Marion Henry – Elevage – Côtes d’Armor

Bio Elevage ferme le Buisson Vaches allaitantes Pie noires

la ferme en chiffres

SAU : 54 ha

Cheptel : 30 vaches bretonnes pie noires + 70 porcs blancs

Main d’oeuvre : 3 personnes

Débouchés : ventes à la ferme, en ligne , marchés et restauration scolaire

Comment est née ton envie d’installation en tant que paysanne ?

J’ai grandi à la ferme et suis fille d’éleveurs laitiers. Je gardais depuis toujours l’idée de m’installer dans un coin de ma tête, mais sans être pressée. Avec Benjamin, nous sommes revenus en 2011 d’un volontariat de solidarité international à Madagascar, durant lequel on travaillait sur l’autonomie alimentaire, dans un village-ferme. En rentrant, on s’est dit que c’était à notre tour de travailler la terre. On a monté un groupe de réflexions avec des copains d’ici, en Centre Bretagne, avec pour projet de s’installer à quatre. Finalement, on s’est installé à trois avec Benjamin et Pierre-Yves, sur la ferme de mes grands parents, à Plouguernével. Le projet s’articulait autour de Bretonnes Pies Noirs, de Porcs Blancs de l’Ouest, avec transformation et vente directe. Avec la particularité que la ferme a été achetée par une SCI agricole et citoyenne, composée de 122 sociétaires. Nous sommes donc locataires, fermiers.

A quoi ressemblait la ferme à votre arrivée ?

Pour l’anecdote, il restait une vache, une Bretonne Pie Noir. La ferme ne s’est pas arrêtée et nous avons conservé le même numéro d’élevage, grâce à cette vache qui  s’appelait Minorez : en breton, l’héritière ou l’orpheline. En effet, elle était orpheline de mes grands parents, mais elle transmettait aussi leur héritage !
Sur la ferme, il y avait des bâtiments plus ou peu utilisés et en partie enfrichés, mais pas de terre à proximité. On a trouvé environ 54 ha de terres à 5 km du site et avons demandé à mes parents voisins d’échanger 17 ha afin d’avoir une surface minimum groupée autour des bâtiments pour le pâturage et l’élevage des cochons à proximité. Les 37 ha restants, à 5 km, permettent de cultiver des céréales et de faire de la fauche principalement afin d’être autonome pour l’alimentation de nos animaux.

Comment s’est passée la période d’installation ?

Plusieurs mois et années ce sont écoulés entre l’idée de s’installer et le lancement en juin 2015, d’un portage avec la CIAP 44 (Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne) car il n’y avait pas encore de CIAP 22. Ce portage a duré un an puisque nous nous sommes officiellement installés en GAEC en juin 2016. Sans ce dispositif, nous n’aurions pas pu nous installer ici et un parrainage « classique » n’était pas possible, puisqu’il n’y avait pas de cédant. S’installer directement impliquait de pouvoir produire tout de suite, sauf que constituer un troupeau de Bretonnes Pies Noirs prend du temps et défricher et retaper des bâtiments aussi. On avait donc besoin de cette année « 0 » pour le faire.
La CIAP nous a permis un portage de projet global, aussi bien financier, humain, qu’administratif. Elle gérait la comptabilité, nous a fait une avance de trésorerie et d’investissements de près de 40 000 euros, nous a permis d’engager la conversion bio et de lancer un dossier d’aides PAC, tout cela dès l’année 2015. Pendant un an, nous avons déblayé, commencé les constructions, acheté quelques vaches, un tracteur, quelques cochons et constitué la SCI. En juin 2016, à l’installation officielle, nous avions déjà de la viande de porc à vendre et donc un début de rentrée d’argent. Aujourd’hui, nous sommes quatre à vivre de l’activité de la ferme : Pierre-Yves, Benjamin, Garance, qui est salariée à temps plein, et moi.

D’où est venue cette envie de travailler avec des races locales ?

Cette envie s’inscrit dans notre logique de garder de la biodiversité sur la ferme et de sauvegarder ce patrimoine. Plus largement, les races locales sont, par essence, adaptées à un territoire et présentes bien des avantages. Nous voulions aussi transformer tout le lait, être autonome en alimentation, vendre en circuits courts et tout cela pour ne pas être dépendant des cours mondiaux et d’événements sur lesquels nous n’avons pas de prise. C’était un projet qui nous paraissait logique en somme.
En Porc Blanc de l’Ouest, il n’y avait pas d’animaux disponibles, donc on a commencé par un mélange de races. Puis, nous avons rencontré Charlotte et Edern, un couple qui s’est installé en naissage Porc Blanc de l’Ouest, à qui nous achetons les porcelets en direct.
Aujourd’hui, on ne regrette pas ce choix des races locales et on se rend compte que les nouveaux installés et les clients voient cela d’un bon œil. Comme le dit le livre de Pierrick Bourgault et Pierre Quéméré : la Bretonne Pie Noir, la vache des paysans heureux.

Porcs blancs de l'ouest en bio

Porcs blancs de l’ouest FERME LE BUIS SONNANT © MATTHIEU CHANEL

Comment les ateliers se sont-ils construits ? Vous avez tout mis en place d’un coup ou cela a-t’il été progressif ?

Au démarrage, les paysans voisins nous conseillaient de constituer un troupeau rapidement, qu’importe la race, afin de produire et de vendre du lait. Après réflexion, nous avons écarté cette idée car tout le temps passé à la traite à produire du lait, aurait été du temps en moins pour faire des travaux et mettre en place les différents ateliers de la ferme. Nous avons préféré lancer les cochons en plein air, avec quelques cabanes mobiles à monter ce qui était assez rapide et facile à mettre en place.
Monter le troupeau de Pie Noir nous a pris du temps. On a appelé tous les réseaux, tous les paysans en leur disant qu’on cherchait des animaux. Après deux ans et demi, nous sommes arrivés à 30 vaches en lactation. Ca a été très long.
Le laboratoire de transformation a été opérationnel en septembre 2017, avant ça, nous n’avions pas assez de lait pour le vendre à Biolait, donc on le donnait aux cochons. Cela semblait une aberration, mais on ne pouvait rien faire d’autres. Cela dit, on a fait de jolis cochons bien ronds !! Quand on a fini les travaux du labo, on a commencé à transformer petit à petit pour atteindre, aujourd’hui, une gamme diversifiée. En premier lieu, le Gwell®, produit phare des races Bretonnes était une évidence pour nous. Comme un pain au levain ou du kéfir, c’est un produit issu d’un ferment indigène. C’est un lait fermenté atypique, frais, fondant et avec un petit côté acidulé qui le rend très original. Seule contrainte, si on perd le ferment, il faut aller le chercher chez un des 15 producteurs en France ! Nous faisons aussi du fromage blanc, du P’tit Buiss’, des fromages frais et affinés, du riz au lait, du beurre, de la crème crue, du yaourt à boire, du lait ribot.

Comment s’organise l’activité de transformation ?

On a organisé la transformation de manière très méthodique. Nous travaillons tous les matins, laissant la place à d’autres activités l’après-midi. Produisant plus de cinq produits différents, il y a forcément plusieurs production le même jour. Les lundi, mercredi et jeudi sont les grosses matinées de travail, où nous sommes en équipe complète pour finir la transformation laitière. Le lundi il y a beaucoup de crème et du fromage affiné (MorBreizh ou N’eo ket tomm), le mardi on lance un fromage blanc, le mercredi on fait du riz au lait, du Gwell, à nouveau un fromage affiné et on transforme le fromage blanc préparé la veille. Le jeudi, c’est au tour du beurre, du lait ribot, du yaourt à boire et la préparation des commandes. Tout au long de la semaine, on fait de la crème en vue de la transfo beurre. Le vendredi, on refait de la crème et on finalise les commandes pour des livraisons le vendredis après-midi.
L’abattage des porcs et des veaux se fait à Rostrenen, à 5 km de la ferme, et la transformation de la viande par un boucher à 10 km d’ici. Tous les vendredis matin, nous finalisons l’emballage de la viande et la répartition des commandes chez le boucher. Le week-end, c’est repos, il n’y a pas de transformation et le lait est conservé jusqu’au lundi matin. Ainsi, le travail sur la ferme peut être fait par une seule personne, qui est d’astreinte.

Au final, une partie du lait est-elle collectée ?

Le seul moment où le lait est collecté c’est quand on part en vacances avec Benjamin. On part à 2, donc ce n’est pas possible pour Pierre-Yves et Garance d’assurer tout le travail sur la ferme à deux. Biolait collecte au minimum 150 L de lait tous les 3 jours. Pendant les vacances d’hiver, nous avons quelques difficultés à atteindre les 150 litres. Au printemps-été, on arrive à livrer 300 litres. On a transformé 40 000 litres de lait en 2019, et avons pour objectif d’arriver à 60 000 litres ce qui représente déjà beaucoup de travail.

Quelles sont les marges de manœuvre pour atteindre les 60 000 litres de lait transformés ?

Ferme le buisson crédit photo Matthieu Chanel

FERME LE BUIS SONNANT © MATTHIEU CHANEL

Nous avons atteint la taille souhaitée de troupeau courant 2019, nous avons donc plus de vaches et plus de lait. De plus, notre troupeau est plus équilibré avec quelques primipares et des multipares en plus grand nombre. Du coup, la moyenne d’étable est supérieure. En Bretonne Pie Noir, la différence est flagrante puisqu’on peut passer de 1500 à 3000 litres de lait produit entre primipare et multipare. On a aussi une meilleure gestion de l’herbe. Cette année, on constate qu’avec autant de vaches que l’année dernière à la même période, la production laitière a augmentée. On devient moins mauvais, ou disons qu’on s’améliore !
Le travail en collectif n’est pas toujours simple. Comment cela fonctionne sur la ferme ?
On souhaite que tout le monde soit capable de tout faire sur la ferme. Personne ne doit être irremplaçable. Au début, on ne voulait pas forcément se spécialiser ni mettre de responsable, mais on s’est vite rendu compte que c’était compliqué avec la diversité de nos ateliers : élevage de porc, des vaches, transformation, commercialisation, communication, administratif… Si on se met à trois pour commander des pots de crème, ce n’est pas efficace. Du coup, on a nommé un référent par atelier qui est chargé de son suivi…  Ca a apaisé les énergies et la charge mentale, mais on reste vigilant à être toujours capable de se remplacer.
Sinon, la communication est essentielle et nous nous appuyons sur des outils pour gérer le quotidien. La réunion hebdomadaire du lundi après-midi est un moment clé car elle sert à se poser pour rediscuter de sujet important et prendre des décisions, informer les collègues et à établir le planning sur une semaine ou plus si on peut. On positionne d’abord les tâches incontournables de la semaine : élevage et transfo tous les matins ainsi que marché mardi matin et la permanence du mercredi après midi à l’épicerie dont on est producteur-associé. Le vendredi, c’est l’aboutissement de notre semaine de travail avec les livraisons et la vente à la ferme. On se partage les traites du soir en fonction des chantiers prévus dans la semaine et des disponibilités des uns et des autres (réunions, formations, temps personnels…). Enfin, chaque semaine, la vente est assurée par une personne différente qui assure le vendredi à la ferme et le marché suivant. Dans cette organisation plutôt carrée, on se retrouve à faire tous des choses différentes tous les jours ce qui permet d’éviter la monotonie.
Sur de nombreux tableaux dans la cuisine de la ferme, on peut lire le mot humain écrit en gros, c’est un facteur qui semble majeur sur ici…
On a intégré l’humain comme étant un atelier à part entière de la ferme. On est en collectif, donc parmi les différents ateliers de la ferme, il y a aussi l’atelier humain et comme pour le reste, il faut lui accorder du temps et continuer de se former. On est accompagné par un médiateur depuis le début et on a fait des formations en communication non violente et sur l’installation en collectif pour mettre l’humain au cœur du projet. C’est pour ça que les réunions une fois par semaine sont importantes.
Tous les ans, on fait aussi une assemblée générale de la ferme, à trois, sur une journée, en dehors de la ferme, pour changer d’environnement et être au calme. On la prépare pendant une semaine. C’est le moment pour nous de prendre de la hauteur, se demander vers où on veut aller et quels moyens on met en face pour y arriver. On décide en amont de quels sujets on veut parler et on commence à les dépiauter, à chercher des chiffres pour bien préparer l’assemblée générale du samedi. Cette parenthèse est importante car au quotidien, on n’a pas le temps de se poser et il peut être périlleux de foncer la tête dans le guidon.

Quels types de décisions sont prises lors de ces AG ?

En 2019, on a décidé de passer de deux groupes de vêlages (printemps/automne) à un seul au printemps. Après quatre ans seulement, on s’est dit qu’on avait envie de prendre ce virage en groupant les vêlages. L’AG nous permet d’étudier le problème sous toutes les coutures. Quelles sont les conséquences en termes financier, de volume transformé, de main d’œuvre, de débouchés, de gestion du troupeau ? C’est quand même un sacré virage que tu fais prendre à ta ferme et il faut pouvoir l’assumer personnellement et l’expliquer aux clients. De fait, la gamme sur l’étal ne sera pas la même toute l’année.
Une autre décision que nous avons été amenés à prendre était l’embauche d’une salariée. A l’installation, la question ne se posait même pas et au bout de deux ans, c’est devenu un besoin et un souhait de passer à quatre. Là encore, ça pose pas mal de questions : quel profil recherché, temps plein ou temps partiel, financièrement est-ce que ça passe ? L’accueil sur la ferme a été discuté également : wwoofers, stagiaires, artistes. Accueillir implique de prendre du temps pour cela. Cela peut sembler anodin mais les sollicitations sont très nombreuses et nous avons dû décider d’une ligne de conduite : combien de personnes à la fois, qui s’en occupe, quand ne pas accueillir. On veut recevoir du monde, mais le faire bien ça implique de se coordonner pour pouvoir le mettre en place.
Les sorties de nouveaux produits, le passage de deux à cinq semaines de congés annuels, l’augmentation du salaire, les aspects humains personnels, les engagements professionnels et syndicaux. En fait, il y a mille décisions à prendre au quotidien sur une ferme mais celles qui nécessitent une prise de distance car ayant un impact sur toute une année se font à l’assemblée générale. C’est vraiment le lieu et le moment des décisions stratégiques.
On sent que le système commence à être calé. Quels sont les défis qui attendent la ferme ?
J’ai déjà évoqué le passage en vêlage groupé de printemps qui va bouger les lignes au niveau production et commercialisation. Sinon, humainement, il va y avoir de gros changements en fin d’année. Pierre-Yves va quitter la ferme pour d’autres aventures personnelles. De son côté, Garance nous avait déjà annoncé qu’elle souhaitait partir au bout 2 ans, pour des envies de voyage. Nous cherchons donc deux nouvelles personnes pour compléter l’équipe d’ici la fin de l’année. Dans un premier temps, ça sera probablement du salariat ou un parrainage pour construire la relation et un nouveau projet avec de nouveaux associés. Même si ça peut sembler un peu inquiétant un tel changement, c’est aussi enthousiasmant car avec de nouvelles personnes arrivent forcément de nouvelles idées et donc le projet va évoluer et s’enrichir.

Comment tu gères ce nouveau tournant sur le plan humain ?

C’est la vie ! Je suis persuadée que les choses n’arrivent pas par hasard. Si ça arrive à ce moment-là, c’est que c’était nécessaire. De chaque étape, il y a quelque chose de positif à tirer. En même temps, c’est l’histoire d’un projet vivant. La production évolue, les circuits de commercialisation bougent. La ferme, dans tous ses aspects, est en construction et en évolution constante.

Vous préparez déjà le terrain pour les futurs arrivants ?

On commence à en parler. Il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas. Avec Benjamin, on ne se met pas de pression. De façon plus générale, la vie de paysan nous la voyons comme une liberté sans date de fin. Ca peut durer 10 ans, 20 ans, on n’en sait rien. La seule chose à laquelle on a pensé dès le départ, c’est de faire une ferme qui soit transmissible le plus facilement possible. La création d’une SCI agricole et citoyenne s’inscrit dans cette démarche. Nous ne souhaitons pas avoir un jour à pénaliser la génération suivante. De plus, dans la vie d’une ferme, il y a des entrées et des sorties d’associés et nous souhaitons faciliter ses mouvements. C’est un système qui se veut simple, transmissible. C’est en travaillant sur ce sujet que nous permettrons d’attirer de nouvelles personnes vers ce chouette métier de paysans et paysannes. Notre but, c’est de vivre de notre métier. Nous souhaitons un système où le travail apporte la rémunération et non la capitalisation dans un outil de production (bâtiment, foncier…). Avec la SCI, on a fait le choix de la non capitalisation et de la transmissibilité de l’outil. Reste donc à trouver un système pour assurer nos vieux jours. Notre médiateur nous a dit un jour : « Mettez vos idéaux à l’épreuve du temps ». Cette phrase fait réfléchir. Nous voulons une ferme facilement transmissible et nous ne voulons pas non plus hypothéquer complètement notre retraite. Nous envisageons donc un passage du GAEC en statut SCOP. C’est un changement de mentalités, mais on préfère fonctionner sur un système de cotisation et de retraite par répartition avec un système qui favorisera les installations plutôt que sur un système de capitalisation et de défiscalisation, qui jusqu’à présent à fait ses preuves dans la réduction du nombre de fermes et de paysans. Ceci n’est évidemment pas un jugement des agriculteurs qui nous précèdent mais une piste pour multiplier le nombre de paysans bio dans les campagnes à l’avenir.

 

Avec l’aimable autorisation de la FRAB Bretagne

Antoine Besnard : Rédacteur en chef de Symbiose
Photos : Matthieu Chanel