Gestion de l’eau en maraîchage : une des clés de la réussite

Publié le : 22 décembre 2021

Le terme maraîchage désignait l’activité des jardiniers qui cultivaient autour de Paris et des grandes villes en général située sur des marais. Si aujourd’hui, les fermes maraîchères se sont éloignées des marais, la gestion de l’eau est un facteur clé de réussite. Une bonne gestion de l’irrigation permet des économies d’eau, une croissance régulière et équilibrée, des économies de main d’œuvre ainsi qu’une régularité des rendements et de la production dans le temps.

Irrigation Responsable

Sept fermes maraîchères de Lorraine se sont réunies au sein d’un GIEE AGIR : « Association pour une Gestion de l’Irrigation Responsable » afin d’échanger sur leurs pratiques. Si l’eau est essentielle pour produire des légumes frais, de saison et gustatifs, aucun membre du groupe n’a l’impression de gaspiller l’eau.

La problématique réside dans le facteur limitant en termes de ressource en eau engendrant d’une part des investissements supplémentaires (bassin de rétention) et une obligation de prioriser les cultures irriguées et de trouver des astuces. Ainsi une attention toute particulière est portée sur les semis directs (carotte…), le repiquage et les légumes sensibles (radis, navet, épinard, salade…). La pose de voile d’hivernage P17 sur un semis de carotte permet de maintenir l’humidité au sol et diminue ainsi les interventions. Certains privilégient des plantations de choux plus tardifs en saison avec des cycles plus courts. Le groupement commence ces échanges depuis cette année seulement et espère échanger avec le plus grand nombre le résultat de leurs discussions.

Les besoins en eau en maraîchage

A l’installation, le maraîcher doit définir ses besoins en termes de volume à l’année et de pic de besoin en période estivale. Ces éléments détermineront sa stratégie d’approvisionnement en eau et de dimensionnement de son réseau d’irrigation. Par la suite, il faut piloter son irrigation au jour le jour selon le stade de culture, des espèces et de la météo.

Rappel

1 mm d’eau = 1 litre/m2 = 10 000 litres/ha = 10m3/ha

Les besoins à l’année

On évalue les besoins annuels en irrigation de 1500 à 3000 m3/ha/an, en comptabilisant une surface sous abris de 10%. Ce qui revient à une centaine de jours entre 15 et 30 m3 et des pics à 60 m3 par grosse sécheresse. Ces besoins varient selon le contexte pédoclimatique de chacun.

Les besoins au jour le jour : la méthode du bilan hydrique, basée sur les entrées et sorties d’eau dans le sol

ETM = ETP* Kc (* 0,8 sous abris)

– L’ETM : Evapo-transpiration maximale, représente les besoins en eau d’une culture donnée.
– L’ETP : Evapo-transpiration potentielle, représente la perte en eau d’un sol selon différents paramètres tels que le vent, la température, le rayonnement, l’humidité… On trouve sa valeur en tapant sur un moteur de recherche « meteo60,etp, votre commune ». L’ETP est donnée en mm et pour un sol bien pourvu en eau. En général, l’ETP se situe entre 0 et 7 mm par jour.
– Kc : C’est le coefficient cultural qui est déterminé selon le stade et le type de culture. Ces coefficients sont facilement trouvables sur internet, dans la littérature ou auprès de votre groupement bio local.
– (* 0,8 sous abris) : Les pertes en eau sous tunnel sont moindres, on applique un coefficient rectificatif de 0,8.

Piloter l’irrigation et connaître les quantités d’eau à apporter ?

Calculer la réserve en eau de son sol
La fréquence et les doses apportées vont dépendre du volume de la réserve en eau facilement utilisable (RFU) du sol, c’est-à-dire l’eau qui est suffisamment peu liée aux particules de sol pour être facilement absorbée par les racines. La RFU dépend de la texture du sol, de son taux d’humus et de la profondeur du système racinaire.

En général, on choisit une dose correspondant aux 2/3 de la RFU. Un arrosage trop léger pénètre peu dans le sol et l’eau s’évapore rapidement. Un arrosage trop abondant induit des pertes d’eau, des risques d’asphyxie racinaire et un lessivage des éléments nutritifs.

En maraîchage diversifié, vu la multitude d’espèces cultivées, le nombre de séries différentes par espèce, l’application de ces méthodes est extrêmement complexe, elle sert néanmoins de boussole. On ne raisonne pas l’irrigation au jour le jour mais sur 2 ou 3 jours.

Texture du sol (triangle de
Jamagne et Bretemieux)
RFU (mm d’eau / cm de sol)
Sable 0,4
Limon 0,8
Limono-argileux 1

Un exemple concret : quelle irrigation apporter le 26 juin à Remoiville, sur une culture de tomates sous abris ?

ETP du 26 juin à Remoiville : 4,1 mm (taper dans le moteur de recherche : ETP Remoiville)

ETM = 4,1 * 0,8 (coef sous abris) * 1,15 (Kc Tomate 4ème bouquet) = 3,77 mm/m2

3,77 mm/2 pieds au m2 (si on tient compte du passe pieds) = 1,88 mm

Soit 1,88 mm d’eau absorbé par pied et par jour (1,8 L/ pied)

Avec un goutte à goutte à 2 L/heure et 4 goutteurs au m2, en 1 heure/m2 on a 8 L soit 8 mm.

Donc 3,77/ 8 mm = il faut irriguer 0,47 heure donc 28 minutes.

Donc selon l’ETP à cette date, il faut soit irriguer 30 minutes tous les jours, soit 1 heure tous les 2 jours.

Quelle réglementation sur l’eau ?

La réglementation concerne la quantité d’eau prélevée et la qualité de l’eau utilisée. La police de l’eau (DDT) contrôle le premier point, le second est contrôlé par le SRAL (service régional de l’alimentation, DRAAF).

Prélèvement d’eau dans le milieu naturel

Au-delà de 1000 m3/an prélevés dans la nappe (profonde ou de surface) ou dans un cours d’eau, il est obligatoire de disposer d’un compteur d’eau.

Création d’un forage

Chaque projet de création d’un forage pour prélever de l’eau souterraine doit faire l’objet d’une déclaration préalable (cerfa n°13837*02) en mairie par lettre recommandée et accusé de réception. Quand le dossier est constitué et jugé recevable, la DDT émet un récépissé de déclaration de forage. Les travaux peuvent avoir lieu après réception du récépissé.

Tout forage d’une profondeur de plus de 10 mètres doit faire l’objet d’un dossier d’incidence réalisé par hydrogéologue transmis à la DREAL.

Le foreur effectue un pompage d’essai qui permet de vérifier la productivité du forage (débit d’eau pendant 12 heures). Si le débit est satisfaisant, le maître d’ouvrage transmet le rapport rédigé par le foreur à la DDT.

Lorsque les forages sont dans les périmètres rapprochés des captages pour eau potable, toute situation de prélèvement est soumise à déclaration. Beaucoup de captages disposent d’un arrêté de déclaration d’utilité publique indiquant des périmètres d’interdiction d’ouvrage.

Le forage doit être effectué à plus de 35 mètres des bâtiments d’élevage et annexes  ; à plus de 50 mètres des parcelles d’épandage de déjections animales et plus de 5 mètres d’une route.

Pompage en eau superficielle (cours d’eau)

Le débit total est comparé au débit moyen du cours d’eau au plus bas niveau de l’année. La moyenne est faite sur 5 ans, fournie par la DREAL. Le niveau de la demande dépend du débit de la pompe en rapport au débit moyen du cours d’eau. Si le débit total de la pompe est inférieur à 2% du débit moyen, il faut réaliser une déclaration d’existence de prélèvement ; entre 2 et 5 % c’est une déclaration préalable et au-delà nous sommes sous le régime d’autorisation préfectorale.

La qualité de l’eau en maraîchage

L’eau d’irrigation : l’eau utilisée pour irriguer ou immerger les végétaux doit être propre ou potable. Elle ne doit pas constituer un vecteur de contamination des produits. Seule l’eau d’irrigation en aspersion pour les légumes feuilles et fruits est contrôlée. L’eau d’irrigation pour les légumes racines n’est pas contrôlée.

L’eau de lavage : La dernière eau de lavage doit être de l’eau potable. La réglementation n’oblige en aucun cas le lavage des légumes-feuilles avant la vente. Dans le cas où l’eau de lavage ou aspersion est différente du réseau communal d’eau courante, il est obligatoire de vérifier la qualité de l’eau utilisée en effectuant des autocontrôles comportant une analyse microbiologique annuelle (nombre d’Escherichia coli ≤ 250UFC/100ml) et une analyse physico-chimique tous les 5 ans (MES, matière
en suspension et DCO, demande chimique en oxygène).

Définitions

Eau propre au sens du règlement CE 852/2004 : eau naturelle, artificielle ou purifiée ne contenant pas de microorganismes, ni de substances nocives en quantité susceptibles d’avoir une incidence directe ou indirecte sur la qualité sanitaire des denrées alimentaires.
Eau potable : eau satisfaisant aux exigences minimales fixées par la directive 98/83/CE relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

Eléments technico-économiques sur le matériel

Pression et surface
couverte
Coût Avantages Inconvénients
Enrouleur 3 à 7 bars
Largeur : de 10 à 50 m
Longueur : de 40 à 80 m
3000 à 5000€ par
enrouleur
– Facilité de mise en oeuvre en cas
de grandes longueurs
– Facilité de déplacement
– Favorise le développement de
maladies cryptogamiques
– Risque de tassement
– Adventices favorisées par irrigation
en plein
– Blessures sur plantes fragiles
Asperseurs 3 à 4 bars mini
Maillage 12x12m à
15x15m
5000 à 6000€/ha – Facilité de déplacement
– Reproduction de la pluie
– Prospection racinaire et vie du
sol favorisées sur toute la surface
– Permet apports importants ou
ponctuels
– Peut servir pour le bassinage
– Favorise le développement de maladies
cryptogamiques
– Répartition inégale en cas de vent et
mauvaise mise en place
– Adventices favorisées par irrigation
en plein
– Sensible à l’évaporation
Micro-aspersion 1,5 à 2 bars
Maillage 3x3m à 5x5m
– Apports d’eau progressifs
– Limite risques de tassement
– Peut servir pour le bassinage
– Pas compatible avec les filets anti-insectes
– Installation fragile nécessitant un
démontage en hiver
– Sensible à l’évaporation
Goutte-à-goutte 1,5 bar mini 0,60€ par mètre
linéaire
– Économe en eau
– Pas d’évaporation
– Réduit risque maladies
cryptogamiques
– Enherbement réduit
– Déplacement fastidieux, peu adapté
aux cultures mécanisées
– Prospection racinaire et vie du
limitées en dehors des bulbes
d’humectation
– Débit irrégulier sur terrains en pente
(sauf systèmes à membrane silicone)
– Risque d’obturation des capillaires
– Risque de lessivage en sol filtrant
Rampe oscillante 2,5 à 4 bars – Répartition précise
– Adaptée aux cultures
demandant une irrigation
fréquente
– Déplacement compliqué en cas de
grandes surfaces

Exemple de cas concret : le pompage solaire

L’énergie la plus courante pour le pompage de l’eau dans les parcelles non raccordées en électricité est issue du pétrole mais il existe aussi d’autres solutions pour une partie du pompage de l’eau : les pompes solaires. Deux fermes en Grand Est (en Alsace et en Meuse) ont investi dans des kits de pompage solaire qui se composent de 6 panneaux solaires, d’une pompe d’un débit de 5 à 7m3/h et d’un système de gestion de la pompe. Il est aussi possible de prévoir un raccordement sur un groupe électrogène en cas d’absence d’énergie solaire mais en 5 ans, la ferme alsacienne n’y a pas eu recours. L’investissement dans ce kit solaire se chiffre autour de 5000 à 5500 €. Mais ces pompes servent pour le moment que de pompage dans la nappe pour remplir des bassins de rétention. Il est toujours nécessaire d’investir dans une motopompe pour atteindre le débit nécessaire à la distribution dans le réseau d’irrigation. Cela permet ainsi de se passer de l’investissement dans des batteries coûteuses.

Des aides financières pour le matériel d’irrigation ou les forages

En fonction de votre localisation, des aides financières octroyées par le conseil départemental, le conseil régional ou l’Etat peuvent être mobilisées pour financer votre projet d’achat de matériel ou de forage. Rapprochez-vous de votre groupement bio local pour en savoir plus.

Article rédigé par Nicolas Herbeth, Camille Fonteny et Lise Foucher (Bio en Grand Est) et initialement paru dans les Lettres AB n°36, janvier 2021