Découvrez les pratiques et techniques par filière
Sur le coteau d’Aiton, à l’entrée de la Maurienne, trois vignerons, Bernard Bachellier (les Sartos du Bec), Maxime Dancoine (Domaine de l’Aitonnement) et Cyril Donzel se sont réunis pour organiser de l’agropastoralisme avec le concours des brebis de Juliette Castagneris, éleveuse d’ovins allaitants avec activité de ferme ambulante à Saint Alban d’Hurtière (Pour plus d’information sur la ferme ambulante, cliquez ici).
Les brebis, ou plus précisément les agnelles, sont sur le coteau d’Aiton depuis fin novembre. Elles sont 12 à pâturer au pied des ceps de Mondeuse, Altesse, Douce Noire, Jacquère… Les vignerons ont construit un abri dans une parcelle de verger central sur le lieu-dit Les plantets. Ils font d’abord tourner les brebis sur des parcs qui donnent tous sur cet enclos avec abri. A partir du mois de février, les brebis sont réparties sur une nouvelle zone, au-dessus du chemin, qui est découpée en deux parcs successifs mais cette fois-ci sans accès à l’abri. Puis en mars, elles retournent en bergerie et prairie de pâture (malheureusement 8 des 12 ont péri suite à une attaque de loup ce printemps). Elles n’ont pas besoin d’eau pour vivre sur le coteau en cette saison. L’eau présente naturellement leur suffit. Les vignerons ont juste eu à apporter une pierre de sel en complément.
Les brebis circulent sans contraintes dans les vignes en gobelets. Dans les vignes palissées, si le premier fil est bas, elles circulent de bas en haut et de haut en bas en suivant les lignes, si le fil est haut, elles passent par-dessous en forçant un peu. Les petits gabarits sont bienvenus.
Les changements de parc sont faits à l’appréciation visuelle. « Nous voyons si elles ont bien brouté la parcelle sans aller à du surpâturage, relate Bernard Bachellier. Nous mettons en place le début du parc suivant concomitant avec le premier puis faisons basculer dans ce nouveau parc agrandi ensuite avec les filets retirés du premier parc. Nous avons un peu plus de longueur de filet que le besoin pour un parc ce qui permet de faire avancer les brebis sur le coteau de vigne sans grandes contraintes logistiques. »
Pour ce qui est de la gestion de l’herbe, cela semble satisfaisant et devrait permettre de retarder le premier passage et donc gagner du temps au printemps suivant. « Elles ont même décapé les vieilles souche du lierre grimpant. Ça fait une belle mise au propre » déclare le vigneron satisfait. Pour ce qui est fertilité du sol, le faible chargement d’animaux et leurs petits sabots devrait plutôt aérer le sol que le tasser. « Pour ce qui est de l’apport de fertilisation via les déjections, des études faites dans d’autres vignobles sont plutôt sceptiques sur une réelle efficacité, signale Maxime Dancoine. Mais si ça nous fait déjà gagner sur la gestion de l’enherbement… » Dans les vignes de Cyril, il y avait des grosses touffes de ray grass qu’il avait du mal à gérer en saison. Si ce n’est pas leur nourriture de prédilection, vis-à-vis de la jolie diversité qu’offre le coteau, les brebis finissent néanmoins par s’en nourrir. Cela devrait donc faciliter le travail à la reprise.
L’agropastoralisme dans les vignes demande néanmoins une organisation pour la taille. En effet, les brebis ne sont parquées que dans des parcelles non taillées et la taille est réalisée après pâturage. « Nous avions peur qu’avec des petites cornes laissées sur les ceps, les brebis s’accrochent avec leur épaisse toison et que les coursons cassent quand les brebis veulent se dégager » explique Bernard.
Au-delà du travail réalisé par les brebis, les vignerons éprouvent beaucoup de plaisir à les voir évoluer dans le coteau. Elles mettent de l’animation et donnent un côté bucolique à leurs parcelles de vigne.
« Notre grosse crainte, par rapport à cette technique, précise Bernard Bachellier, concernait les jeunes plants. Nous avions peur qu’elles ne les abîment. Nous avons donc testé diverses techniques de protection. »
La protection basique en viticulture, en manchon protecteur n’a pas donné entière satisfaction. D’une part car l’été, avec les épisodes de canicules, cela a eu tendance à faire chauffer les jeunes plants et à les brûler, et d’autre part, les brebis ont été attirées par ces manchons et ont tiré dessus. Le risque qu’elles blessent les ceps était alors plus grand avec les manchons que sans.
Des protections en tortillon plastique ont également été testées. Elles ont aussi attiré les brebis. « Au final, sur les vignes en gobelet, en attachant bien les jeunes plants à l’échalas, les brebis viennent brouter au plus près du plant sans le blesser » témoigne Bernard. Les jeunes plants avaient quand même été piochés à l’avance sur 20-30 cm pour ne pas tenter trop les brebis. Sur les vignes en treille, chez Cyril, une protection a été faite avec un encadrement par des petits tuteurs en bambou. Pour 2020, une protection par des cavaliers en fer à béton sera testée. « Cela protégera de la débroussailleuse et du piétinement par les brebis » précise le vigneron.
« C’est très satisfaisant comme échange. Cela permet d’économiser du foin sur l’hiver et avec les saisons de plus en plus compliquées que nous avons au niveau récolte de foin, c’est une bonne voie d’adaptation, témoigne Juliette. Nous en avons discuté avec d’autres éleveurs ovin de la Maurienne. Si nous avons d’autres opportunités de mettre nos troupeaux au pâturage pendant la période hivernale, ce sera un gros plus pour nous. Le fait qu’elles soient au pâturage le plus longtemps possible est aussi une bonne chose pour leur santé. Elles développent leur immunité. Je ne les soigne qu’aux huiles essentielles.» La bergère note que les brebis sont en très bonne santé, que les vignerons partenaires s’en occupent très bien et « que l’herbe est bonne sur le coteau ». Pour le confort des brebis, ils ont construit un abri. Elles ne s’y rendent pas souvent mais en cas de pluies battantes, il est le bienvenu.
Les vignerons sont en agriculture biologique. Ils privilégient la phytothérapie (tisanes d’osier, bourdaine, reine des prés, décoction de prêle) et ils utilisent le moins de cuivre possible. Ils atteignent en moyenne 2 kg de cuivre par ha environ, voire moins. Ceci est une des conditions de réussite car c’est un métal qui empoisonne les ovins.
Pour que l’échange soit profitable pour tous, il est important que les brebis soient assez sociables afin de pouvoir être gérées assez facilement par des non-professionnels de l’élevage ovin. Pour cette première expérience, ce sont des agnelles qui ont été apportées (ou de plus vieilles brebis qui ne portent pas). « En effet, pour des brebis gestantes, il faut les rentrer et changer leur alimentation dans le dernier mois avant la mise bas. Il pourrait néanmoins être envisagé de mettre des brebis à contribution sur la période novembre-janvier », précise l’éleveuse.
Et l’année prochaine ?
Tous semblent partant pour poursuivre, éventuellement avec deux troupeaux d’une petite dizaine de brebis ce qui permettrait d’intégrer de nouveaux secteurs.
Article rédigé par Arnaud Furet, conseiller viticulture biologique à l’ADABio, et initialement paru dans La Luciole n°28
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