Les plantes en élevage vont encore faire parler d’elles

Publié le : 6 décembre 2024

La FNAB, avec Trame, La Coopération Agricole et ADA France, lance le projet PALMAROSA (PArtage de savoirs d’éleveurs, Liens entre les productions PPAM et élevage, et Mutualisation des Accompagnements par nos Réseaux d’ONVAR pour la Santé et le bien-être des Animaux). Ce projet d’une durée de deux ans, à partir de janvier 2025, vise à mutualiser les moyens de ces quatre organisations partenaires pour améliorer l’accompagnement des éleveurs et éleveuses dans leur approche globale de la santé animale et de l’amélioration du bien-être des animaux d’élevage, notamment par le recours aux produits naturels tels que ceux issus des plantes.

Des pratiques qui répondent à un enjeu de santé publique

La lutte contre l’antibiorésistance, qui augmente le risque de perte d’efficacité des médicaments antibiotiques utilisés en santé humaine, ainsi que le risque d’impasse thérapeutique en élevage, fait partie des grands enjeux sanitaires actuels et passe par une réduction de leur usage en élevage (Rapport Carlet, 2015). Or les objectifs de réduction de l’utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire ne peuvent être atteints que si des méthodes alternatives au recours aux antibiotiques sont développées dans les différentes situations sanitaires rencontrées sur le terrain (ANSES, 2018). L’utilisation des médecines alternatives permet en effet de réduire les traitements allopathiques tout en maintenant une situation sanitaire satisfaisante. Bien entendu, il importe, quels que soient les produits (de synthèse ou naturels) que les animaux d’élevage consomment ou avec lesquels ils sont en contact, de s’assurer de leur innocuité, puisque les hommes consomment les productions de ces animaux.

Outre le recours en première intention à des produits naturels tels que les plantes, la limitation d’utilisation des médecines allopathiques constatées en Agriculture Biologique (Moussel, 2011) s’accompagne de pratiques d’élevage favorables au maintien de l’équilibre sanitaire des troupeaux (désintensification animale, attention accrue de l’éleveur-se, équilibre alimentaire…). C’est le principe de l’approche globale : cette méthode en épidémiologie fait référence à l’étude des facteurs de risques et du lien entre les pratiques d‘élevage et l’état de santé des animaux et leur bien-être (Experton, 2014). Cette approche globale s’apparente ainsi au concept One Health, qui est à la base de la réflexion initiale du projet PALMAROSA.

Ce projet s’inscrit donc dans le cadre d’une approche globale de la santé et du bien-être de l’ensemble des animaux d’élevage, qu’il s’agisse des ruminants, des monogastriques ou des abeilles. Certaines actions concerneront plus particulièrement le recours aux plantes et aux acides organiques étant donné leur encadrement réglementaire qui nécessite des précautions particulières lors du partage de connaissances et de la formation des éleveur-ses et des apiculteur-rices.

Un cadre d’utilisation contraint

En effet, l’usage des plantes à des fins thérapeutiques préventives ou curatives “propres à guérir ou à soulager les maladies” par les éleveur-ses est illégale sans prescription vétérinaire (contrairement à la santé humaine, l’automédication est interdite, ce qui oblige à d’autant plus de rigueur). Les spécialités à base de plantes sont souvent classées comme aliment complémentaire. Mais dès lors qu’il y a allégation thérapeutique, qu’elle soit écrite ou orale, les substances à base de plantes passent dans la catégorie des médicaments vétérinaires, statut qui nécessite une autorisation de mise sur le marché (AMM). Or on ne compte que 8 médicaments vétérinaires à base de plantes actuellement autorisés. Il est aussi possible pour le vétérinaire de prescrire une “préparation magistrale” à base de plantes. Mais cela doit être fait sous sa responsabilité et dans le cadre de la cascade, c’est-à-dire s’il n’existe pas de médicament allopathique de remplacement, et avec un délai d’attente doublé pour la bio. De plus, pour qu’une plante soit incluse dans une préparation magistrale à destination d’animaux d’élevage, elle doit obligatoirement disposer à minima d’un statut avec une LMR (Limite Maximale de Résidus), ce qui n’est le cas que d’une dizaine d’huiles essentielles. (Sources : ITAB, 2025 ; ANSES, 2022).

L’utilisation, dans un cadre légal, des substances à base de plantes se heurte donc à de nombreux freins, et le très large spectre de plantes utilisables (une centaine couramment utilisée) ne facilite pas son encadrement. On manque également de connaissances sur les interactions entre plantes (manque de connaissances analytiques). De plus, l’absence de résidu issu des substances à base de plantes dans les produits animaux est difficile à prouver, du fait de la consommation de plantes aromatiques par les animaux, des interactions possibles entre leurs composants, mais aussi de la complexité de leur composition. En effet, d’un point de vue méthodologique, l’approche classique de la question des résidus, qui pourrait permettre d’élaborer un dossier LMR, est difficilement applicable à des substances telles que les huiles essentielles qui sont des composés complexes de plusieurs dizaines de molécules différentes (Bouy, 2020). Il convient donc de s’assurer d’une part d’une bonne connaissance par les éleveur-ses, comme par nos structures de conseil, de ce qu’ils et elles ont le droit de faire ou pas, d’autre part d’outiller nos réseaux de développement pour faciliter le partage de savoirs et la montée en compétence dans le respect de ce cadre réglementaire.

En bio, la problématique est d’autant plus prégnante que le cahier des charges encourage le recours aux alternatives et à une gestion globale de la santé. « Les produits phytothérapiques, les produits homéopathiques, les oligo-éléments sont utilisés de préférence aux médicaments vétérinaires allopathiques chimiques de synthèse ou aux antibiotiques, à condition qu’ils aient un effet thérapeutique réel sur l’animal et sur la maladie concernée. » (Règlement UE 2018/848, Annexe II, Partie II, 1.5.2.3.). Mais le sujet concerne tous les éleveur-ses, en bio ou non. Ces enjeux s’inscrivent aussi dans un contexte de diminution du nombre de vétérinaires ruraux, corroborant la nécessité d’autonomisation des éleveurs et éleveuses.

Des problématiques similaires pour la santé des ruchers

En apiculture, Varroa destructor, acarien parasite de l’abeille, représente un enjeu sanitaire majeur. Avec d’autres facteurs et parfois de manière combinée, il est l’une des causes du déclin des colonies d’abeilles mellifères. Depuis son arrivée en France en 1981, les apiculteurs sont en perpétuelle recherche de solutions pour lutter contre Varroa.

Historiquement, la lutte contre Varroa est d’abord chimique : sur le papier, les apiculteurs disposent de 16 médicaments avec AMM en France (ANSES, 2024). Cependant, ces médicaments reposent sur un faible nombre de substances actives : seulement 6, dont seulement 3 utilisables en bio et 2 acides organiques. Les modes d’actions sont par ailleurs souvent similaires (InterApi, 2023). Quatre molécules sont des neurotoxiques et les modes d’action des deux acides organiques sont encore à ce jour mal connus. Ce faible nombre laisse craindre l’apparition de résistances. Des cas de résistances sont déjà documentés sur le tau-fluvalinate et l’amitraze (Almecija, 2021). Par ailleurs, les modalités d’utilisation de certains médicaments avec AMM sont parfois remises en question par les apiculteurs pour leur manque de praticité.

Depuis quelques années, l’intérêt des apiculteurs est croissant pour ces acides organiques, qui montrent de bons taux d’efficacité, utilisés seuls ou combinés à des méthodes de lutte non médicamenteuse. Ainsi, le contrôle de la population de Varroa tout au long de l’année permet de raisonner l’utilisation des médicaments. Les acides organiques ont l’avantage d’une efficacité correcte et d’être autorisés en apiculture biologique, mais de nombreuses exploitations conventionnelles se tournent également vers leur utilisation.

Un défi à relever pour la filière apicole est donc de renouveler ses moyens de lutte contre Varroa, en anticipant d’éventuelles résistances tout en garantissant une apiculture durable. Les besoins d’accompagnement technique, de partage de connaissances, de montée en compétence et de connaissance de la réglementation identifiés chez les éleveur-ses au sujet de l’utilisation des plantes pour la santé des troupeaux sont donc les mêmes en apiculture.

Une dynamique nationale

Grâce à ce projet, la FNAB, Trame, LCA et ADA France espèrent aider les éleveurs-éleveuses à améliorer la santé de leur cheptel et le bien-être de leurs animaux, par une approche globale de la santé (alimentation, immunité, rusticité…), le recours à des produits naturels tels que les plantes ou, pour l’apiculture, à des acides organiques naturellement présents dans le miel. L’objet même du projet doit conduire à une amélioration tant de l’équilibre sanitaire global des troupeaux que de leur bien-être. Les quatre partenaires vont pouvoir mobiliser leur réseau pour remettre ce sujet sur le devant de la scène et faciliter le partage de savoirs entre éleveur-éleveuses, la formation et la création de liens entre producteurs-productrices de PPAM et éleveur-éleveuses.

Pour en savoir plus

  • Projet CASDAR Synergie :

L’objectif du projet Synergie (2012-2015) était de mieux connaître et comprendre les facteurs de maîtrise d’une approche globale de la santé dans les élevages de volailles de chair conduits en agriculture biologique. L’approche éco-pathologique mise en place dans ces élevages fait appel à des méthodes alternatives à l’utilisation des médicaments et à des pratiques préventives pour la gestion de la santé des cheptels. Des enseignements et des recommandations ont pu être fournis pour la consolidation et la mise en pratique d’une approche globale de la santé à destination des éleveur-ses, des conseiller-ères et des vétérinaires. Notamment, des outils ont été créés pour améliorer le conseil sanitaire, et des méthodes ont été identifiées pour favoriser le travail au sein des groupes d’éleveur-ses et pour la réalisation d’audits d’élevage.

  • Projet CASDAR Otoveil :

Le projet Otoveil (Développer des outils techniques et organisationnels de conseil pour la surveillance et la prévention sanitaire dans les élevages biologiques – AAP 5511) a été engagé à la suite, en 2016-2019. Il a permis d’acquérir des références sur les pratiques sanitaires en AB, de les faire partager aux éleveur-ses et de trouver des moyens pour réduire les pertes d’équilibre sanitaire des troupeaux, afin de limiter l’utilisation d’intrants de synthèse dans les exploitations d’élevage de ruminants en AB. Ce projet a notamment abouti à des grilles de contrôle pour la prévention et la surveillance de la santé des animaux : l’outil Panse-Bêtes a été créé pour faciliter la détection des différentes causes susceptibles d’être à l’origine d’un déséquilibre de santé au sein du troupeau (https://www.panse-betes.fr).

  • Projet Horizon 2020 RELACS :

Le projet RELACS (2018-2022) a été coordonné par l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) en Suisse et rassemblait 29 partenaires (acteurs de la recherche, de l’agriculture, des services de conseil et de l’industrie…) issus de treize pays. Il visait à évaluer les solutions nouvelles et les plus avancées pour réduire davantage l’utilisation d’intrants externes, voire développer des outils pour :

  • réduire l’utilisation du cuivre et de l’huile minérale dans la protection des plantes,
  • identifier des sources durables pour la nutrition des plantes,
  • fournir des solutions pour soutenir la santé et le bien-être des animaux d’élevage.
  • PEI UniFilAnim Santé :

Le projet régional UniFilAnim Santé (2018-2022) a été co-financé par la région Pays-de-la-Loire et l’Union européenne. Ce projet collaboratif, concernant à la fois les productions avicole, porcine et ruminants, a abordé la problématique de la santé animale en élevage et permis notamment de tester un ensemble de plantes permettant d’améliorer la santé des ovins et des volailles.

  • Projet Organic PLUS :

Ce projet européen (https://organic-plus.net) avait pour objet la problématique de l’utilisation des intrants litigieux en bio, dans le but d’identifier les pistes pour éliminer progressivement les intrants litigieux de l’Agriculture Biologique en Europe. 13 pays, dont la France au travers de l’INRA et d’ABioDoc, ont participé à ce projet. Dans ce cadre, une enquête auprès des éleveur-ses bio a notamment permis d’identifier le nombre et le type de traitements utilisés pour soigner les principales pathologies rencontrées en élevage.

  • Projet INNOVAR :

Le projet INNOVAR (2017-2019) a permis de réaliser des suivis de ruchers d’apiculteurs professionnels ayant une stratégie de lutte contre varroa, a priori identifiée comme innovante et performante.

https://www.ada-aura.org/wp-content/uploads/2020/06/Innovar-livret-2019.pdf

  • Projet ICARE :

Le projet ICARE (2021) avait pour objet d’identifier, de caractériser et d’évaluer des pratiques de lutte contre varroa, avec notamment un volet innovation, afin de s’intéresser à des pratiques novatrices ou sur lesquelles la filière avait peu de données.

https://www.ada-aura.org/wp-content/uploads/2023/06/Livret-varroa-2021-2022-sommaire.pdf

  • Projet WINVAR :

Dans le cadre du projet WINVAR (2021), plusieurs stratégies de lutte hivernale contre Varroa destructor ont pu être évaluées.

https://www.adana-asso.fr/projet-varroa-winvar/

Ce projet se compose de cinq actions :

  1. Mutualisation des travaux des ONVAR partenaires sur l’accompagnement et la montée en compétence des éleveur-ses
  2. Capitalisation des pratiques et partage des savoirs d’éleveur-ses
  3. Développement des compétences et formations
  4. Création de liens et partenariats locaux entre producteur-rices PPAM et éleveur-ses
  5. Pilotage, gouvernance et valorisation

Les deux premières actions sont complémentaires et leur approche sera différente : la première va concerner ce qui est fait comme actions de développement et de formation au sein de nos structures et comment se fait ce travail dans nos organisations, quand la seconde va plutôt s’intéresser à ce qui est échangé entre les éleveur-ses, et comment c’est fait. Même si tout est lié, ces deux actions concerneront donc des échelles de travail différentes.

La troisième va permettre d’améliorer nos dispositifs de montée en compétence dans nos réseaux. Une quatrième action permettra de lancer des dynamiques d’échanges et de partenariats, tant au niveau national que local, entre les productions de PPAM et d’élevage, en renforçant des initiatives existantes ou en en accompagnant de nouvelles, pour développer des actions collectives et des filières de proximité. Une cinquième et dernière action garantira le pilotage global du projet et la cohérence de la valorisation et de la communication qui seront faites dans le projet.

  • ADA AURA, 2019. Projet INNOVAR. Zoom sur 19 stratégies de lutte contre Varroa
  • ADA AURA, 2020. Projet DOLHIVAR. L’encagement hivernal comme méthode de lutte contre Varroa
  • ADA AURA, 2022. Projet ICARE. Suivi de pratiques de lutte contre varroa – Retour sur l’expérience de 11 apiculteurs de la région
  • ADA AURA, 2021. Projet GALITRAZE. Méfions-nous d’Apivar : Baisse d’efficacité et résistance imposent une surveillance accrue des colonies traitées
  • ADANA, ADA Occitanie, ADAPI, 2019. Cahier technique apicole : Améliorer la gestion de Varroa pour sa propre exploitation
  • ADA Occitanie, ADAPI, Vétopharme, 2022. Evaluation de l’efficacité du traitement Apivar® en lien avec la sensibilité des populations de varroas à l’amitraze
  • ADA Occitanie, ADANA, ADAPI, 2021. Projet WinVar. Lutter contre le varroa en hiver n’est pas une option – Résultats de l’expérimentation de l’hiver 2019-2020
  • Adage 35, 2017. Utiliser les huiles essentielles en élevage bovin, pourquoi comment
  • Almecija, 2021. Thèse : Résistances de Varroa destructor aux acaricides : conséquences sur l’efficacité des traitements – Application au tau-fluvalinate et à l’amitraze
  • ANSES, Index des Médicaments vétérinaires autorisés en France – https://www.ircp.anmv.anses.fr/ consulté le 5 juillet 2024
  • Bouy, 2020. Plantes médicinales en élevage : comment aborder la question des résidus ? – https://www.produire-bio.fr/articles-pratiques/plantes-medicinales-en-elevage-comment-aborder-la-question-des-residus/ consulté le 5 juillet 2024
  • ANSES, 2018. État des lieux des alternatives aux antibiotiques en vue de diminuer leur usage en élevage. Rapport d’expertise collective, fév 2018
  • ANSES, 2022. Phytothérapie et aromathérapie chez les animaux producteurs de denrées alimentaires – Proposition d’une méthodologie d’évaluation du risque pour le consommateur. Rapport d’expertise collective, avril 2022
  • Bouy M., Experton C., Ruault C., 2015. Des intelligences collectives pour la santé des troupeaux. Alteragri n°134, nov-dec 2015
  • Carlet J, Le Coz P, 2015. Rapport Carlet : Propositions du groupe de travail spécial pour la préservation des antibiotiques, Ministère des affaires sociales et de la santé
  • Experton C., 2014. La nature au service de la santé animale, L’approche globale de la santé animale : des besoins de terrain à la question de recherche, Alter Agri, juillet-août 2014
  • Hilpipre C, 2018. Journées Aromathérapie clinique : huiles essentielles, élevage et toxicité, INRA-SAEB
    InterApi, ADA AURA, Apinov, 2023. Synthèse sur la résistance de varroa aux acaricides
  • ITAB, 2015. État des lieux réglementaire sur les substances à base de plantes utilisées en élevage
  • Moussel E., 2011. Trois fois moins de traitements en élevage laitier biologique qu’en conventionnel pour une situation sanitaire satisfaisante. Alter Agri 107, p. 8-10
  • Règlement UE 2018/848
  • Ruault C., Bouy M., Experton C., Patout O., Harmony K., et al., 2016. Groupes d’éleveurs en santé animale et partage des savoirs entre éleveurs biologiques et conventionnels. Innovations Agronomiques, 2016, 51, pp.89-103