Des pratiques qui répondent à un enjeu de santé publique
La lutte contre l’antibiorésistance, qui augmente le risque de perte d’efficacité des médicaments antibiotiques utilisés en santé humaine, ainsi que le risque d’impasse thérapeutique en élevage, fait partie des grands enjeux sanitaires actuels et passe par une réduction de leur usage en élevage (Rapport Carlet, 2015). Or les objectifs de réduction de l’utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire ne peuvent être atteints que si des méthodes alternatives au recours aux antibiotiques sont développées dans les différentes situations sanitaires rencontrées sur le terrain (ANSES, 2018). L’utilisation des médecines alternatives permet en effet de réduire les traitements allopathiques tout en maintenant une situation sanitaire satisfaisante. Bien entendu, il importe, quels que soient les produits (de synthèse ou naturels) que les animaux d’élevage consomment ou avec lesquels ils sont en contact, de s’assurer de leur innocuité, puisque les hommes consomment les productions de ces animaux.
Outre le recours en première intention à des produits naturels tels que les plantes, la limitation d’utilisation des médecines allopathiques constatées en Agriculture Biologique (Moussel, 2011) s’accompagne de pratiques d’élevage favorables au maintien de l’équilibre sanitaire des troupeaux (désintensification animale, attention accrue de l’éleveur-se, équilibre alimentaire…). C’est le principe de l’approche globale : cette méthode en épidémiologie fait référence à l’étude des facteurs de risques et du lien entre les pratiques d‘élevage et l’état de santé des animaux et leur bien-être (Experton, 2014). Cette approche globale s’apparente ainsi au concept One Health, qui est à la base de la réflexion initiale du projet PALMAROSA.
Ce projet s’inscrit donc dans le cadre d’une approche globale de la santé et du bien-être de l’ensemble des animaux d’élevage, qu’il s’agisse des ruminants, des monogastriques ou des abeilles. Certaines actions concerneront plus particulièrement le recours aux plantes et aux acides organiques étant donné leur encadrement réglementaire qui nécessite des précautions particulières lors du partage de connaissances et de la formation des éleveur-ses et des apiculteur-rices.
Un cadre d’utilisation contraint
En effet, l’usage des plantes à des fins thérapeutiques préventives ou curatives “propres à guérir ou à soulager les maladies” par les éleveur-ses est illégale sans prescription vétérinaire (contrairement à la santé humaine, l’automédication est interdite, ce qui oblige à d’autant plus de rigueur). Les spécialités à base de plantes sont souvent classées comme aliment complémentaire. Mais dès lors qu’il y a allégation thérapeutique, qu’elle soit écrite ou orale, les substances à base de plantes passent dans la catégorie des médicaments vétérinaires, statut qui nécessite une autorisation de mise sur le marché (AMM). Or on ne compte que 8 médicaments vétérinaires à base de plantes actuellement autorisés. Il est aussi possible pour le vétérinaire de prescrire une “préparation magistrale” à base de plantes. Mais cela doit être fait sous sa responsabilité et dans le cadre de la cascade, c’est-à-dire s’il n’existe pas de médicament allopathique de remplacement, et avec un délai d’attente doublé pour la bio. De plus, pour qu’une plante soit incluse dans une préparation magistrale à destination d’animaux d’élevage, elle doit obligatoirement disposer à minima d’un statut avec une LMR (Limite Maximale de Résidus), ce qui n’est le cas que d’une dizaine d’huiles essentielles. (Sources : ITAB, 2025 ; ANSES, 2022).
L’utilisation, dans un cadre légal, des substances à base de plantes se heurte donc à de nombreux freins, et le très large spectre de plantes utilisables (une centaine couramment utilisée) ne facilite pas son encadrement. On manque également de connaissances sur les interactions entre plantes (manque de connaissances analytiques). De plus, l’absence de résidu issu des substances à base de plantes dans les produits animaux est difficile à prouver, du fait de la consommation de plantes aromatiques par les animaux, des interactions possibles entre leurs composants, mais aussi de la complexité de leur composition. En effet, d’un point de vue méthodologique, l’approche classique de la question des résidus, qui pourrait permettre d’élaborer un dossier LMR, est difficilement applicable à des substances telles que les huiles essentielles qui sont des composés complexes de plusieurs dizaines de molécules différentes (Bouy, 2020). Il convient donc de s’assurer d’une part d’une bonne connaissance par les éleveur-ses, comme par nos structures de conseil, de ce qu’ils et elles ont le droit de faire ou pas, d’autre part d’outiller nos réseaux de développement pour faciliter le partage de savoirs et la montée en compétence dans le respect de ce cadre réglementaire.
En bio, la problématique est d’autant plus prégnante que le cahier des charges encourage le recours aux alternatives et à une gestion globale de la santé. « Les produits phytothérapiques, les produits homéopathiques, les oligo-éléments sont utilisés de préférence aux médicaments vétérinaires allopathiques chimiques de synthèse ou aux antibiotiques, à condition qu’ils aient un effet thérapeutique réel sur l’animal et sur la maladie concernée. » (Règlement UE 2018/848, Annexe II, Partie II, 1.5.2.3.). Mais le sujet concerne tous les éleveur-ses, en bio ou non. Ces enjeux s’inscrivent aussi dans un contexte de diminution du nombre de vétérinaires ruraux, corroborant la nécessité d’autonomisation des éleveurs et éleveuses.
Des problématiques similaires pour la santé des ruchers
En apiculture, Varroa destructor, acarien parasite de l’abeille, représente un enjeu sanitaire majeur. Avec d’autres facteurs et parfois de manière combinée, il est l’une des causes du déclin des colonies d’abeilles mellifères. Depuis son arrivée en France en 1981, les apiculteurs sont en perpétuelle recherche de solutions pour lutter contre Varroa.
Historiquement, la lutte contre Varroa est d’abord chimique : sur le papier, les apiculteurs disposent de 16 médicaments avec AMM en France (ANSES, 2024). Cependant, ces médicaments reposent sur un faible nombre de substances actives : seulement 6, dont seulement 3 utilisables en bio et 2 acides organiques. Les modes d’actions sont par ailleurs souvent similaires (InterApi, 2023). Quatre molécules sont des neurotoxiques et les modes d’action des deux acides organiques sont encore à ce jour mal connus. Ce faible nombre laisse craindre l’apparition de résistances. Des cas de résistances sont déjà documentés sur le tau-fluvalinate et l’amitraze (Almecija, 2021). Par ailleurs, les modalités d’utilisation de certains médicaments avec AMM sont parfois remises en question par les apiculteurs pour leur manque de praticité.
Depuis quelques années, l’intérêt des apiculteurs est croissant pour ces acides organiques, qui montrent de bons taux d’efficacité, utilisés seuls ou combinés à des méthodes de lutte non médicamenteuse. Ainsi, le contrôle de la population de Varroa tout au long de l’année permet de raisonner l’utilisation des médicaments. Les acides organiques ont l’avantage d’une efficacité correcte et d’être autorisés en apiculture biologique, mais de nombreuses exploitations conventionnelles se tournent également vers leur utilisation.
Un défi à relever pour la filière apicole est donc de renouveler ses moyens de lutte contre Varroa, en anticipant d’éventuelles résistances tout en garantissant une apiculture durable. Les besoins d’accompagnement technique, de partage de connaissances, de montée en compétence et de connaissance de la réglementation identifiés chez les éleveur-ses au sujet de l’utilisation des plantes pour la santé des troupeaux sont donc les mêmes en apiculture.
Une dynamique nationale
Grâce à ce projet, la FNAB, Trame, LCA et ADA France espèrent aider les éleveurs-éleveuses à améliorer la santé de leur cheptel et le bien-être de leurs animaux, par une approche globale de la santé (alimentation, immunité, rusticité…), le recours à des produits naturels tels que les plantes ou, pour l’apiculture, à des acides organiques naturellement présents dans le miel. L’objet même du projet doit conduire à une amélioration tant de l’équilibre sanitaire global des troupeaux que de leur bien-être. Les quatre partenaires vont pouvoir mobiliser leur réseau pour remettre ce sujet sur le devant de la scène et faciliter le partage de savoirs entre éleveur-éleveuses, la formation et la création de liens entre producteurs-productrices de PPAM et éleveur-éleveuses.