Découvrez les pratiques et techniques par filière
Les périodes de crise sont souvent des périodes de remise en cause. Compte tenu du contexte actuel de la filière laitière bio, l’analyse des systèmes bio bretons permet de voir où se situent les marges de manœuvre des éleveurs et éleveuses bio de ce territoire laitier. Il en ressort un panel de leviers potentiels à activer sur les fermes et le besoin d’une mobilisation collective à avoir au sein de la filière.
La production bovine laitière biologique s’est fortement développée ces dernières années avec des volumes collectés multipliés par deux depuis 2015. Les éleveurs de l’Ouest, et plus particulièrement de Bretagne, ont fortement porté ce développement. Après une année 2020 marquée par une consommation croissante des produits biologiques, cette croissance s’est fortement ralentie en 2021. Combiné à l’arrivée de nouveaux volumes de lait de vache biologique au sein des filières longues, ce tassement a conduit à un engorgement du marché. Les volumes excédentaires sont estimés à 200 millions de litres pour 2022.
Dans ce contexte, les laiteries collectant du lait biologique sur le territoire ont adopté différentes stratégies. En premier lieu, la réduction des volumes a pris forme via des mesures incitatives ou pénalisantes.
Concernant l’acceptation de nouveaux volumes issus des conversions, en décembre dernier, deux stratégies de laiteries se distinguaient en Bretagne :
Ces différentes stratégies d’adaptation impactent aujourd’hui les éleveurs biologiques de manière différenciée selon leur laiterie, leur système de production, leur niveau d’endettement et la solidité financière de leur ferme. Cela induit chez certains des tensions sur la trésorerie et des inquiétudes pour l’avenir.
L’enjeu pour ces éleveurs est donc de passer cette période difficile tout en assurant la pérennité de l’outil de production (honorer ses engagements, entretenir ses équipements et ses infrastructures, avoir un cheptel « en forme »…) et le bien-être de l’éleveur (satisfaction au travail, rémunération, maintien voire développement des actifs agricoles présents sur la ferme).
Au-delà des moyens à activer à l’échelle de la filière, sont ici mis en perspective les différents leviers activables à l’échelle des fermes à court terme ou moyen-long terme pour traverser cette période incertaine, mais aussi investir pour le futur. Notons que certains des leviers identifiés sont dépendants les uns des autres. Par exemple, diminuer la présence d’animaux laitiers improductifs permettra d’augmenter ponctuellement les produits en finissant les vaches de réformes afin de mieux les valoriser ou encore en mettant en place des cultures de vente.
Le premier des leviers est bien évidemment celui des charges. C’est un sujet historiquement déjà très travaillé dans les fermes bio, mais c’est aussi l’occasion d’aller plus loin sur certains points. Il est toutefois important d’être vigilant à ce que ces économies de charges ne viennent pas hypothéquer la production future, par exemple en faisant des impasses sur les amendements ou sur la génétique.
Basés sur un principe d’autonomie maximale, les systèmes laitiers biologiques bretons conservent quelques marges de manoeuvre. A l’occasion des journées de groupe qui traitent des résultats techniques et économiques, un certain nombre de leviers d’actions et de réflexions sont abordés par les éleveurs et éleveuses. Ils concernent autant les charges dites « opérationnelles » que les charges « de structures ». Ces leviers techniques, qui par essence ne sont pas exhaustifs, sont développés dans différentes fiches et guides techniques édités par le réseau GAB-FRAB à retrouver sur le site agrobio-bretagne.org.
Peu développés sur le terrain en système laitier, les achats groupés peuvent également être une piste de travail entre éleveurs pour s’assurer de prix compétitifs. Cela vaut par exemple pour les semences fourragères, les minéraux, les amendements ou encore les carburants. Aussi, la réalisation de devis comparatifs, y compris pour ces « petits achats », peut constituer quelques gains précieux.
Les charges dites de structures constituent des charges non négligeables dans les fermes et sur lesquelles il n’est pas toujours aisé de travailler. Aussi ce sont des charges tendanciellement en augmentation du fait de l’augmentation générale des prix : par exemple les heures de mécanique, les honoraires, les assurances…
Parallèlement au travail sur les charges, à l’échelle individuelle, tout en vendant en circuits longs, les éleveurs biologiques disposent de quelques leviers d’actions.
En premier lieu, il peut être intéressant d’analyser ses résultats en lien avec la qualité du lait (taux, pénalités…), leur saisonnalité, leur évolution dans le temps et d’interroger ses pratiques d’élevage et son système pour identifier des axes de travail à court ou plus long terme.
Souvent sous-exploitée dans les systèmes bovins laitiers biologiques, la valorisation de la viande peut constituer une source de diversification du revenu, tout en apportant plus de sens et de cohérence à la filière. Pour ce faire, les éleveurs disposent de plusieurs leviers au rang desquels on trouve :
Au-delà du travail sur les produits animaux, cette conjoncture défavorable peut aussi être l’opportunité de réfléchir aux choix des cultures de ventes présentes sur la ferme, s’il y en a, ou sur l’opportunité d’en mettre en place. En effet, historiquement, les fermes en élevage bovin laitier bio sont souvent des fermes très spécialisées, qui tirent plus de 70-75% de leur revenu de la vente de lait biologique. A ce titre, la mise en place de cultures à haute valeur ajoutée, souvent à destination de l’alimentation humaine peut être une stratégie intéressante, sous réserve d’avoir identifié les débouchés.
Cela permet à la fois de répondre à ce souci de moindre dépendance aux produits issus de l’activité laitière tout en renforçant la cohérence du système biologique : autonomie en paille, effet rotation permis par la prairie, diversification des espèces sur la ferme, réduction du cheptel animal, végétalisation…
Cette stratégie induira de viser des cultures à marge élevée. Pour repère, les données économiques de la FRAB Bretagne tendent à montrer qu’il faut viser 1500 €/ha de marge brute minimum pour que cela soit équivalent à ce qui serait obtenu avec l’atelier lait. A chacun de faire ses calculs dans son contexte, évidemment.
Au-delà du travail sur les charges et les produits à court terme, si cela est possible, il est important d’évaluer sa situation de trésorerie et de la projeter dans les prochains mois en lien avec les prévisions de prix et de volumes de lait livrés. Dans le cas de difficultés de trésorerie présentes ou hautement probables, il est important dès maintenant de mobiliser les outils à disposition.
A toute situation économique difficile, la réactivité dans la mise en place de leviers d’adaptation constitue la meilleure réponse afin de ne pas dégrader plus encore la situation. Nous pouvons citer par exemple : la demande d’avance des aides PAC (DPB et MAEC), l’ouverture de crédits le plus en amont possible de la difficulté, la discussion avec la banque pour l’étalement d’un ou plusieurs prêts, la discussion avec certains fournisseurs ou prestataires pour planifier et échelonner les mises en paiement, la mise en place de virements pour chaque facture pour limiter le risque de dépôts de chèques à un moment inopportun…
Si tous ces leviers ne sont pas suffisants, il est important de ne pas rester seul pour passer ce cap difficile et de se rapprocher de vos GAB, ou encore directement de structures spécialisées dans l’accompagnement de ces situations, tel que le réseau Solidarité Paysans.
Au-delà des leviers d’actions individuels que tout producteur peut décider d’actionner s’il le peut, la conjoncture actuelle appelle chacun des acteurs de la filière, du producteur au distributeur, en passant par le collecteur et le transformateur, à prendre ses responsabilités dans l’intérêt de la filière et de la diversité des acteurs. Les éleveurs bretons membres de la commission ruminants de la FRAB partagent leur regard sur la situation :
« Notre problématique dans le contexte actuel de la filière est liée à la diversité des stratégies présentes en circuits longs. Dans un contexte d’excédent de lait bio, il n’est pas supportable de constater que des opérateurs isolés maintiennent des incitations à produire plus. Un phénomène conjoncturel actuel que l’on constate hors de nos régions mais également dans l’Ouest ! La responsabilité des transformateurs et des distributeurs est donc engagée pour que la filière laitière biologique passe de manière solidaire ce cap de croissance historique.
En tant que paysans, face à la situation que nous vivons, le principal levier d’action dont nous disposons se situe à l’échelle de la production. La prise de conscience doit se faire à l’échelle des fermes, par l’ensemble de nos collègues paysans livreurs de lait bio. Il est nécessaire de modérer collectivement nos volumes de production mais également de nous investir dans les filières afin que l’effort soit produit par l’ensemble des acteurs de la filière. Nos organisations de producteurs, de diverses et multiples formes notamment en Bretagne, sont nos meilleurs moyens de faire entendre nos revendications collectives, quel que soit notre collecteur. Nous sommes contraints de nous adapter au marché, mais nous sommes également en capacité d’adapter le marché à nos réalités. Notre analyse se doit d’être globale, et par cet exercice nous faisons de la solidarité entre fermes le principal levier pour sortir de la conjoncture actuelle.
Au-delà de cet effort collectif à réguler la production, il est nécessaire de ré-engager un travail de fond sur la sensibilisation du consommateur et cela avec des moyens à la hauteur de ce que représente la filière bio. En ce sens, le réseau des producteurs bio a engagé au niveau national une action syndicale pour exiger la rétribution des cotisations volontaires obligatoires (CVO) versées par les producteurs biologiques au service d’une communication spécifique sur la consommation biologique. Jusqu’à présent, l’agriculture biologique a laissé « les autres » parler à sa place en oubliant de porter et répéter que l’AB était aujourd’hui le mode de production le plus exigeant d’un point de vue environnemental en réponse aux attentes sociétales.
Dans cette période difficile, en tant que paysans bio, nous devons agir solidairement, nous investir dans nos filières, nous impliquer dans les actions syndicales à venir et communiquer en ouvrant nos fermes, en partageant l’exigence de nos métiers au service du bien commun. »
Article initialement publié dans SYMBIOSE, Mars 2022, le journal du réseau FNAB de Bretagne
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