Réforme des poules pondeuses, les questions qui se posent sur l’allongement des lots
La question de l’allongement des lots de poules pondeuses peut se poser, notamment dans un contexte inflationniste sur le prix des poulettes. Mais allonger des lots avec les souches commerciales actuelles pose des problème de qualité de coquille, de santé osseuse et du système reproducteur des pondeuses, et bien-sûr de rentabilité. La mue induite reproduit un mécanisme naturel des oiseaux, et permet, via la régénération de l’appareil reproducteur, d’améliorer la qualité de la coquille. Mais sur le plan économique, la pratique ne permet pas de concurrencer le marché actuel. Correctement pratiquée, elle peut en revanche répondre aux attentes de la société en termes de bien-être animal.

Allonger les lots, mais à quel prix ?
Au GAEC Graines de St Germain, les pondeuses ne sont pas l’atelier principal, mais pas question pour autant d’en faire un atelier déficitaire. Il y a 3 ans, ils ont décidé d’investir dans l’auto-construction d’une cabane mobile de 120 places (pour 3276 € HT), avec l’objectif de diversifier leur ferme maraichère. Les œufs sont vendus 43 ct € HT. « Dès le premier lot, nous avons fait un suivi précis pour estimer à partir de quel moment les performances de ponte ne permettaient pas de couvrir les charges, notamment l’aliment », explique François Reveau.
Le graphique ci-contre permet de suivre la marge brute (MB) instantanée du lot, étroitement liée aux performances de ponte ; la main d’œuvre (MO) est ajoutée à la MB pour prendre en compte le temps de travail. « En 2024, nous avons arrêté le lot à 346 j de présence sur l’élevage, soit 67 semaines de vie, avec 85 % de ponte. Sur notre premier lot, la marge instantanée commençait à diminuer à 69 semaines de vie mais nous avions continué jusqu’à 79 semaines ; sur ces 10 semaines, la perte de marge brute était de 150 €. Dans l’idéal nous aurions aimé poursuivre le lot de 2024 pendant 10 semaines, mais sur des petits lots, nous sommes tributaires de la disponibilité de poulettes. », poursuit-il. Le suivi de la ponte et des charges est essentiel pour pouvoir déterminer la durée d’élevage des pondeuses, selon son système de production, ses objectifs de rentabilité, le prix des poulettes et de l’aliment etc.

Figure 1 : Lot 2024 du GAEC Graine de St Germain – Marge brute instantanée, MO chargée ajoutée (€ HT)
La durée moyenne des lots bio en Bretagne est de 72 semaines de vie, contre 85 semaines pour les lots plein air (Source : Observatoire technico-économique poules pondeuses avec parcours – CRAB 2023). Les améliorations liées à la génétique (sélection), la nutrition, la gestion des troupeaux et la prévention des maladies ont permis d’allonger considérablement la période de production des pondeuses depuis une quinzaine d’année. Les limites actuelles sont la qualité de la coquille et la santé osseuse des poules.
« Même si ce n’est pas encore une généralité, certains troupeaux de pondeuses peuvent dorénavant être élevés jusqu’à 100 semaines d’âge en un seul cycle, avec une production d’environ 500 œufs par poule », explique Nicolas GUYOT, chercheur en biologie des oiseaux. Mais il questionne ces pratiques, notamment en ce qui concerne les conséquences sur la santé des pondeuses : « Sur un essai d’allongement du cycle de ponte, nous avons vu à l’autopsie des oviductes parfois très dégradés en fin de cycle ; pousser la productivité des pondeuses peut donc être éthiquement discutable, surtout si l’on ajoute à cela les potentiels impacts sur la santé osseuse. La technique de la mue induite des pondeuses propose une autre perspective sur l’allongement des lots. »
Allonger via la mue, c’est possible ?
La mue est un phénomène naturel chez les oiseaux sauvages, et a souvent lieu lors de l’incubation des œufs. Elle se traduit par une perte de poids résultant de la baisse de l’alimentation, la mue des plumes, et la régénération du système reproducteur. L’élevage et la sélection des pondeuses commerciales, aux taux de ponte importants, ont réduit les signaux endogènes qui induisent la mue. Elles conservent malgré tout dans leur répertoire génétique, la capacité à tolérer la privation de nourriture et d’induire une mue (régénération du système reproducteur et mue des plumes). La mue induite améliore la production d’œufs et la qualité de la coquille. (Berry, 2003)
« La mue induite est une pratique relativement courante aux États-Unis, qui ont utilisé pendant longtemps des méthodes drastiques basées sur une privation de nourriture et d’eau, mais l’induction de la mue par ce type de méthode n’est pas autorisée en Europe pour des raisons évidentes de bien-être animal », explique Nicolas Guyot. La méthode alternative consiste à carencer l’aliment et claustrer pendant quelques temps, pour viser une perte de poids, et ainsi induire la mue.
C’est le pari fait par Élodie Pellegrain et ses associés entre 2017 et 2022 avec leur start-up Poulehouse : « Nous avons mis en place un protocole de mue basé sur un protocole alimentaire carencé, un programme lumineux adapté, et un suivi technique très précis tout au long de la mue pour accompagner au mieux les poules dans ce processus. Nous avions nos propres poulaillers, puis des éleveurs partenaires avec qui on contractualisait sur le protocole et la reprise des œufs. Nous sommes allés jusqu’à deux mues sur un même lot de pondeuses, avec une reprise en ponte jusque 85% après une première mue. Bien-sûr il restait des pistes de travail pour améliorer nos résultats, notamment le meilleur moment pour déclencher la mue », détaille l’ex-associée. Le modèle économique restait cohérent avec un prix fort qui s’élevait à 5,99€ les 6 œufs en 2021 en circuit long. « C’est avec un effort de communication et d’information accru, notamment via la marque « L’œuf qui ne tue pas la poule », que nous arrivions à commercialiser nos œufs. Les clients bio étaient sensibles à cette démarche, et même davantage sur notre gamme plein air » témoigne Élodie Pellegrain. Malheureusement, l’aventure Poulehouse a dû cesser en 2022 en raison de la perte d’un partenaire opérateur déterminant pour l’emballage des œufs.
L’expérience Poulehouse prouve que la mue est une pratique digne d’intérêt pour l’allongement des lots. Le suivi précis de la santé des poules et de certains indicateurs techniques est essentiel pour garantir la cohérence économique et s’assurer du bien-être animal de la pratique.
Article rédigé par Guillaume Raimbault (GAB 56), extrait de Symbiose (février 2025)
Pour en savoir plus
Bibliographie
- 2003, Berry, The physiology of induced molting
- Fiche technique “Prolonger la durée d’utilisation des poules pondeuses », FIBL : https://www.fibl.org/fr/infotheque/message/fiche-technique-prolonger-la-duree-d-utilisation-des-poules-pondeuses
- Hy Line – Recommandations pour une mue sans jeûne
Ce que dit la réglementation sur la mue induite
Chez Poulehouse, la compatibilité avec le cahier des charges bio a été validée à l’époque par l’INAO, à condition de respecter la règle du tiers de vie en plein air sur la vie de la pondeuse dans leur protocole. Le processus de mue induite n’étant en lui-même pas prévu et donc pas spécifiquement encadré par la réglementation, le protocole avait également été présenté et accepté par chaque service local de la DDCSPP.