Porcs non castrés : impacts d’une conduite alimentaire simplifiée

Publié le : 24 juillet 2024

En élevage de porcs bio, mettre en place une conduite alimentaire sevrage-vente simplifiée avec un seul aliment distribué du sevrage à l’abattage constitue une pratique d’intérêt à étudier. Qu’en est-il pour l’élevage de porc mâle non castré ? Ne pas utiliser l’aliment 2ème âge pour les porcelets impacte-t-il la croissance des porcs et la qualité des carcasses ?

Pourquoi s’intéresser à la conduite alimentaire sevrage vente simplifiée en élevage de porc ?

Dans un contexte d’inflation importante du prix de l’aliment concentré, utiliser un seul aliment (“Croissance 100% bio”) peut s’avérer intéressant afin d’augmenter les volumes achetés et réduire les charges d’alimentation.

Ce type de conduite alimentaire repose sur la capacité des animaux à effectuer une croissance compensatrice durant la phase d’engraissement après une phase de post-sevrage pour laquelle l’apport protéique sera limitant. Cette croissance compensatrice permettrait de ne pas pénaliser les performances à l’abattage (poids, Taux Muscle Pièce (TMP)).

En 2019, dans le cadre du projet Sécalibio[1], deux essais[2] sur l’impact d’une conduite alimentaire sevrage-vente simplifiée sur les performances de croissance et les résultats d’abattage de porcs bio ont été menés sur la ferme du lycée Nature (85) et du lycée de Naves (19). Les résultats obtenus montraient que les animaux étaient capables de rattraper en engraissement le retard de croissance  post-sevrage  au moins partiellement (allongement de la durée d’élevage d’environ 5 jours au lycée Nature), sans impact sur le TMP. L’effet sur l’amélioration de la santé digestive des porcs n’a pas été vérifié. Enfin, le bilan économique de la pratique n’a pu être calculé que sur un seul essai, avec une diminution du coût alimentaire de 3.4% environ.

Sur la station expérimentale de Porganic[3], les conditions étaient réunies pour mettre en place un nouvel essai de conduite alimentaire simplifiée, afin de valider ou non ces résultats prospectifs.

La station PORGANIC en quelques mots

La station et ses sujets de recherche

La station expérimentale INRAe #porganic est un élevage porcin naisseur-engraisseur conduit en AB. La station, située à Rouillé (86), héberge 48 truies de race large-white, réparties en 4 bandes. Les mâles engraissés ne sont pas castrés. La station sert de support aux travaux des unités de recherche des départements génétique animale (GA) et  physiologie animale et élevages (PHASE) de l’INRAe. Les thèmes de recherche menés sur la station concernent ainsi : les systèmes d’élevages de porcs bio, la génétique, la physiologie, le comportement et la reproduction des porcs et des truies.

La conduite

  • 4 bandes de 12 truies, avec un intervalle de  6 semaines entre bandes.
  • Les porcelets sont sevrés à l’âge de 49 jours, ils rejoignent le bâtiment d’engraissement en conduite “wean to finish” du sevrage à l’abattage. Pendant la phase dite de post-sevrage, les cases de 30 porcelets sont équipés de dômes pour améliorer les conditions thermiques. Voir photo.
  • A chaque sevrage, environ 120 porcelets sevrés sont distribués en 4 cases de 30, 2 cases de 30 femelles et de 2 cases de mâles non castrés.

Comparaison de 2 conduites alimentaires sur des lots de porcs mâles non castrés

Pour cet essai à Porganic, 2 lots de 28 porcelets mâles Large White non castrés ont été suivis à partir de 49 jours d’âge jusqu’à l’abattage. Le poids moyen des porcelets au sevrage était de 14,95kg.

Une conduite alimentaire simplifiée (aliment croissance 100% bio distribué aux porcs du post-sevrage à l’abattage) a été comparée à une conduite classique avec la distribution d’un aliment 2ème âge 95% AB en post-sevrage puis d’un aliment engraissement 100% bio en engraissement. Les données relatives aux aliments sont visibles dans la Table 1. Les 3 aliments sont fabriqués par DFP Nutrition Animale. En complément de la ration concentrée, les porcs avaient accès à un foin de prairie dans des râteliers.

Table 1 : Composition et valeurs nutritionnelles des 3 aliments distribués.

2 ème âge

49/70 jours

Croissance

70/105 jours

Finition

de 105 jours

Matières premières composant la ration par ordre décroissant Blé, Orge, Pois, Triticale, Tourteau de soja, Protéines de pomme de terre Blé, Pois Triticale, Orge, Tourteau de soja, Tourteau de tournesol expeller Blé, Pois, Triticale, Son, Tourteau de soja, Tourteau de tournesol expeller
Protéine brute 16,5% 16,4% 14,8%
Lysine g/kg 8,5 8,4 7,3
Méthionine g/kg 2,4 2,3 2,1
prix €/tonne 731 641 puis 616 579

La quantité d’aliment distribuée et les poids des animaux ont été suivis. Les données d’abattage ont été récupérées (poids carcasse, TMP).

Cet essai a pour objectif :

  • d’étudier les dynamiques de croissance des porcs mâles non castrés en lien avec la conduite alimentaire ;
  • de regarder l’impact de la conduite alimentaire simplifiée sur les performances techniques de l’élevage et sur la qualité des carcasses ;
  • de faire le bilan économique de cette conduite alimentaire.

Porcs mâles non castrés et conduite alimentaire

Des particularités biologiques …

Les porcs mâles non castrés, avec leurs sécrétions hormonales sexuelles, possèdent des caractéristiques métaboliques et des comportements alimentaires de ces animaux différents des porcs castrés. Les hormones sexuelles stimulent la rétention azotée et ainsi le développement du tissu musculaire des animaux au détriment du tissu adipeux. Il en résulte une meilleure efficacité alimentaire, des carcasses moins grasses avec un meilleur TMP et une réduction des rejets azotés. Ces hormones agissent également sur l’appétit, le réduisant en fin d’engraissement lorsque leur sécrétion est élevée. Les mâles non castrés ont un potentiel de dépôt musculaire plus élevé que celui des mâles castrés. De ce fait, ils ont des besoins protéiques supérieurs.

… Qui nécessitent une alimentation spécifique

Pour autant, dans la pratique il n’existe pas de formules alimentaires spécifiques à ces animaux. Ainsi, s’intéresser aux porcs mâles non castrés en conduite alimentaire sevrage-vente simplifiée est intéressant pour étudier leurs croissances spécifiques et l’impact sur les qualités des carcasses.

>> Pour plus de détails, consulter les résultats et fiches techniques du projet CASDAR Farinelli : Alternatives à la castration des porcs bio

Une croissance au post sevrage réduite de 13%

En post-sevrage, la croissance des porcelets a été significativement plus élevée pour le lot ayant reçu l’aliment 2ème âge (411g par jour versus 356g pour le lot essai), l’indice de consommation est aussi amélioré de -0,3 points.  En 21 jours, les porcelets ont consommé une quantité d’aliment équivalente, 19,4 kg d’aliment croissance pour le lot essai et 19,9 kg d’aliment 2ème âge pour le lot témoin.

D’un point de vue purement économique, l’aliment croissance étant moins cher mais la croissance des animaux étant diminuée, le coût du kg de croît est équivalent.

Table 2 : Croissance et indices en post-sevrage.

PS de 49 à 70 jours Essai (n=28)

croissance

Témoin (n=28)

2 ème âge

Poids sevrage (kg) 14.96 14.94
Poids mises à l’engrais (kg) 22.43 23.57
Consommation par porcelet (kg) 19.45 19.89
GMQ (g/jour) 356 (a) 411 (b)
Indice de consommation 2.6 2.3
Prix aliment (€/tonne) 641 731
Coût du kg de croît (€/kg) 1.67 1.68

Pas de croissance compensatrice en phase croissance

Sur la phase de croissance, les porcs ayant été alimentés avec le même aliment, les GMQ sont équivalents entre les 2 lots (590 g/jour pour le lot essai vs 601 g/jour pour le lot témoin. Les indices de consommation sont similaires (2,7). Il n’y a pas eu de croissance compensatrice pour les porcs essais. 3 porcs sont morts en début de phase de croissance (2 porcs du lot témoin, 1 porc du lot essai), ils ont été retirés de l’analyse.

En finition, une amélioration de l’indice de consommation avec l’aliment croissance

Pour comparer les résultats, les données ont été analysées jusqu’au premier départ à l’abattoir. En finition, les GMQ (1007 g/j vs 955 g/j, non significatif) sont supérieurs pour le lot essai qui bénéficie de l’aliment croissance. L’indice de consommation est lui aussi amélioré d’environ 0.2 points. D’un point de vue purement économique, le coût du kg de croît est équivalent du fait de la différence de prix des aliments.

Wean to finish

Table 3 : Croissance, indices et caractéristiques des carcasses des porcs du sevrage à l’abattage.

Essai Témoin
Poids sevrage (kg) 14.96 14.94
Poids abattage (kg) 122.41 122.35
Poids chaud (kg) 92.52 91.31
TMP 59.9 60.4
Consommation par porc (kg) 298 310
GMQ (g/jour) 797 781
Indice de consommation éco 2.79 2.93
Prix moyen de l’aliment (€/tonne) 617 591
Coût du kg de croît (€/kg) 1.73 1.73
Prix payé par porc (€/kg) 3.75 3.74

Les poids de sevrage et d’abattage sont équivalents entre les deux lots. Au global il n’y a donc pas de différence de croissance entre les lots essai et témoin. Le TMP à l’abattage du lot essai est inférieur 0,5 points. Même si ce résultat n’est pas significatif, il peut s’expliquer par l’apport protéique plus limité en post-sevrage.

D’un point de vue économique, contrairement à ce qui était attendu, le coût du kg de croît est similaire entre les deux lots. Bien que les porcs du lot essai aient consommé  moins d’aliment que les porcs du lot témoin (indice de consommation réduit de 0,14 point), la différence de prix d’environ 40€ la tonne entre l’aliment finition et l’aliment croissance explique ce résultat. En moyenne, les prix payés par porc sont similaires entre les deux lots.

Des résultats à l’abattage globalement similaires entre les 2 conduites alimentaires

En conclusion, dans cet essai, la conduite alimentaire sevrage-vente simplifiée n’a pas diminué le poids des carcasses mais a eu un impact limité sur la qualité. En effet, la baisse de croissance observée en phase de post-sevrage (diminution significative du GMQ de 13%) a été rattrapée en phase de finition, en raison notamment de l’aliment croissance plus riche que l’aliment finition. Le TMP à l’abattage du lot essai est inférieur 0,5 points. Même si ce résultat n’est pas significatif, au vu de la grille de paiement des porcs dans la filière, cette différence est à prendre en compte économiquement.

Pour chercher à atteindre une diminution plus importante du coût alimentaire et tester la capacité de croissance compensatrice des porcs mâles entiers, il serait intéressant de réaliser un nouvel essai en comparant une conduite classique : aliment 2ème âge – croissance – finition, par une conduite à deux aliments : croissance – finition.

Tester cette conduite sur un lot de femelles serait également à envisager.

 

Rédacteurs : Stéphane Ferchaud (INRAE) et Clémence Berne (ITAB).

 


[1] Casdar SECALIBIO (2016-2019) : Sécuriser les systèmes alimentaires en production de monogastriques biologiques. Alimentation 100% BIO : Alimentation 100% BIO : SecAlibio (itab-lab.fr)

[2] Voir les comptes-rendus des essais pour plus de détails : https://wiki.itab-lab.fr/alimentation/?SecAlibio/download&file=synthese_secalibio_naves.pdf https://wiki.itab-lab.fr/alimentation/?SecAlibio/download&file=secalibioessainature.pdf

[3] Voir la vidéo de présentation de la station : https://youtu.be/fQQBan6p2cs?si=hWzpCGr-7GjxJ01u