Cornes et écornage en élevage laitier bio – Témoignages d’éleveurs normands

Publié le : 26 août 2020

Contexte et historique de l’élevage, aménagement des bâtiments, motivation personnelle de l’éleveur… de nombreux paramètres entrent en compte dans le choix de conserver les cornes ou non. Si la réglementation bio encadre très strictement la pratique de l’ébourgeonnage, les éleveurs et éleveuses qui souhaitent y avoir recours peuvent faire une demande de dérogation. Chaque cas étant particulier, et chaque choix pouvant se justifier, les pratiques en bio sont donc très variées.

Damien et Baptiste, éleveurs laitiers bio en Normandie, ont une expérience différente des cornes : Damien a un troupeau comportant des vaches avec et sans cornes et écorne actuellement par ébourgeonnage, et Baptiste a toujours eu un troupeau à cornes. Ils nous expliquent leur choix, leurs pratiques… et comment ils ont fait ou font encore évoluer leur système pour appliquer au mieux les principes du mode de production biologique, tout en veillant à assurer leur propre sécurité, celle de leurs salariés ainsi que celle de leur troupeau.

 

Un troupeau actuellement écorné

Damien Olivier, éleveur laitier bio à La Rocque (14) :

« A la base mon troupeau est mixte : j’ai des vaches avec et sans cornes car certaines années je n’ai pas écorné les jeunes à cause du protocole qui ne me satisfaisait pas (par manque de qualification). L’ambiance dans les lots à cornes est bonne au champ et c’est au moment de la rentrée en bâtiment et certaines années qu’il peut y avoir des problèmes.

Pour moi les coups ne sont pas uniquement liés aux cornes, mais davantage au fait de concentrer des animaux dans un espace trop restreint par rapport à leur besoin, ou encore de faire se rencontrer des animaux pour la première fois en bâtiment. La concentration exacerbent les confrontations physiques. Même sans cornes, il peut y avoir des coups et des hématomes. Les cornes ne font qu’accentuer les conséquences des confrontations.

Dans ce contexte certaines années j’ai fait écorner des animaux adultes « problématiques » (sur dérogation), ce que je m’interdis de faire depuis. Début 2018 j’ai fait le choix d’écorner les jeunes veaux par ébourgeonnage tout en continuant de faire évoluer l’espace de vie et la conduite du troupeau pour limiter les problèmes de confrontations entre animaux. L’objectif est de pouvoir revenir peut-être un jour à un troupeau à cornes. »

L'élevage de Damien

  • 50 vaches
  • Troupeau avec une base PH, croisé Montbéliard, Brune des alpes, Simmental.
  • Vêlages groupés de printemps
  • Bâtiment : aire paillée et barre aux garrots.
  • 14 m2 / VL d’aire de vie
  • 3 mois maxi en moyenne en stabulation jour et nuit
  • Alimentation hivernale :
    • Foin et enrubannage en libre-service barre aux garrots et aux râteliers, avec toujours du fourrage disponible
    • 0 concentré

Quelques précisions sur sa conduite du troupeau depuis 2013 et l’évolution de l’espace de vie des vaches :

  • La surface disponible a été augmenter progressivement : de 10 m2/VL au départ à 14 m2/VL aujourd’hui).
  • Le mélange des lots se fait plus tôt (entre jeunes et entre jeunes et adultes) et dans la mesure du possible au champ.

« J’ai un lot de génisses nées en 2017 qui a des cornes et qui a vêlé au printemps 2019. Ces génisses ont été élevées par leur mère dans le troupeau des laitières ce qui leur a permis d’apprendre les codes hiérarchiques. Ces génisses ont globalement un bon comportement au sein du troupeau. Néanmoins les plus dominantes peuvent être problématiques lors des concentrations momentanées (le parc d’attente). Donc je réfléchis encore à augmenter les espaces de vie contraints. »

Quelques mots sur les conditions d’écornage par ébourgeonnage :

Au préalable, il est nécessaire de suivre une formation sur l’écornage des jeunes par ébourgeonnage (obtention de la qualification pour écorner soi-même), et pour le réaliser correctement, de suivre le protocole proposé par le RMT Bien-être animal sur l’écornage (cf. biblio ci-dessous).

Les vêlages étant groupés, l’écornage se fait sur le lot des génisses âgées de 5 à 15 jours maxi pour les raisons suivantes :

  • Contention plus facile, ce qui limite aussi le stress pour les veaux
  • Assurance que le bourgeon n’est pas soudé à l’os du crâne, ce qui facilite la cicatrisation et limite le temps de contact nécessaire entre le bruleur et le veau.

En contrepartie, ce chantier impose une préparation et d’y dédier un temps. Il faut compter une demi-journée comprenant la préparation du matériel (cage de contention, visualisation de la vidéo sur l’écornage en amont pour s’assurer des gestes…), et le délai pour que l’anesthésiant fasse effet.

Un troupeau qui a toujours eu des cornes

Baptiste Mercher, éleveur laitier bio à Beaufour-Druval (14) :

Vaches de Baptiste au pâturage

© Bio en Normandie

« Le troupeau de vaches normandes (60 vaches) de la ferme familiale a toujours eu des cornes et je ne l’imagine pas autrement. Je suis attaché à la conservation des cornes tant pour l’aspect esthétique que pour la santé des animaux (qualité de la digestion et des bouses en résultant, régulation de la pression artérielle…). Il n’y a jamais eu de gros accidents entre animaux. Il peut y avoir quelque fois une vache ou une génisse plus agressive avec le reste du troupeau, si elle a les cornes pointues, je coupe la pointe (2-3 cm) et je mets un bon coup de lime pour arrondir le bout de la corne.

Quand il faut intervenir sur un animal, nous le faisons souvent à la corde et je laisse sans crainte le salarié tenir l’animal lors de l’intervention. La période la plus « à risques » est l’hiver en bâtiment (de fin novembre à avril), notamment quand on introduit des génisses dans le troupeau. Il y a des vêlages toute l’année donc il y a régulièrement des génisses qui arrivent dans le troupeau et ce sont elles qui peuvent se montrer agressives le temps de trouver leur place dans le troupeau. J’essaie de les introduire au moins par 2 dans le troupeau et depuis peu je les mets avec les taries en extérieur avant de les rentrer dans le troupeau : cela améliore nettement leur intégration.

L’hiver, les vaches sont en stabulation libre (7 m² d’aire paillée et 3 m² d’aire bétonnée par vache) et l’alimentation est distribuée au cornadis. Elles sont systématiquement bloquées en sortie de traite pour manger le foin de tête de repas, puis elles ont un peu de céréales (0 à 1.2 Kg) puis un mélange de foins. Il faut qu’il y ait plus de cornadis que de vaches (au moins 10 à 20 % de cornadis en plus) : j’ai 72 places aux cornadis pour un nombre de vaches qui varie entre 50 et 60 en lactation. L’alimentation doit être bien calée (méthode Obsalim©) car dès qu’il y a de l’acidité dans l’organisme ou que les foies sont surchargés, cela rend les animaux agressifs.

C’est Bruno Giboudeau (vétérinaire qui a développé la méthode Obsalim©) qui m’a appris qu’un troupeau de plus de 20-25 vaches fonctionnait en sous-unités d’une vingtaine d’individus. Il conseillait donc, pour un troupeau de 60 vaches, d’avoir une stabulation avec 3 compartiments paillés avec une libre circulation des vaches via le couloir bétonné. De par son histoire, mon bâtiment a 4 compartiments et c’est vrai qu’on retrouve toujours les mêmes groupes de vaches dans chaque partie du bâtiment.

Pour moi, il est tout à fait possible d’avoir un troupeau laitier avec des cornes et des cornadis. Malgré tout, il faut que le contexte soit adapté : une alimentation bien calée, des bâtiments adaptés pour une bonne organisation sociale du troupeau, un troupeau calme et un éleveur qui n’est pas stressé par la présence de cornes. »

L'élevage de Baptiste

  • 60 vaches
  • Troupeau normand
  • Vêlages étalés
  • Bâtiment : aire paillée et cornadis (72 places aux cornadis)
  • 10 m2 / VL d’aire de vie
  • 5 mois en moyenne en stabulation jour et nuit
  • Alimentation hivernale :
    • Foins ventilés
    • 0 à 2,5 Kg de concentré/j/VL à l’auge
Vaches de Bapstiste au cornadis

© Bio en Normandie

Rappel de la réglementation bio

Rappel de la réglementation de l'agriculture biologique

En cas d’ébourgeonnage des jeunes : il est obligatoire de faire une demande de dérogation à déposer à son organisme certificateur. Formulaire « Opération pour raisons de sécurité ou d’amélioration de la santé, de bien-être ou de l’hygiène des animaux » disponible à ce lien : https://www.inao.gouv.fr/Espace-professionnel-et-outils/Produire-sous-signes-de-qualite-comment-faire/Demandes-de-derogation-en-Agriculture-Biologique

 

Rédactrice : Virginie Parrain – Bio en Normandie

Témoignages extraits de la fiche technique de Bio en Normandie, téléchargeable en cliquant ici.