Sandra Garcin – Bovins allaitants – Hautes-Alpes

Une démarche pour donner des garanties aux consommateurs

Nous étions installés en GAEC avec mon mari et un autre associé sur une ferme orientée principalement en arboriculture et avec un petit troupeau de bovins. Suite au départ de mon mari à la retraite, le GAEC a été dissous et nous nous sommes partagés l’exploitation avec nos associés : j’ai ainsi récupéré la partie élevage. Fin 2006, je me suis donc installée à titre individuel avec un troupeau d’une quinzaine de mères.

Cela faisait déjà plusieurs années que des voisins éleveurs s’étaient convertis au mode de production biologique et nous incitaient à franchir le pas. Mon installation a été l’élément déclencheur pour la conversion bio : je me suis engagée auprès d’un organisme certificateur en mars 2007.

Des changements de pratiques minimes sur l’exploitation

L’exploitation s’étend sur 20 ha de prairies permanentes et 6 ha de céréales. La totalité de la production est autoconsommée sur la période hivernale. Pour le reste de l’année, je fais partie d’une association foncière pastorale qui gère près de 800 hectares d’alpages collectifs au dessus de  la commune. Le troupeau monte en alpage à partir de fin mai – début juin et y reste jusqu’en octobre. Le passage en bio n’a pas impliqué de grands changements sur nos pratiques. Pour la conduite de céréales, on ne désherbait pas, on ne traitait pas, on n’utilisait qu’un peu d’engrais chimiques. Aujourd’hui, nous utilisons à la place de ce dernier de l’engrais organique autorisé en bio. Si on pouvait s’en passer, cela serait mieux  économiquement, mais nous n’avons pas assez de fumier sur l’exploitation.

L’importance de la race

Le troupeau est constitué de pur Galloway. Cette race bovine, originaire d’Écosse est réputée pour sa rusticité. Les vaches vêlent aisément seules. Elles transforment efficacement en viande les fourrages grossiers qu’elles trouvent. Cette race produit cependant des petits gabarits, nous avons donc acheté un taureau limousin. Nous avons ainsi augmenté la taille des carcasses. D’un point de vue sanitaire, nous avons très peu de soucis. La Galloway est une race résistante et nous sommes le seul troupeau bovin sur le secteur donc cela diminue les risques de contaminations extérieures. De ce point de vue, le passage en bio n’a donc posé aucun problème.

Une commercialisation tournée vers la vente directe

La totalité de la production est vendue en vente directe sous forme de caissettes de viande découpée. Historiquement, nous avons commencé à faire un peu de vente directe avec le GAEC au moment de la crise de la vache folle. Depuis, nous n’avons cessé de développer ce mode de commercialisation. Dans cet objectif, nous avons ainsi fait construire sur l’exploitation une salle de découpe aux normes CE en 2009. Nous vendons à un réseau de contacts locaux. Les clients viennent directement chercher leurs colis sur la ferme puisque nous n’avons pas investi dans un camion frigorifique. Pour l’instant nous arrivons à vendre la totalité de notre production de cette façon. A terme nous serons peut être obligés de trouver d’autres solutions, d’autant plus que nous avons agrandi le troupeau progressivement depuis mon installation pour arriver à sa taille actuelle d’une trentaine de mères. Nous allons donc avoir beaucoup plus de colis à vendre cette année ! Même si c’est difficile à mesurer, je pense que le fait d’être en bio m’a apporté un nouveau type de clientèle intéressée spécifiquement par les produits labellisés.

Une certification jugée trop chère pour la salle de découpe

Aujourd’hui, je ne peux pas faire certifier ma salle de découpe car cela me coûterait trop cher. Je ne peux donc pas utiliser le logo AB sur mes produits mais les gens savent que ma production est certifiée bio. Je trouve que le coût du contrôle est démesuré, d’autant plus que ma salle de découpe se trouve sur le siège de l’exploitation et elle ne sert qu’à découper de la viande bio alors pourquoi payer une telle somme pour être contrôlé ? J’ai avant tout fait la démarche de passer en bio car je pense que c’est l’avenir. Les gens sont demandeurs de ce genre d’engagements. Pour moi, cela me satisfait car je peux ainsi donner des garanties à mes clients sur la façon dont je travaille.

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 1, Des agriculteurs bien dans leur terre…, édité par Bio de Provence

Et depuis, que sont-ils devenus ?

Un changement de race

Je suis passée en agriculture biologique en 2007 avec un troupeau d’une quinzaine de mères Galloway. Depuis, même si j’aimais beaucoup cette race, j’ai décidé de changer car je n’arrivais pas à en vivre. Les veaux étaient petits, je les vendais à 12-13 mois, c’était des broutards qui faisaient 120 kg. Il fallait grossir les carcasses par raison économique. Je suis donc partie sur de la Limousine qui reste adaptée à la montagne. J’ai commencé à faire des croisements puis mon mari et mon fils m’ont encouragée à passer en pur. J’ai aujourd’hui 35 mères. Les veaux sont abattus entre 6 et 8 mois, à 150 kg, après une période d’engraissement en bâtiment que je ne faisais pas systématiquement.

Un projet de GAEC

Mon fils Guillaume souhaite s’installer sur la ferme et nous projetons de nous associer en GAEC. Nous souhaitons encore agrandir le troupeau, jusqu’à 50 mères. Un second bâtiment est en train d’être construit. C’est une société qui produit de l’énergie solaire qui investit dans la toiture et nous avons à charge le reste. Ils ont un contrat d’exploitation de 30 ans. Ce système nous a permis de réduire le coût de ce bâtiment. Nous allons aussi récupérer une vingtaine d’hectares au Saix, que le propriétaire a accepté de mettre en conversion afin que l’on soit tranquille au moment de la reprise.

Nous allons également travailler autrement. Les vaches sont en montagne de juin à décembre. Avec le nouveau bâtiment, on va pouvoir en garder 7-8 sur l’exploitation, avec un accès permanent à l’extérieur bien sûr. On prévoit de travailler en lots, pour pouvoir soigner un peu plus celles qui auront des veaux.

En outre mon fils prévoit de faire du pois fourrager en pur pour la finition des veaux en bâtiment et pour les génisses d’un an. On aimerait
en donner aussi aux mères après vêlage. On se pose également la question de l’insémination pour les génisses de renouvellement, c’est bien pour la génétique mais il y aura une contrainte : il faudra surveiller les chaleurs plus précisément.

Fragilisation sanitaire et menace du loup

Il y a eu l’apparition de problèmes sanitaires depuis qu’on est en pure Limousine. Quelques bêtes ont eu la besnoitiose, on a malheureusement dû les abattre. On reste vigilant à ce niveau. Mais globalement ça va, avec notre système très extensif, le troupeau est beau et on ne connait pas trop de problèmes sanitaires sauf les diarrhées du veau. On se pose par contre des questions avec le loup. Les veaux montent en montagne, on connait des éleveurs qui en ont déjà perdus. Nos vaches sont une grande partie de l’année là-haut. Elles sont libres d’aller partout mais on a remarqué qu’elles ne se rendent plus sur certains secteurs et qu’elles restent plus groupées : est-ce à cause du loup ? Chaque année nous avons aussi des bêtes
qui disparaissent. Avant c’était une ou deux, maintenant plutôt deux-trois. Bon, ce n’est pas forcément le loup, le cheptel est plus grand, les disparitions sont proportionnelles à l’agrandissement donc on reste objectif. Mais on s’inquiète et il faudrait que les meutes soient régulées.

Commercialisation toujours en direct, qui évolue

J’ai commencé la vente directe il y a une dizaine d’années. Avec le bouche-à-oreille ça marche très bien et aujourd’hui il me manque des bêtes. On est conscient que de plus en plus d’éleveurs en font, mais je pense qu’il y a encore du potentiel. D’autant plus que nos prix ne sont pas excessifs, grâce à notre système extensif. Et par volonté de ne pas exagérer la marge sous prétexte que c’est de la viande bio. Je dois arriver à vivre de mon travail mais je veux que tout le monde puisse se payer de bons produits. Jusqu’à maintenant je faisais des caissettes de 12-15 kg. Mais je note des changements dans la clientèle. Déjà ça fait des colis chers, les gens surveillent leur budget. Et puis les clients sont de plus en plus des citadins qui ont des petits congélateurs par rapport aux populations des campagnes. Donc maintenant on fait des demi-colis, à condition que les personnes s’organisent pour trouver quelqu’un qui prenne l’autre moitié. Ça change aussi l’organisation du travail. Avant je découpais en janvier, février
et mars. Maintenant je dois le faire de novembre à juillet car les gens préfèrent acheter deux fois dans l’année plutôt que de stocker la viande pendant un an. L’atelier n’est toujours pas agréé AB (car le coût de la certification est trop élevé, sachant qu’on en paie déjà une pour l’élevage) de plus on n’en a pas besoin : ce qui intéresse les gens c’est comment les veaux sont élevés et ce qu’ils mangent.

On ne fait toujours pas de livraisons, les gens viennent récupérer les colis de viande à la ferme. Cette année je suis quand même allée dans les
Bouches-du-Rhône pour les portes-ouvertes d’une coopérative oléicole. Vu que l’on va agrandir le cheptel, j’essaie d’anticiper un peu et d’agrandir la clientèle. On prévoit dans le futur de descendre là-bas deux-fois par an pour des commandes groupées. Exceptionnellement je passe par la Coop Bovine (un veau et le taureau cette année). Aujourd’hui avec la vente-directe, je gagne seulement 50€ par veau de plus que si je passais par la coop en comptant le temps de travail. On pourrait donc diversifier un peu. Mais je souhaite rester en vente directe majoritairement car je garde une certaine autonomie.

Satisfaite du bio

L’agriculture biologique ça me convient très bien. Je suis passée en bio parce que les Galloway, personne ne les voulait en conventionnel car elles n’avaient pas une bonne conformité. Aujourd’hui on n’a plus ce problème. Mon fils qui a fait ses stages dans des structures plus intensives se pose des questions. Mais je souhaite que le GAEC reste bio, les politiques poussent dans ce sens en plus. Notre système fonctionne très bien comme ça, je suis pour qu’il apporte de la technique grâce à sa formation agricole, mais je ne veux pas qu’on s’intensifie à outrance et qu’on arrête l’AB. Le bio c’est une belle façon de travailler !

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 4 – Que sont devenus les témoins du tome 1, édité par Bio de Provence