Comment passer à 100 % d’usage de semences bio ? L’état du débat au niveau européen

Publié le : 21 janvier 2016

En mars 2014, lorsque Dacian CIOLOS, alors commissaire européen à l’agriculture, présente son projet de nouveau règlement bio, l’un des points majeurs est la fin des dérogations, en particulier la fin des exemptions permettant d’utiliser des intrants conventionnels. Sa proposition est donc de passer à un usage de 100 % de semences bio (sauf essais, recherche et éducation) après une phase de transition se terminant en 2021. Quelles seraient les conséquences d’une telle mesure et qu’en pensent le Conseil et le Parlement ?

Des situations variables d’un État membre à un autre

Si pour les producteurs français cette possibilité semble irréalisable en raison du nombre très important de créneaux encore à couvrir (pédo-climatiques, de précocité, de marché – court ou long…), en particulier en potagères, et des problèmes technico-économiques liés à la production de certaines semences en bio (fourragères, carottes…), le problème est encore plus criant dans d’autres États membres.

En effet, si la disponibilité en semences bio (et donc son taux d’utilisation chez les producteurs bio) s’est relativement bien développée dans certains pays (France, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique, Luxembourg, Suisse…), ce n’est pas le cas partout. Pour certains États membres récemment entrés dans l’UE, la bio est encore une nouveauté et la jeunesse de la filière explique cette lacune. Pour l’Italie ou l’Espagne, gros producteurs de produits bio végétaux, la situation est tout autre. Le cœur du problème réside dans l’absence de dispositif de vérification de la disponibilité des semences bio : les quelques opérateurs qui se sont lancés dans les semences bio n’ont pas pu les vendre, rien n’incitant les producteurs à acheter des semences bio plus coûteuses que les conventionnelles.

 

La vérification de la disponibilité au cœur du problème

Les producteurs bio français se plaignent beaucoup de la base de données semencesbiologiques.org (parfois mal mise à jour, ne prenant en compte que les semences au catalogue…) et des demandes de dérogation afférentes (trop lourdes pour les petits producteurs), mais c’est l’existence même d’un dispositif de ce type qui fait la différence entre les pays possédant un marché des semences bio et les autres – ce qui ne veut pas dire que les critiques formulées ne sont pas fondées ! À noter que six pays se sont mis d’accord pour utiliser la même base de données (mais avec une gestion nationale) : OrganicXseeds.

Autre méthode possible : la mise en place d’une liste d’espèces ou de sous-types variétaux considérés comme suffisamment pourvus en semences bio et n’ouvrant plus de possibilité de dérogation – nommée en France liste « hors dérogation ». Un dispositif efficace mais qui nécessite une forte concertation pour éviter les impasses techniques.

Certains opérateurs souhaiteraient faire payer un « surcoût » aux producteurs achetant des semences conventionnelles afin de financer la recherche sur les semences bio. Une telle proposition est critiquée par beaucoup d’organisations parmi lesquelles la FNAB. Un tel système peut être gérable au sein d’une marque privée collective mais à l’échelle d’un État membre, les questions sont trop nombreuses : qui collecte l’argent ? Pour le reverser à qui et selon quels critères ? Est-ce une taxe ?

La voie de la contrainte sur les producteurs est loin d’être la seule possible : un besoin fort de recherche, de formation et de soutien dédié, notamment à la multiplication de semences bio, est exprimé par la filière.

 

Futur règlement bio : où va-t-on ?

Ni le Conseil ni le Parlement européen n’ont retenu l’option proposée par la Commission européenne de mettre fin à la dérogation en 2021.

Le Conseil propose (dans son texte voté en juin) de remettre en place la dérogation telle qu’elle existe aujourd’hui, en rendant obligatoire la base de données au niveau national.

Quant au Parlement, il y ajoute dans son texte voté en octobre la liste négative « hors dérogation », la transparence au niveau européen des dérogations accordées et la création d’une base de données européenne informative. Suite aux critiques sur les problèmes particuliers des producteurs bio concernant l’usage de semences non présentes au catalogue, le texte du

Parlement précise qu’une semence de ferme produite en respectant le règlement bio est… bio (une précision utile en France) et propose également d’exempter les « matériels hétérogènes » (type semences de population) de l’application des réglementations transversales sur les semences. Enfin, afin de voir plus loin que le développement des semences certifiées bio, le Parlement a validé une définition des « semences sélectionnées pour l’agriculture biologique » : sélectionnées en condition bio et en utilisant des méthodes compatibles avec ses principes. Un jalon pour le futur !

Bien sûr, pour l’instant, impossible de savoir ce qui restera de ces deux projets (celui du Conseil et celui du Parlement), les négociations pour aboutir à un texte commun ont commencé en novembre 2015. Le sujet des semences est en cours de discussion. Réponse dans quelques mois, quoi qu’il arrive, d’intéressantes pistes auront été discutées au plus haut niveau institutionnel de l’UE.