Agriculture biologique et régénération des sols et de la biodiversité
Etat des lieux, enjeux et perspectives

Crédit photo : Jérôme Charrie – EARL La Liberté / GAB85
Restaurer et préserver les sols et la biodiversité : une urgence pour l’agriculture
La préservation et l’amélioration de la qualité des sols, fournissant de nombreux services écosystémiques, est un enjeu crucial pour la production agroécologique, la régulation des flux et de la qualité de l’eau, la régulation du climat et le stockage du carbone, et enfin la conservation de la biodiversité.
La question de la dégradation des sols a suscité récemment l’attention de la Commission Européenne[1], qui estime que 60 à 70 % des sols européens sont dégradés, et qu’entre 61 et 73 % des sols agricoles de l’UE sont touchés par l’érosion, la perte de matière organique, l’excès de nutriments (azote) et le compactage.
On assiste à un effondrement de la biodiversité dans le monde, conséquence des activités humaines qui exercent des pressions majeures sur la nature ; les scientifiques parlent désormais de sixième crise d’extinction massive. Entre 1989 et 2023 en France, les populations d’oiseaux communs des milieux agricoles ont diminué de 44%[2]. Les insectes payent un plus lourd tribut encore puisque leur population a chuté de 70% à 80% en Europe en seulement trois décennies[3].
Cet effondrement de la biodiversité met en péril l’activité agricole car de nombreuses espèces ont un rôle clé dans l’entretien de la fertilité des sols, la régulation des ravageurs des cultures ou encore la pollinisation. Environ 70 à 75 % des plantes cultivées dépendent de la pollinisation par les insectes, soit 35% du tonnage de la production agricole mondiale.
Sont menacés également par cette dégradation de la biodiversité la fourniture de biens et services irremplaçables et indispensables aux êtres vivants : aliments, matériaux de construction, matières premières, médicaments ; épuration naturelle de l’eau et production d’oxygène ; séquestration de carbone et lutte contre le changement climatique ; atténuation de l’intensité des risques naturels comme les crues et les inondations ; protection contre l’érosion ; structuration de nos paysages…
Qu’est-ce que l’agriculture biologique ?
L’agriculture biologique constitue un mode de production agricole excluant l’emploi d’organismes génétiquement modifiés, d’engrais et de pesticides de synthèse, et limitant fortement le recours aux médicaments vétérinaires allopathiques. Ce mode de production allie les pratiques environnementales optimales, le respect de la biodiversité, la préservation des ressources naturelles et l’assurance d’un niveau élevé de bien-être animal. Issue de courants fondateurs opposés au modèle productiviste dans les années 1920, l’agriculture biologique bénéficie depuis les années 1980 d’un cadre réglementaire encadrant sa définition et ses pratiques. En Europe, peuvent bénéficier de la mention « agriculture biologique » les produits agricoles, transformés ou non, qui satisfont aux exigences de la réglementation de l’Union européenne. D’après le Fibl, en 2021, la surface bio représentait 9,6 % de la surface agricole utile de l’Union européenne ; et 1,6% au niveau mondial.
Comment l’agriculture biologique participe-t-elle à la préservation et la régénération des sols et de la biodiversité ?
L’agriculture biologique participe à la préservation et la régénération de la biodiversité
Trois récentes études apportent des données robustes permettant d’affirmer que l’agriculture biologique participe à la préservation et la régénération de la biodiversité :
- La méta-analyse de plus de 500 publications scientifiques conduite et publiée par le Fibl[4] en 2025 a mis en évidence les effets positifs de l’agriculture biologique sur la biodiversité. A titre d’exemple, le rapport cite des augmentations de +95% du nombre moyen d’espèces végétales, de +65% d’oiseaux et de +23% d’insectes pollinisateurs sur les parcelles en agriculture biologique comparées à celles en agriculture conventionnelle.
- L’étude « BiodivLabel »[5], pilotée par l’INRAE et l’IFREMER et publiée en 2025, ayant effectué une vaste revue de la littérature sur les liens entre labels et biodiversité rapporte que l’agriculture biologique présente des gains estimés autour de 30% pour la richesse en espèces par rapport à l’agriculture conventionnelle. Elle constate que les trois labels biologiques (règlement européen bio, Demeter et Nature et Progrès) sont les plus exigeants et les plus ambitieux pour la biodiversité.
- Le rapport 2024 de l’ITAB[6] portant sur la quantification des externalités de l’agriculture biologique fait quant à lui état de 23% d’espèces en plus sur les parcelles bio comparées à l’agriculture conventionnelle et 32% d’individus en plus.
L’agriculture biologique participe à la préservation et la régénération des sols
Ces récentes études apportent également des données sur la capacité de l’agriculture biologique à préserver et régénérer les sols :
- Le rapport 2024 de l’ITAB[7] indique que l’agriculture biologique améliore la qualité des sols avec des indicateurs de la biologie des sols améliorés dans 70 % des cas par rapport à l’agriculture conventionnelle, que ce soit pour l’abondance, la diversité ou les fonctions assurées par les organismes vivants, et de façon nette pour les micro-organismes. On observe également une moindre contamination des sols cultivés dans les systèmes bio, avec à la fois moins de résidus de pesticides (-30 % à -55 %) et à des teneurs moindres (somme des teneurs réduites de 70 % à 90 %)[8]. La non-utilisation de pesticides de synthèse en bio permet de préserver la vie des sols. Les pesticides réduisent en effet l’abondance et la diversité des communautés de la faune du sol ; cet effet est renforcé pour les mélanges de pesticides[9].
- La méta-analyse du Fibl[10] de 2025 fait état lui aussi d’un effet positif de l’agriculture biologique sur la préservation des sols, mesurée à partir de différents indicateurs physiques, chimiques et biologiques. Le bénéfice le plus clair concerne l’abondance et la biomasse des vers de terre qui se sont révélées supérieures en moyenne, respectivement, de 78 à 94% en agriculture biologique comparées à celles en agriculture conventionnelle.
Travail du sol en agriculture biologique : quels enjeux ?
Le travail du sol est une pratique ancestrale dont l’objectif principal est de créer un environnement favorable à la germination des graines. La pratique du labour, technique de travail du sol très répandue en France, consiste à retourner la couche arable sur une certaine profondeur pour l’ensemencer de nouveau. Cette pratique permet d’enfouir les pailles, de contrôler les adventices grâce à l’enfouissement de leurs graines et de sécher le sol en année humide pour pouvoir semer.
Si les rotations plus longues et plus diversifiées, les couverts végétaux et les pratiques de fertilisation à base de produits organiques sont des leviers agronomiques plébiscités en bio, la gestion de l’enherbement nécessite en revanche dans certains cas de recourir à un travail du sol, de plus en plus remis en cause en raison de ses coûts financiers, énergétiques et humains, ainsi que de son impact sur la qualité des sols. En effet, s’il est pratiqué de manière intensive voire excessive, le labour peut engendrer tassement des sols, érosion, limitation de la circulation et de la capacité de rétention de l’eau, baisse de la quantité de matière organique en surface et impacter la macrofaune des sols…
Cependant, l’impact du labour sur les sols semble dépendre grandement de sa profondeur, de sa fréquence et de son étendue (spatiale), du matériel utilisé et d’autres pratiques mises en œuvre à l’échelle du système. Un récent rapport de « Friends of the Earth »[11] cite de nombreuses études[12],[13],[14],[15] montrant que des fermes en bio diversifiées améliorent la matière organique ainsi que d’autres indicateurs de la santé de leurs sols, tout en continuant à pratiquer le labour, grâce à des pratiques de couverture végétale, d’application de compost et de rotation diversifiée.
Il serait souhaitable, avec l’aide de la recherche, de pouvoir mieux caractériser la pratique du travail du sol en bio (Est-il largement pratiqué ? A quelle fréquence ? A quelle profondeur ?) ainsi que l’état actuel des sols en bio.
Quels axes de recherche et de progrès pour améliorer la qualité des sols en Agriculture biologique ?
De plus en plus d’agriculteurs bio conscients de cet enjeu, s’inspirant des piliers de l’agriculture de conservation des sols (ACS) à savoir la couverture végétale des sols permanente, le non-travail du sol et la diversification des espèces, se tournent vers la réduction de l’intensité du travail du sol.
Une transition s’opère vers des formes plus variées de préparation du sol avec un travail du sol moins fréquent, moins profond, sans retournement des horizons, allant jusqu’au semis direct. Le défi est particulièrement important en agriculture biologique avec des difficultés de gestion de l’enherbement ou d’un couvert sans herbicide, et de maintien des rendements des cultures qui peuvent se poser.
La mise en place de ces nouvelles stratégies implique une transformation du système de culture et la construction d’itinéraires techniques adaptés prenant en compte les objectifs et contraintes des agriculteurs selon leur contexte agropédoclimatique.
Cette dynamique de recherche et innovation peut se rattacher également au terme « d’Agriculture Biologique de Conservation des sols (ABC) », qui cherche à combiner les principes et outils de l’Agriculture biologique et ceux de l’Agriculture de Conservation des Sols. En France, l’association des Décompacté.e.s de l’ABC s’attache à réunir agriculteurs, chercheurs, acteurs territoriaux et citoyens pour développer cette Agriculture Bio de Conservation des sols. Selon l’association, « l’ABC stricte reste aujourd’hui un idéal et nombre d’agriculteurs de différents réseaux s’y frottent, essayent et creusent en local ou individuellement le sujet. Ces pionniers ouvrent des pistes prometteuses pour réussir une Agriculture Biologique durable permettant d’agrader ou de conserver la qualité des sols. »
La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) est membre des Décompacté-e-s de l’ABC et de nombreux Groupements d’Agriculteurs Biologiques de son réseau travaillent à échelle régionale ou départementale sur ce sujet.
Contact : Catherine Golden, chargée de mission filières grandes cultures, semences et PPAM à la FNAB, cgolden@fnab.org
Sources :
[1] Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relative à la surveillance et à la résilience des sols (directive sur la surveillance des sols) – 2023
[2] Programme STOC de Vigie Nature
[3] Plos One, “More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas”, 2017
[4] Benefits of organic agriculture for environment and animal welfare in temperate climates. Fibl. Organic Agriculture, published March 2025, open access.
[5] Agriculture, aquaculture et pêche : impacts des modes de production labellisés sur la biodiversité. Synthèse du rapport d’étude, INRAE -Ifremer (France), 92 pages.
[6] Quantification des externalités de l’agriculture biologique, chapitre biodiversité – ITAB 2024
[7] Quantification des externalités de l’agriculture biologique, chapitre biodiversité – ITAB 2024
[8] Quantification des externalités de l’agriculture biologique, résumé Sol – ITAB 2024
[9] Liens ici et là : méta-analyse publiée en juin 2023 dans la revue britannique Journal of Applied Ecology
[10] Benefits of organic agriculture for environment and animal welfare in temperate climates. Fibl. Organic Agriculture, published March 2025, open access.
[11] Rethinking No-Till – Friends of the Earth – April 2025
[12] Delate, K. Cambardella, C.,Chase, C., Turnbull, R.. 2015. A review of long-term organic comparison trials in the U.S.. Sustainable Agriculture Research.
[13] Tautges, N. E., Chiartas, J. L., Gaudin, A. C., O’Geen, A. T., Herrera, I., & Scow, K. M. 2019. Deep soil inventories reveal that impacts of cover crops and compost on soil carbon sequestration differ in surface and subsurface soils. Global Change Biology. 25 (11): 3753-3766.
[14] Diacono, M., Montemurro, F. 2011. Long-term effects of organic amendments on soil fertility. Sustainable Agriculture. 2: 761-786.
[15] Mancinelli, R., Campiglia, E., Di Tizio, A., & Marinari, S. 2010. Soil carbon dioxide emission and carbon content as affected by conventional and organic cropping systems in Mediterranean environment. Applied Soil Ecology. 46(1): 64-72.