Blés paysans : retour sur la visite 2017 de la plateforme de Bouchemaine

Publié le : 28 juillet 2017

Pour la dixième année, la CAB et le GABB Anjou ont organisé en juillet 2017 une journée professionnelle sur les blés paysans bio à Bouchemaine (49). Avec l’appui de l’INRA, cette journée a rassemblé plus de 120 personnes : producteurs, paysans-boulangers, boulangers, acteurs de filières, chercheurs, enseignants… pour découvrir la plateforme des blés paysans et l’actualité de la transformation de ces blés. Le guide savoir-faire paysans sur les blés paysans a été distribué à cette occasion.

Retour sur la visite de la plateforme d’essai, commentée par Florent Mercier.

La plateforme d’essais se situe sur la ferme du Pont de l’Arche, de Thierry et Florent Mercier, producteurs bio. Elle a permis de tester 130 variétés cultivées en micro-parcelles et bandes d’essai. Ces essais sont le pilier de l’action « Semences Blés Paysans », menée avec un collectif de producteurs et grâce au soutien du Conseil régional et du réseau CAB/GAB. Ce travail évolue chaque année avec l’objectif de caractériser les variétés testées sur les fermes. Il permet de maintenir une diversité agricole et de partager des savoir-faire sur la sélection des blés.

La conduite des essais blés

Sur la zone d’essais de blés population, la rotation pratiquée est courte (2-3 ans) :

  • Blé
  • Trèfle annuel
  • Sorgho fourrager

Sur le reste de la ferme, la rotation pratiquée est plus longue :

  • 4 à 7 ans de prairie multi-espèces
  • 2 à 3 ans de céréales : blé, puis seigle ou mélange céréalier (le seigle est mélangé avec du trèfle annuel, que l’on récolte pour avoir la semence).

Des blés population à paille haute : quelques inconvénients et beaucoup d’avantages

Premier inconvénient : la verse, principal souci pour les variétés paysannes. Les blés population sont souvent très hauts sur la plateforme : le semis est donc retardé à début décembre, au lieu de mi-octobre ou début novembre habituellement.
Autre inconvénient : ces variétés font beaucoup de paille, ce qui ralentit la moissonneuse, et peut poser des problèmes pour le battage.

Mais les pailles hautes ont surtout de nombreux avantages :

  • Les éleveurs récoltent plus de paille.
  • Plus de paille entraîne plus de carbone restitué au sol, et c’est le carbone qui donne l’énergie aux êtres vivants du sol, aux bactéries du sol.
  • La hauteur des blés, supérieure à celles des rumex, chardons, etc., permet de limiter la croissance de ces adventices. Par exemple vesce et chiendent peuvent facilement dominer les variétés de blés plus basses, alors que les blés hauts sont plus difficiles à dominer.
  • La qualité du grain est meilleure, car avec la paille haute, les maladies du pied remontent moins.
  • La paille et les feuilles sont un réservoir de nutriments pour le grain, donc le blé va pouvoir plus remplir son grain en étant moins dépendant des nutriments du sol, donnant un grain plus riche en protéine.

Un mélange de variété monte plus en hauteur. Cela peut être intéressant, mais il y une limite : au delà d’une certaine hauteur de paille, cela prend trop d’énergie par rapport à l’énergie nécessaire pour remplir les grains… il y a donc un équilibre à trouver.

Des variétés paysannes plus résistantes à la sécheresse

Les variétés paysannes sont plus résistantes à la sécheresse, grâce à leurs racines fines.

Ce sont des variétés plus tardives, car plus en adéquation avec la minéralisation naturelle du sol, qui se produit quand il commence à faire chaud. Les variétés commerciales, au contraire, sont « poussées » plus tôt, avec de l’ammonitrate au printemps, pour éviter le risque d’échaudage (atrophie des grains). Les variétés hybrides de blé peuvent atteindre 120 qx/ha en conventionnel, alors que les variétés paysannes en bio sont autour de 30 qx/ha : il y a donc beaucoup moins de grains à nourrir.

Les variétés barbues, très courantes dans les variétés paysannes, sont plus résistantes à la sécheresse. Les barbes sont un amortisseur pour le vent, et protègent un peu des sangliers et des oiseaux. Cependant, certaines variétés ont été sélectionnées sans barbes, ce qui un avantage en moisson manuelle, car moins irritant pour les bras.

Trouver le mélange optimal

Le premier travail dans le cadre du projet « blés paysans » a été d’apprendre à connaître les variétés pour composer des mélanges : ce fut en 2009 le mélange « population dynamique n°1 » (13 variétés), puis en 2011 le mélange « population dynamique n°2 » (5 variétés), plus résistant à la verse, qui a donc été adopté par la plupart des producteurs du projet.

L’idéal est d’avoir un mélange qui ne verse pas pour éviter :

  • La présence de cailloux dans la récolte, obligeant à avoir un épierreur
  • Des difficultés pour les meuniers
  • L’humidité au sol, qui peut faire germer les grains, ce qui pose problème.

Le mélange n°2, diversifié, tient bien debout, excepté dans les terres profondes de Mayenne où il a tendance à trop verser. Les agriculteurs de ces zones sont donc repartis de 2 variétés du mélange, Alauda et Saint-Priest :

  • La variété Alauda, venue d’Allemagne, est issue de sélection participative récente. Dans des mélanges de blés anciens et modernes resemés, un épi a été sélectionné, puis multiplié, et s’est avéré très intéressant : bel épi, paille solide, bonne productivité. Mais il est riche en gluten : il est préférable de l’associer à d’autres blés en mélange.
  • La variété Saint-Priest, originaire de Suède, a été collectée dans un village de l’Allier qui lui a donné son nom, ainsi que dans la collection des blés de Redon (Bretagne=, qui rassemble notamment 500 variétés de pays ou variétés anciennes.

Le processus de sélection et de mise au point d’un mélange de variétés populations est basé sur l’observation. Florent Mercier avait repéré un bel épi barbu (c’était un blé croisé entre Alauda et Saint-Priest, donc entre un barbu et un non-barbu) et l’avait resemé, ce qui a donné des épis barbus et d’autres sans barbe. En effet, on retrouve dans la génération suivante les parents, et beaucoup de types de blés différents, plus ou moins tardifs, précoces, allongé, que le peut resemer ainsi après observation.

L’idéal ? Trouver un juste équilibre entre des variétés très diversifiés et des variétés pures.

Faire évoluer les mélanges de blés population en fonction des besoins

Avoir des blés spécifiques pour des usages spécifiques peut être intéressant. La variété Saint-Priest peut être semée de l’hiver au printemps. Le blé poulard, quant à lui, est particulièrement apprécié pour la qualité des grains pour les pâtes. Toutefois, n’utiliser qu’une variété spécifique plutôt qu’un mélange comporte des risques : en cas de problème sur cette culture, tout le champ est touché.

Pour adapter un mélange à ses besoins, il est possible de le faire évoluer : un peu plus de Saint-Priest, un peu plus  d’Alauda pour limiter la verse par exemple. On peut aussi « faire voyager le mélange » en le semant dans des conditions plus difficile pour le rendre plus résistant. Le mélange n°2 a par exemple été cultivé plusieurs années dans le Nord-Pas-de-Calais. Les variétés sans barbe, Saint-Priest, bladette de Provence ont disparu du mélange et d’autres sont apparues (blancs sans barbes, blanc barbu). On retrouve parfois d’autres grains blés restant en « fonds de batteuse » (pour les petits blés), mais aussi des croisements qui sont apparus.

Des essais avec l’INRA pour trouver la meilleure méthode

L’INRA, en sélection participative avec des paysans, réalise des essais de mélanges de variétés de blé. Deux méthodes sont testées :

  • essai avec uniquement des plantes déjà croisées
  • essai avec uniquement des plantes initiales, qui se croisent entre elles de façon naturelle

L’objectif : identifier la meilleur option. « Réponse dans quelques années » précise Véronique Chable de l’INRA.

Des essais sont également fait sur des variétés pures. La variété Talisman, issue de la sélection Lemaire, sélectionneur en Anjou dans les années 30, était utilisée pour le pain local Lemaire. Cette variété, qui a été sélectionnée dans cette région, « tient bien la route« . Aussi dans le cadre de l’action « Blés paysans », il a été décidé de la mettre en multiplication réelle.

Au final, l’objectif est que chaque paysan du projet ait ses propres variétés, par exemple :

  • Une variété de printemps
  • Une variété d’automne
  • Un mélange pour les pâtes
  • Un mélange pour le pain

Des tests gustatifs pour apprécier l’intérêt des variétés utilisées sur le pain final

Un des axes important de ce projet est l’optimisation du produit final,  notamment le pain, grâce aux « test gustatif » des pains issus de ces variétés, avec Camille Vindras-Fouillet de l’ITAB. Suite à la dégustation initiée lors de la journée 2016, en 2017, les participants ont testés 8 pains différents, dont un pain fait avec le mélange population n°2. Les pains étaient tous préparés de la même façon, avec peu de levain, pour limiter l’influence du levain sur le goût et se centrer sur l’effet du type de blé utilisé. Les résultats permettront de mieux appréhender l’effet de la variété sur le goût du pain, et de caractériser les qualités des blés paysans.

Pour en savoir plus, consultez le guide savoir-faire paysans sur les blés paysans et le site de la CAB Pays de la Loire.