Frédéric Jean – Arboriculture – Bouches-du-Rhône

Je suis issu du milieu agricole puisque ma mère était arboricultrice en conventionnel. Cependant, après mon bac, je me suis orienté vers une toute autre voie : les magasins de sport. Au bout de 3 ans, j’ai effectué un passage au service militaire et à mon retour j’ai aidé ma mère une saison en attendant de retrouver du travail dans le même milieu. J’ai alors réfléchi à mon orientation professionnelle. Je n’ai pas suivi de formation agricole mais j’ai appris petit à petit grâce à des livres, et j’ai acquis mes propres convictions. Suite à des confrontations sur des questions techniques avec ma mère, je me suis installé en individuel en 2002. J’exploite aujourd’hui 13 hectares de vergers de cerises, abricots, prunes, pommes, poires et raisins de table, 90% de mon exploitation est désormais en bio ou en conversion.

Les variétés, un choix décisif

Dès la fin de l’année 2002, j’ai procédé à un surgreffage sur une première parcelle avec la variété de pomme Juliet® qui est particulièrement bien adaptée à la culture biologique. Elle m’avait été présentée par le conseiller arboriculture de la Chambre d’agriculture du Vaucluse. C’est lui qui m’a accompagné et soutenu pendant ma conversion. Depuis, je reconvertis chaque année quelques parcelles en agriculture biologique. Aller progressivement me permet d’effectuer au préalable des essais sur quelques rangs d’une parcelle pour  voir si la variété est adaptée ; si ce n’est pas le cas je replante ou je surgreffe. L’investissement est très lourd. Pour les pommiers par exemple le coût de plantation, de palissage et de pose de filets de protection est de 30 000 € /ha.
Il est donc très important de veiller au choix des variétés. Mes critères sont l’adaptabilité technique au mode de production biologique et les  qualités gustatives.

Se préparer à 200%

Trois ans de conversion, c’est long, et c’est une période difficile. Quand on arrive à produire malgré les problèmes techniques et que par la suite on est confronté à des problèmes de commercialisation car les produits en conversion sont mal reconnus, c’est assez démoralisant. Il faut être prêt psychologiquement et bien se renseigner sur le plan technique et commercial.

Raisonner autrement que sur le volume

Au niveau des pratiques agricoles, il faut repenser complètement le mode de production en fonction des espèces. Le raisin par exemple nécessite moins d’interventions en bio si les conditions climatiques s’y prêtent. La culture la plus compliquée à mener est le pommier, surtout à cause du carpocapse. Au départ je luttais par confusion sexuelle, puis la Chambre d’agriculture du Vaucluse a procédé à des essais avec des filets qui se sont avérés très concluants et j’ai commencé à en installer sur mes parcelles. Ils apportent de plus une protection contre la grêle. La prune aussi nécessite moins de traitements à condition d’investir dans ces filets de protection. Je récolte moins en volume, mais le prix de vente est bien supérieur. Les rendements sont très variables en fonction des années. Il y a plus de ravageurs, plus de maladies et on ne régule pas facilement la production. On peut perdre la production d’une parcelle suite à une attaque de pucerons. Il faut aussi accepter la mortalité des arbres, par exemple à cause de l’ECA (Enroulement Chlorotique de l’Abricotier) chez l’abricotier et le prunier, mais ce sont les risques du métier ! Il faut raisonner sur les résultats d’une saison entière. En conventionnel, on mise sur le volume car les prix sont bas. En agriculture biologique, les prix sont plus linéaires, on est sur un marché de niche qui subit moins de fluctuations. On ne raisonne plus sur le volume, mais sur la qualité. Je cueille mes fruits à maturité pour une meilleure satisfaction de tous.

Il est important de bien se renseigner sur la commercialisation au moment de la restructuration du verger. Parfois, ce qui se vend mal en conventionnel se vend bien en bio. Au départ pour ce qui était en conventionnel, je travaillais avec des grossistes conventionnels. J’ai ensuite cherché des grossistes bio. Aujourd’hui une relation de confiance s’est établie avec Pronatura qui accepte aussi mes fruits en conversion. Depuis 2008 je fais en plus le marché à Salon de Provence, et je suis dans des AMAP à Marseille et Simiane.

Aujourd’hui encore la bio est marginalisée. Cependant, je suis bien dans ce que je fais. Le mode de conduite en bio est complètement différent, c’est presque un autre métier et je ne reviendrais certainement pas en arrière. J’ai des petites parcelles et beaucoup d’espèces et de variétés différentes. Ce qui faisait ma faiblesse fait aujourd’hui ma force en bio. La vie dans mes vergers et dans les sols revient : je trouve des coccinelles, des araignées, des auxiliaires, du trèfle,… Comme on effectue moins de passages avec le tracteur, la terre est moins tassée et un écosystème se remet en place. On observe une différence dès la première année de conversion. L’arbre apprend à se défendre lui-même, il pousse différemment, il est souvent plus rachitique mais l’important c’est ce que l’on récolte à la fin ! Aujourd’hui je ne peux plus supporter l’odeur des insecticides chimiques.

Je sais où je veux aller au niveau variétal et cultural, chaque année j’investis donc dans ce sens. Je ne cherche pas à m’agrandir, je préfère avoir des vergers performants sur cette surface et obtenir des fruits beaux et bons.

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 1, Des agriculteurs bien dans leur terre…, édité par Bio de Provence

Et depuis, que sont-ils devenus ?

Évolutions de l’exploitation depuis 5 ans

100 % de l’exploitation est aujourd’hui en bio. Ma conversion à l’Agriculture biologique a commencé en 2003, juste après mon installation en 2002. J’ai converti mes parcelles les unes après les autres, puis, en 2009, lorsque j’ai récupéré les terres de ma mère, j’ai passé d’un seul coup toutes ces nouvelles parcelles en AB.

Mon but est d’avoir des vergers performants et non de m’agrandir. Et c’est cette idée que j’ai suivie ces dernières années. J’ai dans ce sens effectué quelques travaux de restructuration de mes vergers. J’ai planté de nouvelles variétés de pommes : Crimson et Crisp story. Je me suis rendu compte que le marché de la poire bio était porteur, c’est pourquoi j’ai fait le choix de faire de nouvelles plantations de poiriers sur mon exploitation.
J’ai opté pour une variété qui possède une résistance naturelle. Enfin, j’ai planté du raisin de table sans pépins, que je vends en circuit court.
Concernant la main d’oeuvre, j’ai embauché il y a 3 ans un salarié permanent qui a le rôle « d’homme à tout faire ». Et pour le reste (récoltes notamment), je fonctionne avec des saisonniers, qui reviennent d’une année sur l’autre. Plutôt que de faire de très grosses journées avec peu de  saisonniers, j’ai opté pour la stratégie d’employer plus de personnes qui font moins d’heures.

Pronatura est toujours un de mes clients principaux et il y a même une association de producteurs référencés, dont je fais partie, qui a été créée. Sur le plan des circuits courts, je ne fais plus le marché de Salon de Provence. Je travaille par contre toujours avec une AMAP à Sénas. C’est en fait un maraicher qui gère l’AMAP et qui m’appelle pour que je lui livre les fruits.

Des investissements pour améliorer la performance de l’exploitation

La totalité de mes surfaces en pommiers est depuis cette année couverte par des filets de protection contre le carpocapse, un ravageur très difficile à gérer en bio. J’ai commencé à en poser dès 2007 et j’ai continué à en mettre chaque année jusqu’à ce que tous mes vergers en soient équipés. Cela m’a permis d’étaler les dépenses sur plusieurs années car il s’agit d’un investissement conséquent. Pour moi, les filets sont indispensables pour pouvoir produire des pommes bio de 1er choix tout en effectuant le moins de passages possibles. Une fois le filet posé, il n’y a plus de produits phytosanitaires à épandre, je dois juste gérer l’arrosage, le désherbage et l’éclaircissage si nécessaire.
J’ai également investi dans du matériel pour le travail du sol. C’est ma rencontre avec Karim Riman, ingénieur agronome spécialisé sur le sujet, qui m’a fait prendre conscience de l’intérêt de travailler le sol. Car pour un arboriculteur, il est difficile de penser au rôle du sol dans la production, la partie que l’on voit et travaille étant l’arbre lui-même. J’ai donc investi dans un scarificateur, qui me permet d’aérer et de décompacter le sol. J’effectue ma première saison avec cet équipement en 2015. Bilan à suivre !

Je travaille avec plusieurs clients pour la commercialisation de mes produits et je passe essentiellement par des circuits longs tels que les grossistes, notamment pour les pommes. Un changement important a d’ailleurs eu lieu récemment. Les attentes des grossistes sont difficiles à satisfaire car ils veulent des fruits de plus en plus irréprochables, calibrés, et faciles à stocker/conserver. J’ai donc fait le choix d’investir dans une calibreuse en 2013, afin de pouvoir répondre à la demande des grandes surfaces. Je peux désormais vendre en caisses calibrées et ainsi capter de nouveaux marchés, en répondant à des commandes précises

Quelques difficultés rencontrées durant ces 5 années

Depuis deux ans, j’ai un problème avec mes poiriers : le phylloxera. Pour l’instant, je n’ai pas de solution technique pour y faire face et même le GRAB (Groupe de Recherche en Agriculture Biologique) a du mal à me conseiller. Ces problèmes techniques font parti du jeu en bio. Tous les ans j’ai des problèmes sur mon exploitation, et tous les ans ce sont des problèmes différents. J’aimerais pouvoir lutter efficacement contre les  prédateurs et les maladies, mais il existe souvent peu de solutions alternatives aux traitements.

La bio : un défi permanent !

Il existe une grande diversité dans mes productions et dans les variétés que je cultive. ’est un avantage pour la commercialisation ainsi que pour la biodiversité et la faune auxiliaire, mais c’est compliqué à gérer et ça demande de l’organisation et de multiples compétences techniques. Au départ, j’avais envie de me mettre à la bio pour la variété Juliet que je trouvais intéressante et qui « poussait toute seule ». Puis je me suis dit que ce n’était pas cohérent d’avoir de la mixité bio/conventionnel sur mon exploitation et j’ai donc fait la démarche de convertir toutes mes surfaces. Avec le temps, je gagne de l’expérience et je connais de mieux en mieux mes parcelles, ce qui me permet d’augmenter ma technicité.

En bref, l’AB est un mode de production très différent du conventionnel. Il requiert de faire alliance avec le sol et les auxiliaires et d’accepter une certaine part de pertes à la récolte ! C’est dur de produire en bio ! Mais on le fait aussi par principe et on est fiers de nos produits !

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 4 – Que sont devenus les témoins du tome 1, édité par Bio de Provence