans, c’est l’aventure de 4 fermes laitières bio du Puy-de-Dôme qui ont eu envie de mieux valoriser leur lait par la transformation fromagère et développer leur territoire grâce à la vente en circuits courts et à la création d’emplois locaux. Damien, David, Fabien, Nicolas et Fabrice élèvent, sur 4 fermes différentes, des vaches laitières conduites en agriculture biologique. Ensemble, ils ont décidé de se rassembler et de créer une fromagerie collective bio.

Ô Pré des Volcans

Ô Pré des Volcans – ©FRAB AURA

Leur projet a commencé en 2018. Dès le démarrage, les éleveurs ont sollicité Bio63 pour être accompagnés dans la construction de ce projet. Depuis maintenant 3 ans, l’association appuie le collectif dans l’ensemble des étapes de la création d’une fromagerie collective.

La première étape vers la concrétisation du projet collectif a été de fédérer le groupe. Les éleveurs ont visité les fermes de chacun. Ils ont aussi échangé sur leurs idées, leurs valeurs… de manière à se questionner sur l’opportunité d’un atelier collectif.

En parallèle, le groupe a réalisé de nombreuses visites d’ateliers de transformation fromagère en région. Le partage d’expériences avec d’autres fromageries et d’autres collectifs leur a permis de mieux cerner les fonctionnements de cette activité de transformation et de dimensionner leur propre projet.

Assurément motivés par la création d’un atelier de transformation collectif, les éleveurs ont entamé
la construction de leur projet. Pendant 2 ans, l’association Bio63 a organisé plusieurs journées de formation pour leur permettre de prendre en main l’ensemble de la gestion de la fromagerie. Les éleveurs se sont formés à la construction d’un plan financier et d’un modèle économique, aux statuts juridiques et à la gouvernance collective, mais aussi à la technologie fromagère et aux équipements d’une fromagerie…

Grâce à l’intervention d’experts dans ces différents domaines, les éleveurs ont pu déterminer collectivement le fonctionnement et les activités de la fromagerie. Ces choix ont également été guidés par les résultats de l’étude économique et de faisabilité, dont la construction a été accompagnée par Bio63 et le CER France.

En janvier 2021, la production de fromages a démarré dans l’atelier de transformation d’un des membres du collectif. L’atelier de Nicolas a été modifié pour réaliser de la transformation fromagère et ainsi démarrer les essais et les premières productions de fromages. Pour la transformation, deux salariés travaillent déjà avec eux sur cette fromagerie d’appoint.

Les travaux de construction de la fromagerie collective ont ensuite démarré dans le bâtiment situé à Nébouzat. L’atelier collectif permettra de transformer 250 000 litres de lait par an, qui seront commercialisés en circuits courts aux habitants, magasins bio et à la restauration collective du territoire. Les éleveurs souhaitent également créer une boutique attenante à la fromagerie pour pouvoir vendre en direct leurs fromages.

Le collectif a aujourd’hui hâte de faire découvrir leur fromage « Le Petit Mozat », un savoureux fromage à pâte molle !

Fromage Ô Pré des Volcans

Fromage Ô Pré des Volcans – ©FRAB AURA

Articles rédigés par Marianne Philit (ARDAB) et Solenn Brioude (Bio 63), initialement publiés dans La Luciole n°31, printemps 2021