Biodiversité fonctionnelle en maraîchage

Publié le : 16 juillet 2020

La biodiversité fonctionnelle en maraîchage est l’art d’utiliser les phénomènes de prédation naturelle pour combattre les ravageurs des cultures et maintenir leur nombre sous le seuil de nuisibilité économique.

Sur le papier, les principes sont simples : assurer gîte, couvert et couloirs de circulation aux prédateurs naturels pour les attirer, les implanter et les conserver le plus longtemps possible. Dans les faits, cette méthode de lutte nécessite une bonne connaissance de la biologie des auxiliaires et ravageurs (pour la reconnaissance des ravageurs et auxiliaires, voir le site https://arena-auximore.fr/jai-capture-une-bete/), des informations précises sur les espèces végétales adaptées à ses objectifs et bien sûr, des aménagements de parcelle adéquats.

Le GRAB d’Avignon, la Serail ainsi que l’ARDAB étudient le sujet depuis plusieurs années à travers des expérimentations et des groupes d’échange en maraîchage. Revue des connaissances disponibles sur le sujet.

Quels auxiliaires contre quels ravageurs des légumes ?

Les ressources naturelles à disposition sont nombreuses. L’idéal est d’avoir une diversité biologique la plus riche possible. Parmi les auxiliaires naturels, on trouve des plus gros aux plus petits :

  • des mammifères, comme le hérisson qui consomme des limaces et escargots ou la chauve-souris qui gobe des papillons, coléoptères et autres insectes volants ;
  • des oiseaux, comme les rapaces diurnes et nocturnes qui attaquent les campagnols ou les mésanges qui consomment des insectes volants dont les pucerons ;
  • des arachnides qui dégustent des insectes et chenilles ;
  • des insectes comme le carabe qui attaque les mollusques, la coccinelle, consommatrice de pucerons, la punaise Macrolophus, prédateur polyphage contre aleurode, Tuta absoluta… mais aussi des hyménoptères (micro-guêpes) qui parasitent les pucerons, des chrysopes ou des syrphes dont les larves dévorent pucerons, thrips, araignées, chenilles…
  • des nématodes contre les chenilles ;
  • des champignons contre nématodes, thrips, charançons et même contre d’autres champignons pathogènes ;
  • des bactéries comme le Bacillus thurigiensis utilisés contre plusieurs chenilles phytophages et même des virus…

 

Mais pour ces 3 dernières catégories, les aménagements de parcelles ne sont pas pertinents. Ces auxiliaires sont apportés lors de pulvérisations de solutions sur les cultures concernées.

En ce qui concerne les mammifères et oiseaux, on observe que les éléments structurels comme les haies composites, les mares, les tas de bois, les nichoirs et les poteaux permettent de mieux accueillir et fixer ces animaux autour de la parcelle afin qu’ils puissent chasser jour et nuit. Ces aménagements ont déjà fait l’objet d’autres articles et ne seront pas détaillés, ici.

Enfin, à propos des insectes auxiliaires, les études en maraichage ont beaucoup porté sur l’aménagement de bandes fleuries afin de favoriser leur implantation et d’assurer leur présence en début de saison dès que les attaques de ravageur commencent à apparaître. Ce sont ces informations qui sont synthétisées ci-dessous.

Les bandes fleuries : gîte et couvert toute l’année pour les insectes auxiliaires

Les populations d’insectes auxiliaires présentes localement peuvent s’implanter naturellement dans les parcelles sous réserve qu’il n’y ait pas de traitements nocifs, de barrière mécaniques (filets…) et qu’il existe des refuges naturels.

Les bandes fleuries implantées naturellement ou artificiellement dans les parcelles ou sous-abris vont constituer ces refuges naturels en fournissant de quoi nicher et manger. Par exemple, les 1ers essais du GRAB d’Avignon sur ses cultures de melon montrent clairement une augmentation des populations de coccinelles, chrysopes et punaises prédatrices en présence de bandes fleuries. Les essais menés dans les années suivantes ont confirmé que la bande fleurie héberge plus d’auxiliaires spécifiques des pucerons (notamment Coccinellidae et Névroptères) que le sol nu. Et ces populations sont apparues plus stables pendant la culture, alors même que les populations de pucerons avaient régressé.

Composition des bandes fleuries

L’alimentation et la reproduction des auxiliaires sera facilitée en partie par le nectar et le pollen des fleurs, qui doivent donc être présentes toute l’année pour assurer une action des auxiliaires la plus longue possible mais aussi pour permettre un déploiement le plus rapide possible de la population d’auxiliaires au printemps. Mais d’après Dominique Berry (référent maraîchage, Chambre d’Agriculture du Rhône) : plus on cherche la précocité des cultures plus on se met dans une situation où les auxiliaires n’ont pas les conditions optimales. La culture de fève peut favoriser la présence de coccinelles de façon précoce.

Il faut donc réfléchir la composition de sa bande fleurie en fonction de l’attractivité des espèces végétales pour les auxiliaires, la précocité et durée de floraison, la concurrence par rapport aux adventices afin d’éviter tout salissement et la disponibilité des graines.

En ce qui concerne l’attractivité des espèces végétales, de nombreuses plantes sont citées : Fabacées, Centaurée bleuet, Phacélie, Pimprenelle, Sarrasin, Coquelicot, Bourrache, Graminées, Achillée millefeuilles (Achillea millefolium), Alysson (Lobularia maritima), Centaurée jacée (Centaurea jacea), Lotier (Lotus corniculatus), Souci (Calendula officinalis), Marguerite…

Les établissements semenciers proposent aujourd’hui des mélanges prêts à l’emploi mais vous pouvez aussi composer vos propres mélanges en vous aidant du tableau réalisé par le projet Muscari, à partir de semences du commerce mais aussi d’espèces naturellement présentes.

Plus spécifiquement au maraîchage, d’après Jérôme Lambion du GRAB, sur les 9 espèces végétales testées dans les bandes florales, 3 sont très intéressantes du point de vue des Dicyphus, à savoir l’érodium de Manescaut (Erodium manescavii), le géranium herbe à Robert (Geranium robertianum) et le géranium à gros rhizome (Geranium macrorrhizum) ; une espèce est intéressante vis-à-vis de Macrolophus, à savoir le souci officinal (Calendula officinalis).

Plante relais et transfert

Pour pouvoir maintenir la population d’insectes auxiliaires pendant la période froide, il existe 2 stratégies complémentaires possibles : maintenir un couvert propice aux auxiliaires mais qui nécessitent de trouver des fleurs pérennes ou implanter un couvert hôte pour les ravageurs qui nourriront les auxiliaires.

C’est ce qu’a fait le GRAB avec un mélange céréales/bleuet/fève pour fixer des populations de pucerons. Mais dans cet essai, la flore spontanée présente s’est révélée beaucoup plus pertinente que la bande fleurie pour maintenir des populations d’auxiliaires.

Ensuite, le GRAB a donc testé l’implantation de plantes pérennes sous abris pour maintenir des populations de punaises prédatrices (Macrolophus et Dicyphus) : mélange de souci (Calendula officinalis), inule (Dittrichia viscosa) et géranium (Geranium robertianum). Mais l’inule a, depuis, été écartée car elle héberge exclusivement Macrolophus melanotoma, qui lui est très inféodée, et incapable de s’installer sur tomate. Le souci a montré une très bonne capacité à héberger Macrolophus Pygmaeus y compris pendant l’hiver mais pas Macrolophus Nesidiocoris.

Le GRAB a enfin testé des modalités de transfert des bandes fleuries vers les cultures, sous abris. L’arrachage de la bande fleurie a été plus efficace que le transfert actif (plantes coupées et déposées dans la culture), qui a été lui-même légèrement plus efficace mais surtout plus durable que le transfert passif.

D’autres techniques de transfert existent :

  • Le battage : les orties sont support d’orius, un battage matinal peut permettre d’obtenir 50 à 60 coccinelles en 5 minutes
  • L’aspiration : En allant tôt le matin et en sélectionnant les auxiliaires recherchés avec un « aspirateur à bouche », on peut attraper les auxiliaires au sol.

Témoignage

Près de 20 participants étaient présent lors de la rencontre du 3 juin 2019 organisées par l’ARDAB, l’ADABio et les chambres d’agriculture du Rhône et d’Isère.

Nous avons approché concrètement la biodiversité fonctionnelle à travers la présentation des pratiques de Dominique Viannay. Cette journée a également bien illustré la coopération entre fermes maraîchères lors de la visite des serres de Véronique et Nicolas Aymard.

« Quand on produit des légumes nous sommes soumis entre autres à une pression par les ravageurs. Il faut créer les conditions pour que les cultures et le milieu soient fonctionnels pour permettre une régulation de base. Si on veut bénéficier du service des auxiliaires de culture il faut qu’ils se trouvent bien chez nous, avec un milieu propice, une diversité, une complémentarité de plantes herbacées, arbustives…Une des clés fondamentales est la floraison, il faut trouver un compromis en fonction de sa sensibilité et de ses cultures, avoir une floraison étagée. »

Dominique Viannay

Par exemple il a mis en place une bande fortuite fleurie de plantes qui élèvent des auxiliaires du puceron noir de la fève. On intervient peu en plein champ avec les auxiliaires, ce sont les aménagements qui comptent.

La captation des auxiliaires pour faire un transfert de culture à culture présente un intérêt sous abris, plutôt que de les acheter, les maraîchers peuvent en produire eux même. Il faut repérer si les auxiliaires sont présents en quantité et si cela vaut le coup économiquement. Lorsque le système commercial le permet, il est possible d’élever des auxiliaires sur des cultures qui ont franchies l’hiver et qui peuvent rester en place. Ainsi on attire des punaises, orius, coccinelles, syrphe, chrysope…

Puisque tous les maraîchers n’ont pas la possibilité d’avoir des auxiliaires en parcelles, l’enjeu de la bourse d’échange d’auxiliaire est apparu. Des alertes de disponibilités d’auxiliaires sont transmises par les maraîchers. Un adulte de coccinelle vendu dans une boite coûte 1.29€, économiquement cela peut devenir intéressant, cela permet de gagner en autonomie.

En 2019, le 2/05, Véronique et Nicolas Aymard avaient des pucerons sur les concombres. Ils ont fait un passage manuel, et, la semaine suivante, ils ont suspendu 4 tiges de blettes avec pucerons parasités par des aphidus. La population d’auxiliaires se développe ensuite et s’auto-entretient sur la saison. Ils maintiennent aussi des zones propices pour attirer les auxiliaires, ils pratiquent la fauche tardive et ils ont semé du lierre sur les filets brise vent.

Ils souhaitent encore intégrer des blettes dans leur rotation jusqu’au printemps pour attirer des auxiliaires.

Article rédigé par Pauline Bonhomme (ARDAB), Rémi Colomb (ADABio) et Samuel L’Orphelin (Agribiodrôme) et initialement paru dans La Luciole n°25