L’azote de la vigne au moût

Publié le : 6 mai 2020

Ces dernières années, les vignerons et vigneronnes sont de plus en plus nombreux.ses à être confronté.e.s à des fermentations paresseuses et languissantes, parfois inachevées qui peuvent aboutir à des déviations (Brett, volatile…). Ces constats sont amplifiés par les excès climatiques actuels et à venir mais ont une origine commune : le manque d’azote dans les moûts. En cause, la réduction drastique des apports azotés et/ou une gestion organique pas toujours maitrisée. Même si la correction en cave s’est généralisée car elle apporte une solution rapide et simple au déficit d’azote dans les moûts, elle a souvent conduit à négliger l’origine du problème et à éviter d’en corriger la cause. Or la correction à la cave, comme par des apports foliaires, est un constat d’échec agronomique !

Importance de l’azote

La vigne est une culture pérenne avec un système racinaire capable d’explorer un large volume de sol, et ses besoins sont peu importants au regard des besoins d’autres cultures. Toutefois il s’agit des mêmes éléments : azote, phosphore, potassium, magnésium, calcium et soufre, auxquels s’ajoutent les oligoéléments (Fe, Zn, Mn, B, Cu).

Parmi tous ces éléments, l’azote est particulièrement important car c’est un constituant essentiel de la matière végétale (ADN, Protéines, enzymes…), ainsi que de substances indispensables telles que la chlorophylle et certaines hormones de croissance (auxine, cytokinine).

Ainsi, l’azote est un élément clé ! Il a une incidence directe sur la croissance de la vigne, le rendement, mais aussi sur le bon déroulement des vinifications avec sa forme assimilable dans les moûts.

L’azote est naturellement présent dans le sol, mais c’est le seul élément minéral qui ne vient pas de la roche mère. Il est issu de la minéralisation de la matière organique. Son assimilation par les racines dépend donc du stock de matière organique ainsi que de sa vitesse de minéralisation.

Besoin en azote de la vigne

Naturellement, la vigne se nourrit d’azote libéré par minéralisation de la matière organique du sol. La disponibilité de l’azote dépend donc fortement du type de sol mais également des principaux paramètres qui régissent les quantités minéralisées, à savoir :

  • Quantité de matière organique stockée dans le sol
  • Rapport C/N de la MO (= richesse en azote et vitesse de minéralisation)
  • Température du sol
  • Aération du sol
  • pH du sol
  • Teneur en eau du sol
  • Microflore du sol

Les faibles besoins de la vigne, environ 20 à 30 kg/ha/an, sont souvent pourvus par l’azote du sol. Néanmoins, il faut veiller à la bonne gestion des matières organiques et surtout de s’assurer de sa disponibilité aux moments clés !

La courbe ci-dessus présente la teneur en azote de divers organes de la vigne au cours de la saison.
Afin d’obtenir cette dynamique, l’azote doit être disponible juste avant ces différents pics.

Ainsi, du débourrement jusqu’avant fleur, la vigne puise dans les réserves organiques faites à la fin de la saison précédente, puis le relais s’effectue progressivement avec le sol (période de Tuilage). De la floraison au stade grains de pois les besoins en azote sont apportés par le sol. La véraison se caractérise par un faible besoin en azote. A ce stade, tout excès pénaliserait la véraison et favoriserait le botrytis. Enfin, l’absorption de l’azote reprend avec le grossissement des baies avant de ralentir progressivement pendant la mise en réserve entre la récolte et la chute des feuilles.

Le « tuilage » est le plus important dans le cycle végétatif. Le passage de la reprise des réserves à la fourniture par le sol doit se faire par un relais sans rupture. Or la fourniture par le sol est entièrement dépendante du fonctionnement biologique du sol, influencé par la température et l’humidité.

Aussi, pour assurer un bon démarrage de la vigne, il faudra s’assurer que ce relais s’effectue de manière optimale.

Gestion des apports

L’azote ayant un effet important sur la plante du point de vue qualitatif, il convient de trouver le juste équilibre entre développement de la vigne et la qualité des raisins. La fertilisation de la vigne doit être raisonné en relation avec l’entretien du sol.

Quelques règles à respecter avant de fertiliser sa vigne

Ne pas faire d’apport sur des sols froids (<10°c) => risque de lessivage

Ne pas faire d’apport sur un sol gorgé d’eau

Ne pas travailler les sols en conditions humides => compaction + lissage

Eléments à prendre en compte

Sol Nature du sol (conditionne la quantité qui peut être apportée)

Analyse de terre (connaitre les éventuels besoins)

Profondeur exploitée par les racines

Entretien du sol Enherbement (concurrence la vigne => les apports doivent être plus conséquents)

Travail du sol (accélère la minéralisation)

Historique de la parcelle Précédents apports

Sensibilité au botrytis

Choix de l’apport  

Compost, farine de plume, poudre d’os, tourteaux, guano…

 

 

Favoriser l’activité biologique du sol

Texture grumeleuse favorisée par la vie biologique du sol

 

 

Un sol fertile est un sol vivant, c’est à dire riche en vers de terre, champignons et bactéries, qui contribuent au recyclage de la matière organique et maintiennent une bonne porosité. En effet, certaines bactéries du sol ont un effet structurant. Elles participent à la structure grumeleuse du sol par le mucus qu’elles produisent et qui sert de liant entre les particules de terre.

La nutrition des plantes est conditionnée par la minéralisation de la matière organique. Cette minéralisation s’effectue grâce aux êtres vivants du sol et à leurs enzymes. La connaissance de l’activité biologique d’un sol permet donc d’approcher la dynamique d’évolution du sol et ses capacités d’échange avec la plante. La quantification de la biomasse bactérienne est une des méthodes analytiques capables d’apporter une information sur l’activité biologique du sol. En effet, cette biomasse bactérienne est un bon indicateur de la vie d’un sol.

 

 

Plusieurs facteurs vont influencer la vie d’un sol :

  • La quantité de matière organique (la biomasse bactérienne est directement corrélée avec la quantité de MO)
  • La qualité de la matière (la matière organique stable est moins favorable à la vie microbienne)
  • L’acidité du sol (un sol trop acide de pH<5.5 présente peu de vie)
  • L’humidité du sol
  • La texture du sol

Quelle matière organique choisir ?

L’apport de matière organique, quelle que soit sa forme, est favorable aux microorganismes et à la vie du sol. Selon leur origine, les fertilisants azotés ne vont pas avoir la même dynamique de minéralisation et donc pas la même disponibilité pour la vigne et ne vont pas favoriser de la même façon les microorganismes du sol. Certaines matières organiques sont plus intéressantes que d’autres.

+ : Un fumier légèrement composté, des engrais verts, un jeune enherbement ou encore des engrais commerciaux sont à préférer, car en plus d’apporter une quantité non négligeable d’azote dans le cas d’un fumier frais, cette matière organique est plus facilement et rapidement minéralisée.

– : Les débris végétaux ligneux, les matières organiques compostées pendant plus d’un mois et les amendements commerciaux sont rarement nécessaires en viticulture. S’il faut en apporter, il est préférable de le faire le plus tôt possible après les vendanges, car les microorganismes se servent de l’azote minéral du sol pour minéraliser cette matière organique, ce qui entraîne par concurrence une faim d’azote à court terme. Il faut donc compenser au printemps par un apport d’azote ou de matière organique à dégradation rapide en complément.

 

Engrais verts

Détruits au bon moment, juste avant le débourrement, ils permettent d’apporter l’azote et l’énergie nécessaires aux organismes du sol pour lancer leur activité de minéralisation sans pénaliser la vigne. Casser un enherbement permanent de plus de 3 ans aura sensiblement le même effet sur l’activité biologique des sols !
En fonction des espèces choisies dans le mélange semé et la densité de levée, l’engrais vert apportera suffisamment d’azote pour la saison ainsi que les autres éléments dont a besoin la vigne.

 

Compost jeune

D’après Dominique MASSENOT, la matière organique la plus favorable à la vie du sol est le compost jeune de fumier.
Le fumier est un mélange de déjections animales et de litière (paille, sciures…). Il faut préférer les fumiers avec de la paille aux fumiers avec de la sciure ou des copeaux qui seront plus longs à minéraliser et qui risque d’accumuler de la matière organique trop stable pour être dégrader sur le temps de vie de la vigne.

Fumier prêt à être composté

Avant d’être composté, le fumier devra :

  • Être arrosé régulièrement avec ses jus pour maintenir une bonne humidité et favoriser la pré-hydrolyse de la paille
  • Être compacté et tassé pour ne pas fermenter trop intensément à une période non souhaitée
  • Être impérativement stocké couvert pour éviter les pertes liées au lessivage

Pour le compostage, le fumier stocké doit être repris, retourné et mis en tas. Ce compostage doit être fait dix jours à 3 semaines avant l’épandage, afin d’assainir et de préparer l’incorporation au sol par une pré-fermentation. Un compost plus long donnerait de la matière organique trop stable. Cette courte fermentation du compost permet grâce à la montée en température de fragiliser la paille qui est riche en sucres donc en énergie pour activer la vie du sol. Le fumier assaini ainsi obtenu peut être épandu à la surface du sol à une dose de 1 à 2 t/ha par an ou 4 t/ha tous les 2 à 3 ans.

 

Le moment d’épandage dépend du type d’apport choisi pour la fertilisation :

  • Les apports riches en azote sont à faire en sortie d’hiver pour aider le tuilage et éviter une rupture de l’alimentation azoté lors de la transition entre les réserves de la vigne et la fourniture par le sol.
  • Les apports riches en lignine ou bien compostés sont à réaliser au plus tard après les vendanges, car en cas d’apport en sortie d’hiver, la dégradation de cette forme trop stable de matière organique consomme de l’azote en début de saison (concurrence de la vigne) et donne des reliquats d’azote indésirables en fin de saison (pourriture). Il faudra donc compenser ces pertes par un apport supplémentaire en sortie d’hiver avec de l’azote facilement assimilable et disponible rapidement (type fiente, guano, farine de plume…). Cet apport supplémentaire sera bénéfique aux microorganismes du sol qui consomment au départ de l’azote pour minéraliser la matière organique.

 

Compost dynamisé

Une fois formé, le tas de compost peut recevoir les 6 préparations biodynamiques qui orienteront son évolution de manière équilibrée pendant sa courte vie. En effet, même dynamisé c’est le compost jeune qui nous intéresse ! L’effet de ce compost jeune sera stimulé et amplifié par l’utilisation de la bouse de corne (500).
Si le compost n’a pas reçu les préparations, il est toujours possible de remplacer la 500 par la 500P, mais cette dernière ne remplace aucunement l’apport de compost !

Compenser l’acidification des sols

L’activité biologique du sol entraîne une acidification naturelle et progressive de ce dernier. Or, un sol trop acide (pH<5.5) présente peu de vie. Il est donc important d’effectuer des corrections sur les sols non calcaires.

Réaction de l’acide chlorhydrique en présence de calcaire

Pour déterminer s’il est nécessaire de faire un apport de calcaire, une observation simple à plusieurs endroits de la parcelle est suffisante. Versez sur une motte de terre de l’acide chlorhydrique ou sulfurique dilué entre 10 et 15 % :

  • Si une réaction effervescente est observée, il y a suffisamment de carbonates présents dans le sol
  • Si la réaction effervescente n’est pas visible mais audible, un apport d’entretien peut s’avérer nécessaire
  • Si aucune réaction effervescente n’est constatée, un apport d’entretien est indispensable

Les apports se font avec du calcaire cru (CaCO3). En fonction de sa granulométrie, le calcaire cru sera à apporter à des doses et à des moments différents.

Les calcaires fins, c’est-à-dire avec une granulométrie comprise entre 0 et 0.5 mm, peuvent être apportés entre 300 et 500 kg/ha tous les 1 à 2 ans. Cette forme fine est à réserver aux corrections ponctuelles. Elle se dissout rapidement, donc doit être épandue en sortie d’hiver pour limiter le lessivage des pluies hivernales.

Les calcaires grossiers, c’est-à-dire avec une granulométrie comprise entre 0.5 et 6 mm, sont à privilégier ! Ils peuvent être apportés entre 3 et 4 T/ha tous les 5 ans, soit après les vendanges, soit en sortie d’hiver. Les particules les plus fines agiront rapidement, tandis que les particules plus grossières agiront progressivement.

Attention ! Si un apport de matière organique est opéré la même année, il est impératif d’espacer ces deux apports pour ne pas nuire aux micro-organismes du sol. Si l’apport de calcaire est réalisé en premier, attendre une semaine avant d’apporter la matière organique. Si la matière organique est apportée en premier, il est préférable d’attendre trois semaines à un mois avant d’apporter le calcaire.

Conclusion

La quantité d’azote, naturellement présente dans le raisin, varie en fonction du cépage mais aussi de la fertilisation et des pratiques culturales. Afin de limiter les intrants œnologiques, il faut identifier les causes du déficit en azote.

Les facteurs favorisant les carences azotées peuvent être liés à une concurrence trop forte avec un enherbement, ou à l’absence de fertilisation azotée, ou un faible taux de matière organique, ou une faible minéralisation (tassement du sol, température trop faible, excès d’eau).

Attention toutefois à l’excès d’azote, car un excès d’azote n’est pas compatible avec un objectif qualitatif de production étant donné qu’il entraîne, entre autres :

  • Un retard de l’arrêt de croissance estival en favorisant la croissance végétative au détriment de la maturation des baies ;
  • Une augmentation du risque de coulure
  • Une augmentation de la sensibilité au Botrytis.

Article issu d’un bulletin technique réalisé par Romain Baillon, conseiller viticulture AB au GABBTO