La monotraite en élevage bovins lait : vers une nouvelle pratique du métier

Publié le : 26 avril 2022

La traite en élevage laitier reste l’élément de travail symbolique de cette production. Traditionnellement réalisée deux fois par jour (bitraite), cette pratique interroge agriculteurs et agricultrices quant au temps de travail et à l’astreinte qu’elle implique. Ces questionnements concernent particulièrement les porteurs et porteuses de projet. Le temps de travail et l’astreinte sont souvent au centre des problématiques relatives à l’attrait du métier d’éleveur laitier. Ce sont donc des éléments essentiels à réfléchir dans un contexte où la transmission des fermes devient un enjeu primordial pour le renouvellement des générations et pour les divers rôles que jouent ces fermes sur leur territoire. La réduction à une traite journalière (monotraite) pourrait apporter des réponses à ces difficultés, mais qu’est-ce que cette technique implique concrètement ?

La monotraite en pratique : quelles conditions ? quels points de vigilance ?

La monotraite se réalise de plusieurs manières en fonction des objectifs de l’éleveur·se : réduction du temps de travail, réduction des besoins des animaux lors de périodes clefs… Elle peut s’effectuer une ou plusieurs fois par semaine (par exemple le dimanche soir), sur une période donnée (exemple : en début de lactation), ou pendant toute la lactation.

Le passage en monotraite ne nécessite pas de transition ou de préparation en tant que telles : la suppression de la traite peut être immédiate, sur l’ensemble des animaux, peu importe la répartition des vêlages. De même, cette pratique est réversible : le retour à la bitraite peut se faire à tout moment.

Quelques règles sont cependant à respecter pour la mise en œuvre de cette technique :

  • Partir d’une situation cellulaire saine et surveiller son évolution. Les comptages cellulaires peuvent fortement augmenter le premier mois qui suit le passage en monotraite, sans conséquence dans un élevage sain au départ (retour à la normale).
  • Maîtriser les risques de mammites.
  • Utiliser une ration peu coûteuse. Les rations à base d’herbe pâturée et de peu (voire pas) de concentrés sont les plus adaptées (réduction du coût alimentaire, limitation de l’engraissement excessif…). A noter que la capacité d’ingestion est réduite par rapport à la bitraite (de 5 à 10 %).
  • Sélectionner les animaux sur des critères adaptés dans le cadre d’une monotraite sur le long terme (index cellules…). La race des vaches n’est pas un élément déterminant.

Les impacts du passage en monotraite

Vaches laitières au pré © CAB Pays-de-la-Loire

La technique s’applique à tous les animaux, mais avec des effets rémanents variables en fonction du stade au cours duquel la monotraite est effectuée. Ainsi, une monotraite en début de lactation entraînera une perte d’environ 10 % du volume laitier sur la suite de la lactation. Une monotraite sur l’ensemble de la lactation va, quant à elle, réduire le volume total de lait produit de 20 à 30 % en moyenne (baisse plus accentuée chez les primipares), avec une augmentation notable des taux (+2 g/kg TB et +2 g/kg TP selon une étude de l’unité expérimentale de Trévarez).

De même, la perte d’état des vaches laitières (NEC) sera moins importante (-0,7 contre -0,9 en bitraite ; d’une manière générale, les animaux maigrissent moins en début de lactation et reprennent plus d’état en milieu de lactation), avec des carcasses mieux valorisées (un poids de carcasse plus élevé et une meilleure conformation). Ainsi, à troupeau constant, la baisse du volume de lait est compensée en partie par un meilleur prix de vente grâce aux taux et par une meilleure valorisation des carcasses.

Il est toutefois reconnu que les résultats économiques globaux sont impactés : pour conserver la taille de son cheptel, il est important de partir d’une situation économique saine afin de supporter la baisse de résultat (ou de travailler sur la réduction des charges). Certains optent pour une augmentation du cheptel afin de maintenir le volume laitier produit, donc les résultats économiques. Les critères de surfaces pour l’alimentation des animaux sont alors à prendre en compte, ainsi que la demande des filières et des consommateurs, dans un contexte où la consommation de viande et plus largement la valorisation des veaux laitiers questionnent de plus en plus.

Le temps de travail reste souvent un des éléments centraux dans le choix du passage en monotraite. Cette technique a un impact direct déterminant : elle libère une traite sur la journée, impliquant plus de souplesse dans l’organisation. Le temps de travail s’en retrouve logiquement réduit : de -17 % selon l’étude de Trévarez (traite, déplacement des animaux…).

D’autres effets sont à noter avec cette pratique. Les mammites peuvent être plus difficiles à guérir et peuvent récidiver plus régulièrement qu’en bitraite. En matière de reproduction, les performances s’améliorent au passage en monotraite (fertilité et fécondité), avec notamment une réduction de l’intervalle vêlage – IA fécondante.

La monotraite est une technique en essor, applicable sur tous les élevages laitiers sous réserve de remplir certaines conditions (santé de la mamelle…). Avec des objectifs clairs et des moyens mis en œuvre pour la favoriser (système herbager pour réduire le coût de la ration…), elle constitue une alternative à la pratique courante du métier d’éleveur·se laitier, métier dont les enjeux de pérennisation (transmission des fermes, installation, impact sur les territoires) ont de plus en plus d’importance.

Témoignage : la monotraite pour pallier le départ en retraite des associés

Installé en 1999 en GAEC avec son oncle et sa tante, avec une conversion de la ferme en 2010, Dominique Garnier (EARL la Goupillère) s’est adapté au départ à la retraite de ses associés en 2017. Réfléchissant d’abord à une nouvelle association, Dominique opte finalement pour le passage en monotraite pour « continuer de travailler dans des conditions acceptables ». Le changement ne se fait pas attendre : un mois avant le départ des associés, l’élevage passe en monotraite, sans transition particulière.

L’astreinte de traite débute à 7 h, pour se terminer aux alentours de 9-10 h en fonction de la saison, le reste de la journée permettant de réaliser divers chantiers sur la ferme. Ce changement a entraîné une perte de production laitière d’environ 30 %, compensée en partie par des taux plus élevés, mais aussi par une meilleure valorisation de la viande. « Les vaches sont en meilleur état, on observe une meilleure valeur bouchère (forme de diversification du produit de la ferme) ; et sur les aspects santé, le nombre de boiteries a réduit (moins de trajet et d’attente stationnaire pour les animaux), les vaches fatiguent moins, sont moins fragiles et les mammites et cellules sont restées stables. »

Le passage en monotraite se ressent aussi sur le côté humain : « La monotraite change le métier : plus d’astreinte le soir, des week-ends qui ressemblent à des week-ends, des remplacements plus faciles pendant les vacances… » Une des limites identifiées : « Les vaches sont plus joueuses, la hiérarchie est plus marquée, plus exprimée, on observe un côté plus sauvage. »

Et en guise de conclusion : « Finalement, la monotraite c’est : une traite par jour, un aller-retour dans les parcelles au lieu de deux, moitié moins de fil à déplacer pour le pâturage et moitié moins de boulot en généralisant. Le point fort de ce système est sa réversibilité. L’essayer, c’est l’adopter ! »

La ferme de Dominique
  • 1,5 UTH (dont un apprenti)
  • 122 ha de SAU (114 ha d’herbe, 4 ha de blé panifiable, 4 ha de maïs déshydraté)
  • 85 vaches laitières en croisements trois voies simmental, normande et pie rouge des plaines
  • 1 UGB/ha SFP
  • 3125 L/VL ; TB : 44,9 ; TP : 35,7
  • Âge au premier vêlage : 36 mois
  • Vente de lait à la Fromagerie d’Entrammes (lait de foin)

Article rédigé par Alexandre Roumet (CIVAM Bio 53) initialement publié dans le bulletin CAB n°137, de juin 2021

Pour en savoir plus

Une fiche technique « Passer à la monotraite » a été éditée en 2020 par la FRAB Bretagne.

Elle est téléchargeable gratuitement à ce lien.