Vers une filière betterave à sucre bio

Publié le : 27 janvier 2017

La betterave sucrière est inscrite dans les systèmes de polyculture de la partie Nord de la France. Aujourd’hui, aucune valorisation n’est possible en bio alors que la France est le premier pays européen producteur de betterave sucrière. L’absence de filière bio est un frein à la conversion des systèmes grandes cultures dans les régions betteravières. Les travaux du réseau FNAB sur une future filière sucre bio se concrétisent, avec une étude de marché menée par le Gabnor (Groupement des agriculteurs biologiques du Nord-Pas-de-Calais) et impliquant divers acteurs de la filière, une concertation interrégionale sur l’expérimentation et les techniques de production, et des projets dans d’autres régions comme la Bretagne et le Grand-Est.

La production de sucre bio représente un enjeu à la fois technique, lié à l’itinéraire de la culture de la betterave en bio, et économique, en ce qui concerne la structuration de la filière.

Les filières betterave sucrière bio en Europe

La betterave sucrière est cultivée essentiellement dans le Nord de l’Europe, où le climat est le mieux adapté : les régions productrices les plus compétitives sont le Nord de la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne.

Le sucre bio de betterave européen vient d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, avec 10 000 tonnes produites en 2010. (Agence BIO)

Südzucker, le plus gros producteur mondial de sucre de betterave, s’est lancé dans la bio il y a plus de 10 ans avec deux sucreries :

  • à Warburg (Allemagne) : capacité 4 700 t de betterave par jour
  • à Frauenfeld (Suisse) en prestation pour Sudzücker : capacité 10 000 t/jour.

En Autriche, le groupe AGRANA (qui fait partie de Südzucker) produit du sucre de betterave bio depuis 2008.

Des filières bio ont émergé en Angleterre et aux Pays-Bas mais n’existent plus aujourd’hui. L’entreprise britannique British Sugar a démarré une production de sucre blanc bio en 1999, et a dû l’abandonner en 2005 à cause d’une demande insuffisante, du prix élevé du produit final et de la concurrence du sucre de canne importé.

Production de sucre : quelques chiffres

Dans le monde (2014-2015, Confédération Générale des planteurs de Betterave) :

  • production de sucre : 182 millions de tonnes
  • dont sucre de betterave : 38 millions de tonnes (soit 20 % du sucre)

En Europe :

  • L’UE, 1er producteur de sucre de betterave (plus de 50 % de la production mondiale.)
  • L’UE : principal importateur de sucre de canne brut destiné au raffinage.

En France,  la production :

  • Sucre de betterave : 4,8 millions de tonnes
  • Sucre de canne : 270 850 t (Martinique, Guadeloupe, la Réunion)

Le sucre bio : quelques chiffres

Dans le monde :  Production de sucre bio 320 000 de tonnes (90 % canne à sucre et 10% betterave).

En Europe (Agence BIO) :

  • Marché 120 000 tonnes (2012, UE et hors UE), 10 % betterave, 90 % canne (des pays tiers de l’UE) (en 2010)
  • Production 10 000 tonnes (en 2010) (sucre de betterave bio)
  • Surfaces betterave sucrière bio (2015) :
    • 1300 ha en Allemagne
    •  800 ha en Autriche
    •  280 ha en Roumanie

Une culture historique en France, mais pas de filière bio

La betterave sucrière s’étend en France sur plus de 380 000 hectares (2015-2016). C’est une culture historique, à forte valeur ajoutée, réglementée par des quotas, droits à produire transmis de génération en génération. La production « réglementaire » de sucre de betterave est de 4,79 millions de tonnes (sur 389 000 ha). Avec l’arrêt des quotas au 1er octobre 2017, la hausse des surfaces à prévoir est estimée à +20 %.

L’absence de filière bio freine les conversions et explique la mixité des fermes bio très répandue dans ces régions : les agriculteurs qui passent en bio gardent leur production de betterave en conventionnel ou remplacent cette culture à forte valeur ajoutée par des légumes de plein champ. De nombreux polyculteurs sont potentiellement freinés dans leur processus de conversion : on compte 198 000 ha de betterave pour plus de 10 000 planteurs en Hauts-de-France, et 87 000 ha en Champagne-Ardenne en 2013.

La création d’une filière de sucre de betterave bio en France permettrait de :

  • fournir un débouché de plus aux fermes bio ayant un quota betteravier ;
  • lever un frein à la conversion en bio des fermes des régions betteravières ;
  • répondre à la demande de transformateurs qui souhaitent relocaliser leurs approvisionnements en sucre bio. Certains utilisateurs de sucre de canne préfèreraient utiliser du sucre de betterave, plus adapté à leur process.

Le réseau FNAB, via un groupe inter-régional sur la zone concernée, a entrepris de développer cette filière par 2 entrées : l’expérimentation sur les aspects techniques de production (axe 1), et l’étude du marché et de la demande des industriels à l’aval (axe 2).

Axe 1 : Coordonner et mutualiser essais et références

Des essais de production de betterave bio ont été menés en Belgique, Suisse, Grand-Est, Hauts-de-France et Normandie. Les principales difficultés pour la production sont liées au salissement et à la fertilisation. Au début des années 2000, des essais ont donné des rendements de 50 t/ha (à 16% de densité en sucre) en Champagne-Ardenne, 60 t/ha dans le Nord-Pas de Calais. Mais le coût de production de la betterave est plus élevé en bio, notamment en raison de charges de désherbage (en partie manuel) plus élevées. Des essais au champ ont été menés en 2016 en Hauts de France et en Bretagne, avec des résultats provisoires encourageants (66 t/ha).

Pour démarrer une production de betterave bio avec des références techniques communes, le groupe technique inter-régional du réseau FNAB a initié un travail collectif entre producteurs et techniciens. Lors de la première réunion en décembre 2016, ils ont fait le point sur les techniques et résultats obtenus, et se sont mis d’accord sur un protocole technique commun (variété, place dans la rotation, semis, désherbage) pour pouvoir faire ensuite des comparaisons. Les parcelles 2017 seront suivies sur 3 ans. Rendez-vous en septembre 2017 pour les premiers résultats !

Axe 2 : Étudier l’aval de la filière pour identifier les caractéristiques du marché qui influenceront le process

Le principal frein pour la valorisation est le surdimensionnement des outils de transformation pour les volumes à prévoir en betterave sucrière bio. Par exemple, la sucrerie d’Escaudœuvres (59) transforme 16 000 tonnes/jour ce qui correspond à plusieurs centaines d’hectares bio.

Le Gabnor a créé un groupe de travail composé d’experts et d’acteurs, du producteur au transformateur (Synabio, ITAB, Biopartenaire, etc.), qui s’est réuni une première fois en juillet 2016. Animé par le Gabnor, ce groupe pilote une étude jusqu’en août 2017 sur les besoins du marché en sucre bio, pour mieux connaître la demande des industries utilisatrices de sucre bio et le type de produit dont elles ont besoin. L’objectif est d’identifier les processus de transformation les plus appropriés dans la perspective d’une filière régionale. Ce projet national est ouvert : les partenaires intéressés sont invités à se joindre à la réflexion.

Un bassin de production, des approches variables selon les régions

D’autres régions, moins « traditionnelles » pour la production de betterave sucrière, réfléchissent aussi à la création d’une filière régionale de betterave bio, comme diversification possible pour les producteurs bio actuels.

En Alsace, l’OPABA, dans le cadre d’un état des lieux des potentiels de développement des filières bio en région, a confié au bureau d’étude Ecozept l’étude du marché du collecteur-transformateur allemand Südzucker qui a une gamme bio. Cela permettra d’évaluer ses besoins et la faisabilité d’une collecte de betteraves bio en Alsace.

En Bretagne, où la betterave sucrière n’est pas présente dans les systèmes agricoles, le projet Breizh Sukr étudie la création d’une sucrerie biologique à l’échelle régionale.

Pour la transformation, 2 voies existent :

  • Utiliser les grosses sucreries conventionnelles, en traitant les betteraves bio séparément, souvent en début de campagne avant les betteraves conventionnelles. Cela peut permettre d’éviter certaines maladies de fin de cycle, mais risque de diminuer les rendements potentiels et la densité en sucre… avec le problème du surdimensionnement des usines par rapport aux volumes bio.
  • Créer des unités de transformations spécifiques, plus petites, voire artisanales.

C’est cette 2e voie qu’envisage le groupe expert qui pilote l’étude de marché avec le Gabnor, mais aussi la Bretagne: des outils de transformation de petite taille, artisanale ou intermédiaire.

Article rédigé par Simon Hallez du GABNOR