La biodiversité comme alternative au travail du sol

Publié le : 29 juillet 2020

Inspiré de l’agriculture de conservation, le MSV (Maraîchage sur Sol Vivant) vise à reconstituer dans les jardins le cycle naturel de la fertilité des sols. Partant du constat que cette fertilité est générée par l’activité biologique, le rôle du maraîcher sera de favoriser la vie du sol en lui assurant le gîte et le couvert. En pratique, cela repose sur trois principes fondamentaux : ne pas travailler le sol, le couvrir en permanence et le nourrir régulièrement. Ceci implique une toute autre approche dans la gestion de son système de culture. Dans le cadre des actions du groupe Dephy Légumes Bio animé par la FRAB AuRA, plusieurs maraîchers auvergnats intéressés par cette démarche ont participé récemment à une formation dans l’Allier à l’EcoJardin des Grivauds, membre du réseau national « Maraîchage sur Sol Vivant ». Cet article rapporte quelques éléments présentés lors de cette formation.

Présentation du GAEC L’EcoJardin des Grivauds à Pierrefitte-sur-Loire (03)

– 2 associés : Fabrice Landré et Denis Raffin

– 0,8 ha de maraîchage diversifié dont 1200 m² sous abri

– altitude 240 m

– sol lourd

– plants autoproduits

Depuis son installation en 2011, Fabrice conduit son activité maraîchère avec un credo très fort : faire de la biodiversité une alliée ! Plantes sauvages, haies arbustives, insectes, araignées, batraciens, tout ce petit monde s’enrichit et se régule naturellement. Cette démarche l’a conduit à abandonner tout travail du sol à partir de 2017 et à pailler intégralement ses sols. L’année suivante, il est rejoint par Denis avec qui il partage la même sensibilité naturaliste. Et c’est désormais cette nouvelle approche qui guide les deux associés dans la gestion de leur ferme.

Quelle est la méthode appliquée à l’EcoJardin des Grivauds ?

L’ensemble du système est organisé en planches permanentes d’une largeur de 90 cm. Toute la surface cultivée, passe-pieds compris, est systématiquement couverte de paille de céréales (15 t/ha/an). « Après épandage, la paille est tassée à l’aide un rouleau plombeur. Le but est de la rendre plus opaque à la lumière afin de limiter les levées d’adventices. »

De la toile tissée est parfois utilisée, posée directement sur le paillis et la végétation existante préalablement broyés, soit en occultation durant plusieurs semaines avant d’implanter une culture, soit en paillage pour des cultures à cycle long comme les courges et les choux. « L’idée est de gagner sur l’enherbement. »

Concernant la fertilisation, la couverture des besoins repose d’abord sur la forte activité biologique qui permet de mobiliser les fournitures naturelles du sol. En complément, de l’engrais organique est apporté pour soutenir le démarrage des cultures quand le sol est encore froid : en moyenne 1 t/ha/an de Gomeo 7-6-7 et 300 kg/ha/an de Guanumus 2,5-3,5-2.

Côté mécanisation, le recours aux machines est très limité : « Nous utilisons seulement un petit broyeur à fléaux ISEKI Orec pour hacher finement les résidus de culture, un tracteur pour transporter la paille et une tondeuse pour l’entretien des abords. »

Pelle-plantoir utilisée pour la mise en place des plants en mottes.

La mise en place des cultures à travers une épaisse couche de paille étant moins aisée qu’en sol nu, Fabrice et Denis privilégient les plants en mottes (autoproduits). Pour transpercer le paillis, ils emploient une pelle-plantoir manuelle très performante, de forme effilée et munie d’une poignée transversale. Pour le moment, les semis directs se limitent à quelques espèces : carotte, panais, radis-botte, haricot, pois, fève. « Au fil des expériences, nous affinons nos itinéraires techniques ; nous envisageons de semer en direct aussi les betteraves, navets et radis de conservation ».

Afin d’intensifier leur production, Fabrice et Denis optimisent l’espace cultivé en resserrant les rangs de légumes et en associant les cultures. N’ayant pas recours au binage, la mise en œuvre de ces techniques d’intensification s’en trouve facilitée.

Récolter de belles carottes dans un sol non travaillé : c’est possible !

Il est communément admis qu’un sol finement et profondément travaillé est un préalable incontournable pour récolter des carottes bien formées. Mais les excellents résultats obtenus à l’EcoJardin des Grivauds viennent tordre le cou à cette idée reçue. Et voici comment la culture est implantée :

« Sous serre, nous commençons par broyer les restes de la culture précédente et son paillis, puis nous rassemblons ces résidus broyés au bord de la planche. Ensuite, nous épandons l’engrais à la volée. Les graines sont alors semées au semoir mono-rang (3 rangs/planche) et recouvertes de 0,5 à 1 cm de compost de déchets verts. Enfin, nous replaçons le paillis sur les inter-rangs et nous terminons par une aspersion assez copieuse. Temps de travail total estimé à environ 5 h pour 50 m². Tout est fait manuellement ! En plein champ, l’itinéraire est le même, hormis le débarrassage des restes de la culture précédente qui n’est pas forcément nécessaire puisque la carotte succède ici à une occultation avec de la toile tissée. Ensuite au niveau désherbage, nous intervenons uniquement sur le rang, d’abord au stade 2 feuilles, puis 3 semaines après. Aucun désherbage entre les rangs ! Cela représente environ 10 h/100 m², sachant que notre compost de déchets verts est sale car il provient d’un tas sur lequel des adventices annuelles ont grainé ; une nette amélioration serait possible avec du compost plus propre. Et l’épandage du compost sur les lignes de semis est effectué à la main mais l’idée serait d’utiliser à terme un épandeur à plâtre pour stades ou un distributeur d’aliments pour élevages. »

Semis de carotte sous serre : le sabot et les rasettes du semoir ne touchent pas le sol afin que les graines soient déposées sur la surface du sol, sans être recouvertes de terre

Une fois le semis réalisé, le paillis est replacé de part et d’autre des rangs

De nouveaux défis à relever

L’abandon du travail du sol et sa couverture permanente ont généré de nombreux atouts agronomiques mais ont aussi engendré quelques challenges techniques :

– Les limaces : « Nous ne visons pas le zéro dégât. Grâce à l’activité auxiliaire, un certain équilibre semble s’installer. Nous constatons très peu de dommages sur les cultures. Or, nous intervenons peu : nous utilisons moins de 1 kg/an de Ferramol et nous faisons du piégeage avec des feuilles de choux posées dans les allées. »

– L’enherbement : « La présence du paillis nous oblige à désherber uniquement à la main. Mais d’un autre côté, la pression adventices a bien diminué et la flore spontanée a franchement évolué : les annuelles devenues sporadiques, ont cédé leur place aux plantes vivaces – liseron, chardon et potentille principalement. Pour le liseron et le chardon, nous les arrachons une à deux fois par an. Toutefois, ces vivaces à rhizomes sont peu concurrentielles car elles s’alimentent surtout en profondeur ; nous veillons seulement à ce que leurs parties aériennes n’étouffent pas nos cultures. En revanche, nous sommes plus vigilants avec la potentille, bien plus nuisible au niveau racinaire ; nous la contrôlons en coupant profondément sa racine pivotante que nous exportons ensuite pour éviter qu’elle ne se réimplante. Comparé à notre ancien système avec travail du sol, alors très infesté de digitaire et de galinsoga, cette nouvelle approche du désherbage nous parait tout à fait acceptable en terme de charge de travail. Et le principal, c’est que nos rendements n’ont pas baissé ! Enfin, notre gestion des rotations constitue un levier capital : en plein champ, nous cultivons 1000 m² de courges et choux d’automne-hiver sur toile tissée que nous maintenons en place pendant toute la saison puis jusqu’en février-mars. Cette occultation de longue durée nous permet d’obtenir un sol très propre, parfait pour accueillir nos cultures les plus sensibles à l’enherbement. »

– Le réchauffement du sol : « Après une occultation de plusieurs mois, lorsque nous retirons la toile tissée en fin d’hiver, la surface du sol est complètement recouverte de turricules de lombrics. Ainsi mis à nu, le sol se réchauffe plus rapidement, ce qui favorise le démarrage de nos semis précoces comme les radis par exemple. Et en appoint, nous utilisons des tunnels nantais. »

Bientôt un groupe MSV en Auvergne ?

Fabrice et Denis s’impliquent depuis plusieurs années au sein du groupe technique des maraîchers bio d’Auvergne porté par la FRAB AuRA et dans ce cadre, ils soutiennent l’émergence d’une dynamique collective autour des techniques de non-travail du sol. « Au niveau national, le réseau MSV est très actif dans plusieurs régions françaises. Alors que sur l’Auvergne, un nombre croissant de maraîchers s’intéressent à la démarche « Sol Vivant », l’opportunité de créer un groupe local d’échanges est réelle. » Ils invitent donc les personnes intéressées à les contacter directement : contact@ecojardindesgrivauds.fr ou 06 20 84 64 09.

Et pour en savoir plus : les deux associés tiennent un blog qui relate la conduite de leur jardin MSV semaine après semaine : http://ecojardindesgrivauds.fr/

 

Article rédigé et propos recueillis par Mehdi AÏT-ABBAS – FRAB AuRA et initialement paru dans La Luciole n°26