Le débat sur les CMS : un enjeu majeur pour les filières fruits et légumes bio

Publié le : 21 janvier 2016

Les semences de variétés hybrides obtenues grâce à une stérilité mâle cytoplasmique (CMS) transférée par fusion cellulaire (dite aussi CMS par fusion protoplasmique) sont au cœur d’un des débats soulevés par la révision du règlement bio européen. Cette méthode de sélection est-elle compatible avec la bio ?

 

 

Les CMS par fusion cellulaire : de quoi parle-t-on ?

La stérilité mâle cytoplasmique est un phénomène que l’on trouve à l’état naturel chez certaines plantes (betterave, carotte, oignon, orge, panais, tabac, radis notamment) : quelques individus d’une population sont mâles stériles. Cette aptitude peut être transférée chez une espèce ne la possédant pas naturellement via la fusion entre deux cellules (on parle aussi de fusion entre protoplasme), l’une de ladite espèce et l’autre d’une espèce possédant le caractère mâle stérile.

NB : Il existe d’autres types de sélection permettant de créer des stérilités mâles. Cet article se concentre sur les CMS par fusion cellulaire. Par exemple, les semences CMS de tournesol n’ont pas été obtenues par fusion cellulaire mais en réalisant un croisement manuel entre des espèces apparentées (dont l’une possède le caractère mâle stérile), croisement qui pourrait se faire naturellement.

Quelle que soit la technique (par fusion cellulaire ou non), l’utilisation de la stérilité mâle cytoplasmique permet de produire des hybrides à faible coût. Le caractère mâle fertile n’est ensuite restitué à la plante, avant de produire les semences commercialisées, que chez les espèces destinées à produire du grain (tournesol, colza, etc.). Chez les espèces potagères destinées à produire des légumes racines ou feuilles, la semence reste CMS. Le caractère mâle fertile n’est pas restauré : les variétés hybrides F1 de ces espèces, qu’elles soient obtenues ou non par fusion cellulaire, ne produisent donc pas de graine.

Il n’a été mis au point des variétés hybrides à CMS avec fusion cellulaire que chez un certain nombre d’espèces, en particulier chez des crucifères : les choux (choux européens et choux de Chine ; CMS de radis), les chicorées (chicorée endive et chicorée à café, mais pas les chicorées frisées et scaroles ; CMS de tournesol), les navets (CMS de radis), les poireaux (CMS d’oignon ou d’ail) et le colza (CMS de radis).

 

Les CMS par fusion cellulaire et la bio

Les standards du mouvement bio international publiés par IFOAM énoncent comme principe de la bio le respect de l’intégrité des cellules. Les travaux réalisés par le FIBL montrent que cette intégrité n’est pas respectée dans la technique CMS par fusion cellulaire : un caractère impossible à obtenir par sélection classique est, dans la plupart des cas, introduit.

D’ailleurs, la stérilité mâle cytoplasmique par fusion cellulaire est considérée comme une manipulation génétique au sens de la directive européenne 2001 / 18 sur les OGM. Elle est pourtant exclue de son champ d’application. Aucune des règles imposées aux OGM ne s’applique donc : traçabilité, étiquetage, évaluation… De ce fait, les CMS par fusion cellulaire ne sont pas interdites en agriculture biologique. Alors faut-il tout simplement interdire les semences issues de CMS dans le règlement bio ? Le débat est vif aujourd’hui, tellement cette sélection s’est imposée pour certaines espèces et rend dépendants

producteurs et filières. Dans le cadre de la révision en cours du règlement bio, cette question n’avait pas été mise sur la table par la Commission européenne dans son projet de mars 2014, le Conseil ne s’y est pas attaqué non plus dans son texte voté en juin dernier. En revanche, la modification de la définition d’OGM dans le règlement bio proposé dans le texte du Parlement européen voté le 13 octobre aboutirait bien à l’interdiction en bio des semences issues de CMS par fusion cellulaire. Les négociations entre le Parlement et le Conseil (co-décisionnaires sur ce texte) vont bientôt débuter, il est à ce stade impossible d’en deviner l’issue.

 

Réagir avant qu’il ne soit trop tard

D’un point de vue pratique, est-il encore temps d’interdire les CMS par fusion cellulaire dans le règlement bio européen ? Y a-t-il suffisamment d’alternatives pour ne pas pénaliser les producteurs ? En colza, la question est sérieuse, a priori 95 % ou plus des semences de cette espèce seraient des CMS issues de fusion cellulaire. Un inventaire des semences par techniques d’hybridation s’impose. La transparence est nécessaire pour recenser les espèces et variétés où les efforts de sélection par d’autres techniques doivent être intensifiés et ainsi consolider la possibilité d’interdire rapidement les semences CMS par fusion cellulaire dans le règlement bio européen.

 

Des alternatives se construisent

Les producteurs de légumes ne veulent pas n’avoir le choix qu’entre des variétés issues de CMS par fusion cellulaire. Si l’on trouve encore des semences non CMS par fusion cellulaire (semences de choux notamment), l’offre se réduit de plus en plus. Une obligation légale créerait un marché pour ces semences et un plus grand nombre de semenciers s’investirait certainement dans la production de semences bio alternatives aux CMS par fusion cellulaire.

En France, cela fait longtemps que certaines marques privées collectives, telles que Demeter France, BioBreizh, Bio Loire Océan ou encore Bio Cohérence, ont décidé de mettre en œuvre elles-mêmes une interdiction d’utiliser les semences issues de CMS par fusion cellulaire. Déméter et BioBreizh tiennent à jour une liste négative. D’autres opérateurs exigent des attestations des fournisseurs de semences. Ce fonctionnement par attestation existe déjà pour d’autres intrants bio tels que la levure ou les micro-organismes en ce qui concerne leur nature non OGM.

Des scandales ont éclaté en Allemagne, en Suisse et en Espagne. En Allemagne, où une émission de télévision diffusée à une heure de grande écoute a révélé qu’il y avait « des OGM dans les produits bio », plusieurs distributeurs spécialisés ont décidé de les interdire avant de se rendre compte des problèmes induits : tant que le règlement bio ne les interdit pas officiellement, il est possible de savoir si un chou est issu d’une semence CMS par fusion cellulaire si les producteurs acheteurs de semences consultent la liste négative ou si le semencier accepte de donner l’information, mais cela est impossible pour l’huile de colza… Tout ceci incite la FNAB et d’autres partenaires, tels que Biocoop, CohéFlor Bio et l’ITAB, à poursuivre leurs engagements pour rendre possible et pertinente l’interdiction des CMS par fusion cellulaire en bio.

 

 

À propos de CohéFlor Bio

Créée fin 2011, CohéFlor Bio rassemble des organisations économiques de producteurs de fruits et légumes bio gérées par et pour les producteurs bio : Bio Loire Océan en Pays de la Loire, Val Bio Centre en région Centre, l’APFLBB en Bretagne, Norabio dans le Nord et SoléBio dans le Sud-Est. Elle favorise les échanges et la mutualisation d’outils et d’expériences innovantes entre ses membres pour le développement de filières F&L bio équitables.