Diversifier sa ferme bio par des ovins – Retours d’expériences du Grand Est

Publié le : 26 février 2021

La spécialisation des fermes en production végétale ou animale est un phénomène qui trouve ses limites, en termes de biodiversité, d’autonomie et de fertilité des sols, notamment pour les fermes bio. La diversification peut apporter une cohérence écologique, mais aussi assurer une source de revenus régulière face aux aléas climatiques et renforcer la trésorerie en diversifiant l’offre de produits.

En Grand Est, des initiatives pour réintégrer l’élevage ovin viande se multiplient sur des fermes laitières mais aussi chez des arboriculteurs et des vignerons. Ce dossier, sous forme de retours d’expériences, propose d’identifier les atouts et les limites de cet élevage en diversification : Quel dimensionnement adapter à la saisonnalité des autres productions ? Quelles complémentarités avec les autres ateliers ?

Des brebis dans un vignoble ou un verger : de multiples intérêts !

Effeuillage, gestion de l’enherbement, réduction du carpocapse et de la tavelure : bénéfices du pâturage de brebis dans les vignes et pommiers

Dans le domaine bio Muller, les brebis sont présentes une partie de l’année dans certaines parcelles pour effeuiller les vignes. A la ferme arboricole Rolli, en bio sur les pommiers, elles sont présentes toute l’année pour aider à la gestion de l’enherbement (diminution du nombre de broyage de l’herbe), à la réduction de la pression du carpocapse (papillon dont la chenille est un ver) et de la tavelure (champignon).

Pâturage des ovins dans les vignes du domaine Muller
© Bio en Grand Est

Fonctionnement du pâturage

Pour éviter un effeuillage mécanique dans les parcelles où la vigne a de la vigueur, Nathan MULLER fait pâturer sur 1 mois et demi entre fin juin et mi-aout 150 moutons/ha pendant 2 à 4 jours maximum par parcelle. Le partenariat s’organise sous forme d’échanges de services avec un berger bio de la commune : Marc aide à la mise en place des filets mobiles, le berger fait pâturer et effeuiller la vigne par ses moutons ce qui apporte une source fourragère appétente intéressante pendant cette période qui peut être sèche.

A la ferme Rolli, le pâturage tournant a lieu toute l’année sur les 25ha de pommes avec un chargement de 100 brebis sur 2 à 3ha pendant 2 à 3 jours. Un mois avant la récolte, les moutons sont enlevés pour ne pas ramasser mécaniquement des pommes avec des déjections. La vie du sol permet la décomposition des crottes de mouton. Une fois la récolte terminée, les moutons reviennent vite pour ingérer les feuilles, ce qui permet de réduire potentiellement les risques de tavelure. Le partenariat avec l’éleveur est non marchand. C’est un échange de services : l’éleveur déplace lui-même les clôtures mobiles, l’arboriculteur prévient l’éleveur dès que quelque chose d’anormal est observé sur les animaux. En plus des filets mobiles, une clôture fixe entoure les 25ha de vergers de la ferme. L’agnelage a lieu en plein air dans les vergers, sans soucis particulier. La race à viande du troupeau de brebis n’est pas choisie par Marc, car il fait appel à un berger qui valorise lui-même ses agneaux (troupeau non bio issu d’une ferme à 70km de la ferme Rolli, d’où la présence sur la ferme toute l’année), mais c’est une race rustique qui permet un agnelage en plein air.

Observations et points d’attention relevés par les producteurs « non-éleveurs »

Les moutons sont rentrés après la floraison sur des vignes palissées ce qui permet que le troupeau ne consomme ni fleur, ni sarment. Le grain est ensuite vert, à peine formé, donc non appétent pour les moutons. Selon Nathan, les moutons craignent les traitements au cuivre donc ils sont déplacés quand il y a un traitement. Ces traitements sont peu fréquents et peu dosés (300 à 600g/ha/an). Si des jeunes plantations sont présentes dans les vignes, elles sont protégées des brebis avec des manchons arboricoles coupés en deux.

A la ferme Rolli, le troupeau pâturant est non certifié AB mais 100% herbager. C’est possible vu le faible chargement et le pâturage tournant, car le cahier des charges AB précise dans ce cas que les animaux non biologiques peuvent utiliser des pâturages biologiques pendant une période de pâturage limitée chaque année à 4 mois par parcelle conduite en bio. Marc Rolli précise que depuis qu’il fait pâturer ses vergers par des brebis, il n’a plus de pommes sur des branches basses (branches mangées) mais le calibre des pommes en hauteur a augmenté. D’un point de vue agronomique le sol fonctionne bien mais l’azote apporté par le troupeau est négligeable vu le chargement. Le ramassage mécanique des pommes est facilité car les ovins diminuent le nombre de passage de broyeurs avant la récolte à 2 au lieu de 7 à 8 passages par an, avec une vitesse de 6km/h au lieu de 2km/h.

Présentation des fermes

Troupeau ovin dans les vignes – EARL Muller
© Bio en Grand Est

Nathan Muller / EARL Muller – Traenheim (67)

  • 12 ha de vignes en AB avec pâturage d’un troupeau ovin viande bio
  • 50 ares de noyer en AB
  • 6,3 ha de céréales en AB en prestation.
  • + échange de luzerne contre du fumier avec un élevage de charolais bio du secteur

Marc Rolli / EARL Rolli – Bergheim (68)

  • 25 ha de pommes de table et à jus en AB avec pâturage d’un troupeau ovin viande.
  • 30 ares de châtaignes en AB
  • 1 ha de noix en conventionnel
  • 2,7 ha de noisettes en conventionnel avec pâturage de pintades, dindons pour lutter contre le balanin (charançon du noisetier) et noix
  • miel

Des vaches laitières et des brebis viandes : des troupeaux complémentaires !

L’installation d’une troupe ovine sur une exploitation laitière a montré ses atouts grâce aux apports du pâturage mixte. Cette technique consiste à faire pâturer les mêmes surfaces par différentes espèces, de manière simultanée ou successive. À la clé, une meilleure valorisation de l’herbe, une pression parasitaire diminuée et de meilleures performances animales.

Une meilleure valorisation de l’herbe

Les préférences alimentaires que présentent les deux espèces permettent d’apporter une complémentarité de prélèvement en diminuant les tris et refus et d’augmenter la valeur nutritive de la prairie. Ainsi, le pâturage plus ras pour les ovins permet de descendre le plateau de tallage des graminées et avoir une densité plus forte du gazon. Cette pratique favorise le ray-grass, graminée avec la meilleure valeur alimentaire. De plus, les ovins du fait d’un plus petit gabarit et de stade physiologique différent peuvent valoriser les repousses d’herbe automnales pendant une partie de l’hiver, voire tout l’hiver, et ainsi maximiser l’utilisation de la prairie sur l’année.

Une limitation de la pression parasitaire

La plupart des parasites ont une spécificité relativement grande pour leurs hôtes et les ovins ne sont pas sensibles aux mêmes nématodes que les bovins. L’ingestion par une espèce animale d’un parasite d’une autre espèce aboutit le plus souvent à sa mort et donc à une limitation de la pression parasitaire. L’intérêt est maximisé si la mixité est pratiquée avec les veaux en première année de pâturage qui n’ont pas encore acquis d’immunité parasitaire.

De meilleures performances animales

En pâturage mixte bovin-ovin, de meilleures performances de croissance ont été mises en évidence sur la troupe ovine (+14.5 g de poids vif/animal/jour) mais pas systématiquement sur les bovins, mais qui sont a minima équivalentes à celles de bovins pâturant seuls.

Mais pas que !

Ces bénéfices agronomiques sont accompagnés d’autres atouts comme la diversification des sources de revenus pour avoir des exploitations plus pérennes, la possibilité d’installer un jeune avec la création d’un atelier ovin, la valorisation de surfaces éloignées inaccessibles aux vaches.

Retours d’expérience

La diversification en ovin a permis à Laurent d’installer son fils Baptiste sur ce nouvel atelier
© Bio en Grand Est

Un élevage ovins pour permettre une installation

Laurent COUSIN, éleveur à Regniowez dans les Ardennes, témoigne des bénéfices apportés sur son exploitation laitière par la mise en place d’une troupe ovine : « Les ovins sont arrivés sur notre exploitation en 2015 pour préparer le projet d’installation de mon fils, ce qui s’est concrétisé en 2020. Ce nouvel atelier lui permet de trouver sa place et sa complémentarité dans le GAEC. Très vite, la troupe ovine a démontré son intérêt par sa capacité de pâturage automnale, la dilution de la pression parasitaire en conduite simultanée avec les veaux laitiers et l’amélioration de la flore des prairies mal valorisées auparavant. Notre atelier lait étant saturé au niveau bâtiment, la troupe ovine va encore se développer, ainsi que les bœufs laitiers, afin de sécuriser l’ensemble des revenus de la ferme par cette diversité, limitant ainsi les risques par rapport à la spécialisation sur un seul atelier. » Les agneaux sont valorisés en circuit long par Unébio Centre Est et en vente directe.

Un élevage ovins pour permettre une meilleure valorisation des fourrages

L’INRAE de Mirecourt s’est penché sur la question de la valorisation fourragère avec la diversification de la ferme bio en polyculture-élevage bovin lait avec des ovins viandes.

Le troupeau ovin viande valorise les ressources fourragères non ou mal valorisées par les bovins (certaines prairies, chaumes, intercultures, sous-bois). Les objectifs de cet atelier en diversification sont d’être autonome en intrants (zéro aliments achetés) et économe (100% plein air, conduite à l’herbe sans concentré). Il s’agit d’être le moins interventionniste possible pour la mise en lutte, l’agnelage et la gestion sanitaire. Pour cela, trois races ont été choisies. Le Charmois (sur agnelles) a été retenu pour ses bonnes finitions, sa conformation et sa rusticité (agneaux vigoureux et vivaces, facilité d’agnelage). Le Texel et Suffolk (sur brebis) ont quant à eux été choisis car ces races sont très herbagères et peu grégaires (mixité avec vaches).

La conduite du pâturage a été conçue dans un objectif zéro concentré et à l’herbe toute l’année. Pour cela, un pâturage diversifié a été mis en place. Celui-ci présente également l’avantage de diluer le risque parasitaire (prairies permanentes, temporaires, chaumes et intercultures).

Pour l’INRAE, le bilan de cet atelier en 2019 est positif car l’objectif du plein air intégral a été réalisé, l’agnelage s’est bien passé, la croissance des agneaux a été bonne et il y a eu assez d’herbe pour l’hiver.

Conduite du pâturage pour les ovins par l’INRAE de Mirecourt

Pâturage mixte à l’INRAE de Mirecourt
© Bio en Grand Est

– Décembre à février : les brebis pâturent sur 135ha de prairies permanentes non valorisables par les vaches à cette période. Repère : avoir 1ha de prairie par brebis l’hiver pour ne pas affourager au parc.

– Février à avril : les brebis sont sur des prairies permanentes (ou temporaires) et proches des bâtiments en avril pour l’agnelage en cas de besoin.

– Mai à juin : les brebis suitées font du pâturage mixte tournant avec les vaches laitières sur prairies permanentes pendant 50 jours. Le chargement est dense pour tourner rapidement : 2 jours sur 2ha avec 90 vaches laitières et 110 brebis suitées. Quelques conseils pour le pâturage simultané :

  • 2 à 3 brebis par vache laitière pour ne pas avoir de différence sur les stocks fourragers
  • prévoir des systèmes de contention et des abreuvoirs spécifiques à chaque espèce
  • avoir un appel différent pour que les troupeaux viennent à l’éleveur en se séparant

– Juillet à août : les agneaux à l’engraissement sont sur les meilleures parcelles (repousses de 2e coupe des temporaires). Les brebis au tarissement sont sur des chaumes ou passent après les vaches sur prairies permanentes.

– Septembre à novembre : les agnelles pâturent les temporaires pour bien préparer la lutte tout comme les agneaux de boucherie à l’engraissement. Les brebis pâturent sur :

  • les intercultures : valorisation des radis, facélie jeune, engrais verts multi-espèces semés sous couvert. Attention aux problèmes de pattes (onglons) sur couverts pour la mise en lutte. L’astuce à prévoir : les brebis se nettoient les pattes une partie de la journée sur des prairies attenantes.
  • les prairies permanentes après passage des génisses : ressource fourragère à faible valeur.
  • les sous-bois, utiles en période longue de sécheresse.

Points importants à retenir pour la création d’un atelier ovin en complémentarité avec des bovins

Une réflexion sur ses dates de vêlages et agnelages devra être menée pour répartir la charge de travail sur l’année et sur les exploitants/associés/salariés…. Il faudra prévoir des investissements dans les clôtures et aménagement des pâtures. Enfin pour aller plus loin il faudra se former sur les méthodes de pâturage tournant et pâturage tournant dynamique pour optimiser l’utilisation du parcellaire. Et bien évidemment penser à la commercialisation des agneaux !

Article rédigé par Julia Sicard et Amélie Lengrand – Bio en Grand Est – initialement paru dans Les Lettres AB n°37, de février 2021