Diversification : produire des légumes de plein champ

Publié le : 21 décembre 2020

Le réchauffement climatique se fait de plus en plus ressentir, l’année 2020 ne fait pas exception et confirme la tendance. Ces aléas climatiques fragilisent l’ensemble des productions agricoles. Rajoutons à cela un contexte sanitaire exceptionnel et une situation économique difficile… renforcer la résilience de sa ferme devient alors indispensable. Pour cela, la diversification de ses productions est un levier efficace et durable.

Se diversifier pour consolider sa ferme

La multiplication des productions, qui répondent différemment aux aléas climatiques et aux conjonctures des marchés, qui diffèrent selon les débouchés, permet de sécuriser le revenu des fermes. La production de légumes de plein champ est une diversification intéressante pour des fermes en système Grandes Cultures et en polyculture-élévage notamment par rapport à l’évolution de la demande. De plus, les politiques publiques sont porteuses : « 50% de produits dits durables dont 20% de produits bio d’ici janvier 2022 », telles sont les mesures de la Loi EGalim. Mettant en avant les enjeux de l’Agriculture Biologique, cette loi est une opportunité pour assurer le développement des échanges sur le territoire. Afin d’y répondre, le réseau FRAB-GABs d’AuRA accompagnent les producteurs bio, les collectivités et les Projets Alimentaires Territoriaux dans la structuration locale des filières, de la production, à la commercialisation. De plus, l’allongement et la diversification des rotations, apporte un intérêt agronomique global : la durabilité de la fertilité du sol, la gestion des ravageurs et/ou maladies, étant intimement liés à la biodiversité présente sur la ferme. Sans oublier une innovation technique qui motive en permettant l’évolution de la ferme.

Produire des légumes avec du matériel d’élevage ou de grandes cultures


Une herse étrille de 12m de large : le travail est vite fait chez Terrence Vernière, Maraîcher bio à Puy-Guillaume (63) qui travaille avec l’EARL de Soalhat en polyculture élevage. « L’inconvénient, c’est que le travail ne peut être réalisé qu’une seule fois, après impossible de passer ». Faire demi-tour sur des petites surfaces, slalomer entre les légumes ce n’est pas évident. Si le matériel utilisé en Grandes cultures permet un travail rapide et efficace, quand il s’agit de précision sur des légumes, c’est une autre affaire ! Pour faciliter les itinéraires techniques et les passages, il est recommandé de travailler en planches. L’enjeu est alors d’adapter le matériel présent sur la ferme. Généralement, les exploitations en GC ou élevage sont équipées en matériel ce qui est un gros avantage. Les premiers travaux du sol sont efficaces, se font rapidement et souvent associés à la fertilisation : un gros tracteur, un épandeur à fumier ? Du fumier à volonté ? Le rêve de nombreux maraîchers ! Au final, la clé de l’efficacité est la standardisation du système, tout doit être calculé en fonction des voies du tracteur et le matériel doit suivre : du travail du sol en passant par la fertilisation, semis/plantation, binage/buttage et récole. On en déduit alors les possibilités au niveau des densités, cela se joue parfois au centimètre près !

Le défi de transférer les connaissances entre producteurs


La FRAB AuRA anime un groupe DEPHY-FERME composé de 11 fermes depuis 2017 sur la thématique de la maîtrise des adventices.

Ce groupe permet de travailler sur les défis techniques individuels grâce à la force du collectif. Après 3 ans de projet, des itinéraires techniques ont été travaillés, testés, ajustés et perfectionnés. Afin de partager leur expérience avec les collègues, le groupe a souhaité organiser des visites ouvertes à tous, soit 14 demi-journées sur l’Auvergne en 2020. Dans ce cadre, une journée spécifique sur la diversification de production par des légumes de plein champ a été organisé le 8 Septembre dernier par la FRAB AuRA et Bio63 avec la présence d’Auvabio. Une vingtaine de personnes ont pu visiter ainsi le BiauJardin à Gerzat (63) et l’EARL de Soalhat, en polyculture-élevage qui s’est diversifiée avec 4 hectares de pommes de terre.

Dates, matériel, variétés, protection, interventions… l’ensemble de l’itinéraire technique est revu de A à Z. « Ces journées sont indispensables avant se lancer et bénéficier de tous ces retours d’expérience » témoigne Thomas Jourdain, qui installe une production légumière sur une ferme en polyculture élevage en Haute-Loire. Côté Rhône-Alpes, les échanges ont également été très riches entre la trentaine de participants, principalement des agriculteurs lors des portes ouvertes « la production de BPC bio à petite échelle pour fournir la restauration collective et le demi gros » sur la ferme de l’épi Vert à Rive de Gier (42), organisées par l’ARDAB et les chambres d’agriculture de Rhône et Loire. Maxime Pioteyry a choisi la complémentarité entre LPC et céréales avec transformation. Il cultive des courges, pommes de terre et poireaux, en rotation avec du blé transformé en farine, du colza transformé en huile et ses luzernes sont semées dans l’orge sous couvert. « J’ai toujours du travail mais c’est assez linéaire, en résumé d’Avril à fin Octobre je produis, et de Novembre à Mars, je vends. Je parviens à ne pas être en retard sur les interventions pour éviter un travail supplémentaire de désherbage ».

Lutter contre le taupin sur pommes de terre bio


Maxime Pioteyry a pu partager ses itinéraires techniques, en pommes de de terre dont il a notamment été questionné sur sa gestion des taupins : sa stratégie intègre les rotations, gratter le sol l’été avant (car les pontes s’effectuent l’été), un semis de moutarde brune qui a un effet nématicide, des applications de purin de fougère avant de planter et entre 2 binages, pour avoir un effet répulsif, puis un épandage de tourteau de ricin à raison d’1 tonne/Ha. Pour s’adapter aux évolutions climatiques, il se tient prêt à planter ses pommes de terre début Avril et ainsi les faire tubériser le plus longtemps possible. « Ici, le secteur est précoce avec les derniers risques de gelées au 20 Avril, avec une plantation début Avril les pommes de terre ont d’ici là à peine le temps de sortir et ne sont pas sensibles au gel ».

Démonstrations au salon du maraichage BIO à Marmilhat
Afin d’accompagner les productions biologiques de plein-champ, des entreprises développent du matériel de pointe, permettant un entretien efficace et rapide des cultures. Deux démonstrations ont été organisées : le 16 Juin au BiauJardin et lors du salon du 29 Septembre sur l’EPL de Marmilhat. A ce titre, quatre entreprises ont présenté leur matériel : SabiAgri, Toutilo, Naio Technologie et Terrateck. Confort, efficacité, précision et traction électrique, des solutions agronomiques ergonomiques et durables viennent au service de l’Agriculture Biologique.

Se former : indispensable avant de se lancer dans la diversification

 


Bien penser son projet pour se lancer dans la diversification c’est indispensable ! Une nouvelle production c’est comme apprendre un nouveau métier, si les bases agronomiques sont communes, l’itinéraire technique est à repenser entièrement, les besoins des légumes étant complètement différents des Grandes cultures ou prairies et font parties des cultures les plus exigeantes.

En plein champ, ce sont principalement des légumes racines/bulbes qui sont cultivés : betteraves, carottes, navets, oignons… ou des légumes feuilles : poireaux, choux, salades… Afin de se développer correctement, contrôlant ravageurs et maladies et assurant calibre et aspect pour la commercialisation, les légumes doivent être chouchoutés ! Pour cela le choix de l’emplacement est essentiel : place dans la rotation, meilleure terre de l’exploitation, accès à l’eau, distance permettant un suivi très régulier.

La fertilisation et les interventions culturales sont précises et adaptées à chaque culture. Une intégration des LPC doit s’envisager dès la conception de sa rotation. Intégrer des légumes entre des céréales ou des prairies présentent de gros avantages au niveau de la gestion des sols, des maladies, ravageurs et adventices. Mais les inconvénients sont là aussi, les taupins font des ravages après certaines prairies !

Afin d’appréhender ces questions points par points et d’accompagner chaque agriculteur à développer des itinéraires techniques adaptés, la FRAB AuRA a construit avec Gilles Lèbre, maraîcher au BiauJardin depuis 40 ans, une formation spécifique. Mesures sanitaires obligent, cette formation a tout d’abord été organisée avec Haute-Loire Bio en visioconférence, puis retravaillée avec Bio 63. Réparties en 5 modules sur 4 semaines, elle permet à chacun de monter en compétences entre chaque module et d’intégrer ses apprentissages à son système. 4 modules à distance se terminent par 1 journée terrain. Ce format permet à chaque ferme de repartir avec son itinéraire construit, revu et adapté… il n’y a plus qu’à démarrer le tracteur !

Produire des légumes de conservation bio, sans irrigation à 1100m d’altitude. Retour sur la formation FRAB AuRA du 12 Août 2020 :


Chez Thomas Delauge à Freycenet la Tour (43), l’itinéraire technique est bien rodé. Spécialisé dans la production de légumes de plein champ de conservation, les rotations sont simplifiées : 1 culture par an, il n’y a pas de serre, pas d’irrigation. 2 ha sont cultivés principalement entre 1 100m et 1 200 mètres d’altitude. Plutôt extensive et mécanisée (herse étrille, bineuse, planteuse, 2 semoirs earthway jumelés…), toute la production est vendue en direct avec stockage pendant l’hiver. « J’ai deux contraintes auquel mon système doit s’adapter : des sols froids au printemps dû à l’altitude, et l’absence d’irrigation ». Pour cela, tous les légumes sont semés/plantés à 60-70cm, limitant la compétition, sur des planches surélevées, réalisées au vibroplanche, pour faciliter le ressuyage et le réchauffement du sol, s’ils ne sont pas buttés. « Avant de semer, je prends la température du sol. Pour les carottes, j’attends 15°C. Il y a toujours plusieurs degrés d’écart entre le dessus et le bas de ma planche ». Niveau enherbement, 1 faux semis, 2 à 4 binages de précision et 1 à 2 passages à la main entretiennent la culture.

L’astuce du producteur : Avec des inter-rangs aussi importants, Thomas a eu l’idée de rajouter des graines de salades au semis de carottes, ainsi il les sème de façon aléatoire : « Les salades vite récoltées, gênent à peine les carottes, cela me fait 3 000 salades, sans aucun entretien autre que celui apporté aux 8 000m² de carottes ».
Perfectionner son système : Installé depuis 2007, les changements climatiques se font sentir, l’érosion aussi. Thomas souhaite désormais intensifier son système et passer en 3 rangs sur ces planches pour certains légumes et se concentrer sur l’aménagement de la ferme et le travail du sol pour lutter contre l’érosion et les aléas climatiques.

Les débouchés et la conservation : 2 aspects essentiels


Enfin, préparer sa diversification se termine obligatoirement par réfléchir à ses débouchés : avant de se lancer, quand et comment vendre la production ? En effet, se retrouver avec plusieurs tonnes de navets ou de betteraves ne s’écoulent pas forcément facilement. Et contacter un opérateur économique une fois la récolte faite n’est pas une bonne idée et risque de déstabiliser les filières locales ; anticiper cette commercialisation avant même la mise en culture est primordiale pour vendre sereinement et au meilleur prix.

La conservation des légumes doit également être prévue : en caisse, en sac, en vrac… ; ancienne étable, ancien camion, chambre froide neuve… ; ventilé, sec, humide… de nombreuses techniques existent et doivent être réfléchies pour chaque légumes et selon les capacités de la ferme. Un bon stockage, c’est l’assurance de vendre ses légumes sur une plus longue période et à un meilleur prix. « Je pense que l’erreur que nous avons tous fait un jour, c’est de préparer nos conditionnements à l’avance en espérant gagner du temps, alors que quelques mois plus tard, chaque sac a perdu des kilos d’eau… » explique Claude Laurent. En mutualisant, il est alors plus facile d’éviter les erreurs et de produire plusieurs légumes et d’en assurer les soins. Si des agriculteurs s’entraident déjà, des collectifs importants comme Auvabio se développent fortement. N’oublions pas que le collectif est toujours plus fort : « Grâce à Auvabio, j’ai produit des carottes et des betteraves cette année, alors que j’étais parti uniquement sur la pomme de terre. Au final, j’ai raté mes pommes de terre, sans le collectif, j’aurai été en difficulté » affirme Thomas Jourdain. Par ailleurs, pour Auvabio la planification des cultures et donc des ventes est centrale. Ainsi Auvabio propose à ses producteurs de planifier leurs mises en culture pour assurer leurs ventes. Il s’agit d’un double engagement : le producteur s’engage à mettre en culture une ou des production(s) et à l’entretenir pour assurer ces volumes de légumes engagés ; et de son côté, Auvabio s’engage à vendre pour le producteur cette quantité de légumes à un prix « plancher ». Ainsi, avant même le semis, le producteur sait que s’il réussit sa culture, elle sera vendue (en cas d’aléas, cet engagement est assoupli).

 

Rédaction : Alexandre Barrier-Guillot, FRAB AuRA, Solenn Brioude Bio63,
Pauline Bonhomme ARDAB, Coralie Pireyre FRAB AuRA.