Bernard Delaunay – Bovins lait – Ille-et-Vilaine

« Passer en bio, ça ne s'improvise pas »

Bernard Delaunay a fait le récent pari de la Conversion bio. Sur sa ferme laitière de 48 hectares, à Javené (35). Déjà dans une démarche de progrès vis-à-vis des produits phytosanitaires, sa conversion lui a permis de s’en affranchir complètement.

Comment est arrivé le questionnement de la bio dans votre parcours ?

Je me suis installé en 1988 sur la ferme familiale de 22 ha pour arriver à 48 ha, aujourd’hui. J’ai toujours évolué dans le principe d’utiliser le minimum de pesticides et d’engrais. J’étais dans les premiers il y a 25 ans à ne plus mettre d’engrais chimiques sur le maïs, uniquement des engrais organiques. Je me souviens encore des réflexions de mes voisins… Et finalement, on s’est rendu compte que ça fonctionnait aussi bien. Au fur et à mesure, j’ai réduit fortement l’apport d’engrais minéral, même sur les prairies. Et pareil au niveau des traitements que je faisais sur maïs et céréales, que je déléguais sur la fin. J’ai bien pris conscience que la manipulation des produits n’était pas très intéressante pour ma santé, ni pour celle des personnes et des animaux qui consommaient nos produits.

On voit que vos pratiques n’étaient finalement pas si éloignées de la bio. Qu’est-ce qui vous a motivé à passer en bio?

J’ai été hésitant longtemps. Je me débrouillais bien, j’avais de bons résultats économiques, la plupart du temps. Mes enfants étaient jeunes à l’époque, j’avais peur de faire des impairs au niveau revenu, et de mettre ma famille en difficulté. Finalement, il faut qu’on s’ôte ça de la tête, même si le revenu ne doit pas être la première raison pour passer en bio. Il faut avant tout s’approprier la philosophie.

Ce qui me gênait un peu pour démarrer en bio, c’était la surface, parce qu’on est un peu court, mais je vais malgré tout démarrer comme ça, quitte à baisser sensiblement le volume produit. Mon étude a été faite avec 30% de volume en moins et ça passe tout à fait correctement. Un autre facteur qui a fait office de déclic, c’est quand je suis allé faire une formation découverte de la bio. En comparant les résultats conventionnels et bio, je me suis aperçu que les produits étaient un peu moins élevés en bio, mais que les charges étaient quasiment divisées par deux. Et c’est là que j’ai pris ma décision.

Techniquement, la marche était haute pour vous ?

Techniquement, il faut se dire qu’on fait une croix sur les céréales en plein, qu’on divise par trois les surfaces en maïs et puis on ensemence de manière à avoir des surfaces en vert au maximum. C’est-à-dire association graminées légumineuses, céréales multi-espèces. Il faut absolument rentrer complètement dans le processus. Il ne faut pas se dire qu’on va encore continuer à rester un peu intensif. Il faut surtout bien se mettre dans la tête, qu’autant on était pointilleux sur une parcelle de maïs, au détriment parfois de l’herbe, qu’autant on va être exigent sur la gestion de l’herbe. On participait déjà à des groupes lait autrefois où on faisait le suivi de la pousse de l’herbe, et je savais combien mes parcelles pouvaient fournir de volume. Je savais que ça allait être 6 à 8 tonnes de matière sèche hectare. Je n’ai pas eu de mauvaises surprise, mais il faut gérer au plus près ces parcelles-là au niveau de leur production, car on on n’a plus de béquille chimique.

C’est compliqué de s’approprier la conduite bio ?

Je faisais déjà du binage, pour une raison de coût. J’étais déjà partisan de réduire les doses par moitié la plupart du temps, sur les céréales ou sur les maïs parce qu’on s’apercevait que faire un passage de bineuse, ça nous évitait un ou deux passages de pulvé. Il faut absolument bien se mettre dans la tête qu’on change de conduite. Ce n’est plus la même philosophie et pour moi c’est primordial. Avec les manques de stocks qu’il y a cette année, j’ai discuté avec des bio qui me disaient que leur vaches étaient descendues à 14 litres. Avant, on aurait dit holà, on va racheter quelque chose pour y remédier. Et bien, non, on fait avec ce qu’on a. Il faut se dire que les mois et les années qui viendront seront meilleures.

Il y aussi en bio cette technicité, cette connaissance de la plante, qu’on omettait assez facilement en conventionnel. En bio, il faut connaître parfaitement les plantes, leur cycle, leur fonctionnement. J’ai encore beaucoup à apprendre par rapport à la vie microbienne du sol. Quand j’entends des gens qui sont en bio depuis longtemps parler de la vie microbienne du sol, et de l’intérêt qu’on a de fonctionner avec ça, je me dis que ce sont des gens qu’il faut écouter et dont il faut reconnaître les connaissances. C’est un petit peu dommage, qu’on ait laissé tomber ça il y a 50 ou 60 ans, parce qu’on nous a demandé de produire plus. Je ne suis qu’en conversion, l’hiver prochain, ça serait peut-être plus dur, mais cet hiver, j’ai diminué les correcteurs azotés, j’ai fonctionné avec beaucoup plus d’herbe et de stock d’herbe, finalement, ça se passe pas si mal.

Témoignage collecté par Antoine Besnard, Rédacteur en chef Symbiose, le magazine du réseau GAB-FRAB Bretagne