Témoignage : Christian Guéméné expérimente l’agroforesterie

Publié le : 25 janvier 2019

A Saint-Just, en Ille-et-Vilaine, Christian Guémené, éleveur laitier de 47 ans, a planté des arbres au milieu de ses champs. Au-delà du côté expérimental, c’est avant tout pour lui une question de bien-être animal, fortement corrélé au bien-être de l’éleveur. C’est aussi un moyen de tirer un meilleur parti de ses parcelles et de veiller à la biodiversité. Le temps lui dira s’il a eu raison.

Trois rangées d’arbres au milieu d’une prairie fraîchement fauchée. C’est le décor dans lequel déambule Christian Guémené, éleveur laitier à Saint-Just (35) sur 54 ha. Il y a deux ans, il a planté 110 arbres sur une parcelle de 2 ha afin d’y expérimenter l’agroforesterie.

Installé à la suite de ses parents en 1994, en conventionnel, Christian voit vite les limites du système. « Si on regardait les quantités, c’était performant, mais les animaux n’étaient pas en super santé et en maïs, je prenais des sacrées « cabanes ». Je suis sur des terres séchantes, je faisais des rendements de 5 tonnes/ha là où les autres en faisaient 15. » A côté de ça, la dépendance aux apports extérieurs le questionne : soja, maïs, engrais, phyto… « C’est moi qui faisais les traitements, au bout d’un moment j’en ai eu assez..»

« Si c’est bon pour nous, c’est bon pour nos animaux »

Après avoir remis l’autonomie au cœur de son système, puis être passé en bio en 2001, Christian commence à planter des haies bocagères autour de ses champs. « Ensuite, je me suis mis à en planter au milieu des champs, puis j’ai fini par y mettre des arbres. On m’a un peu pris pour un fou ».

En 2012, Christian participe à une formation sur l’agroforesterie, organisée par Agrobio 35. Ca fait tilt dans sa tête, si bien qu’il décide d’emblée de mettre en place une parcelle d’essai. « Lors des fortes chaleurs, voir des concentration d’animaux qui s’agglutinent sous les haies, avec les problèmes sanitaires que ça peut engendrer, ce n’est pas terrible. La pratique m’intéressait avant tout pour le bien-être animal, c’est un bon régulateur de tous les excès : chaleur, froid, de pluie, vent. Ca apporte du confort aux animaux, car ça leur offre de l’ombre et de l’abri. Ils peuvent également manger les feuilles dont ils ont besoin. Il y a des essences qu’elles aiment bien, c’est un bon complément minéral. On arrive à une symbiose entre les animaux, les arbres, la culture. Et ça me permet de mieux valoriser mes parcelles ».

110 arbres sur 2 hectares

Suite à la formation, Christian a donc mis en place une parcelle d’essai de 2 hectares sur laquelle il a planté 110 arbres. Les arbres sont plantés sur trois lignes, espacées chacune de 27 m. Entre les arbres, Christian a laissé un écartement de 6 m. « J’ai suivi les conseils qui préconisaient 50 arbres par hectare, et j’ai adapté l’implantation à ma parcelle et à la taille de mon matériel afin d’être à l’aise pour évoluer avec sur la parcelle. En terme d’emprise, chaque rangée fait un mètre de large, ça fait 610 m2 sur 2 hectares, ce n’est pas énorme.» Hors main d’œuvre, ça lui a coûté un peu plus de 500€ l’hectare.

Pour les arbres, il a choisi 6 essences différentes, déjà présentes dans l’environnement local afin que les plants prennent bien racine : noyer, merisier, frêne, cormier, tilleul et châtaigner. Il profite d’une commande groupée de plants et de protection pour acheter de quoi mettre en place sa parcelle d’essai. Il prépare le terrain pour la plantation : traçage des lignes et des emplacements de chaque arbre. « Sur la parcelle que j’ai choisie, le sol est hétérogène, pas très profond. A certains endroits, on était quasiment sur la roche en creusant, donc j’ai réparti les essences en fonction du terrain. J’ai mis le merisier et le noyer en bas de parcelle, où la terre est plus saine et adaptée à ces essences ; et en haut les autres essences, qui ont des racines plus profondes et qui vont mieux pomper l’eau », explique Christian. Il estime d’ailleurs que c’est son sol qui lui dira si son choix a été le bon.

Une école de patience

Depuis 2 ans, ses arbres ont poussé mais l’agroforesterie est une école de patience. Les premiers effets sont attendus d’ici 7 à 8 ans.

Dans un champ, les arbres poussent plus vite que dans un bois ou dans une haie : « En pleine terre, sans concurrence, ils ont de l’espace, ils poussent mieux et de manière plus régulière, ce qui à terme est également un bon critère pour valoriser le bois ». Et Christian ne semble pas non plus effrayé par une concurrence entre les arbres et les cultures. « C’est une crainte que les gens ont avec cette technique. Je sais qu’au bout d’un certain temps, il peut y avoir des baisses de rendements jusqu’à 15% mais ça ne me fait pas peur. C’est à moi de bien conduire la parcelle pour que cette concurrence n’arrive pas.»

Pour que cette concurrence n’arrive justement pas, il va falloir maîtriser l’enracinement des arbres, à l’aide d’un engin sous soleur, ou fissurateur, tous les cinq ans. Cet engin va obliger les racines à descendre en profondeur afin qu’elles se retrouvent sous la culture. C’est là l’intérêt majeur de l’agroforesterie selon Christian : « Comme ça, les racines vont récupérer tout ce que la culture n’a pas utilisé en éléments organiques et minéraux, ces éléments vont remonter dans le feuillage de l’arbre et refertiliser le sol une fois les feuilles tombées à l’automne. C’est là que c’est gagnant-gagnant. Et sur les parties peu profondes de la parcelle, les racines feront peut-être elles-mêmes le travail de fissuration»

Ne pas voir l’arbre comme un obstacle

En terme de conduite de culture, Christian n’a pas vu grand changement. « Ce sont encore des arbustes. Il faut juste faire attention quand on passe à côté », dit-il dans un éclat de rire. « Ca demande un peu plus de temps car on va forcément moins vite. Il ne faut pas voir l’arbre comme un obstacle » Il se répète, mais il pense avant tout au bien-être de ses animaux et aux avantages induits par l’agroforesterie. « Ce n’est pas pour moi, c’est pour mes enfant ou ceux qui reprendront la ferme, parce que le bois ce n’est pas moi qui vais l’exploiter. Au bout de 40 ans, les bois sont exploitables pour faire du bois d’œuvre. Sans compter tous les bienfaits sur la biodiversité. »

Article rédigé par Antoine Besnard, Rédacteur en chef Symbiose, le magazine du réseau GAB-FRAB Bretagne