Sylvain Haurat – Bovin Lait – Côtes d’Armor

En 2020-2021, SymBIOse, le magazine des agriculteurs et agricultrices bio de Bretagne, a proposé une série de portraits consacrée à la transmission, enjeu majeur des années à venir. Il s’agit ici du quatrième volet avec Sylvain Haurat. Originaire des Landes, il devait reprendre la ferme familiale. Il a finalement choisi de s’installer en Bretagne, solidement et joyeusement parrainé par Maryse et Joseph.

La transmission, ça lui a toujours trotté dans la tête à Joseph. Déjà, en 78, quand il s’est installé, il l’a fait en SCOP, avec deux compères. « On ne voulait pas reproduire ce schéma où chaque générations doit racheter le capital de la précédente. On a tenu 3 ans avec nos idéaux avant de rentrer dans le rang et de passer en GAEC pour avoir droit à la DJA et aux prêts JA », rigole aujourd’hui le jeune retraité. Le GAEC tiendra 10 ans. Un pas en arrière, trois pas en avant, Maryse fini par rejoindre Joseph sur la ferme en 89. Lui sur l’atelier lait, elle sur l’atelier légumes racines. L’herbe et les légumes poussent, les années filent. Deux agrandissements successifs font passer la ferme de 19 à 40 hectares.

A deux, c’est mieux

Fortement impliqués dans les réseaux d’agriculture paysanne, les deux Templier mettent en place un système cohérent. Et dans la tête de Joseph, toujours cette question de la transmission qui trotte, qui trotte… En 2010, ils commencent à anticiper leur fin de carrière et mettent en place un groupement d’employeurs avec 6 autres fermes afin de se décharger. En 2014, Joseph participe à une formation sur la transmission. « Je l’ai fait seul, rapporte Joseph, mais c’est à faire à deux, car c’est difficile de rapporter à l’autre la richesse des échanges. Chacun exprime les choses d’une manière et les reçoit différemment ». Ça l’aide à définir « la dernière étape de l’activité professionnelle » et il en ressort avec des certitudes. Ce qu’il veut avant tout, c’est transmettre sa ferme afin d’installer un jeune en bio. Le couple se fait aussi une raison sur le devenir de la ferme. « On était conscient que si on voulait transmettre pour installer, il fallait qu’on accepte que la ferme puisse changer, et qu’on fasse une concession financière », admet Joseph. Pour le couple, hors de question de « mettre la corde au cou » d’un jeune ou de voir la ferme partir à l’agrandissement.

Maryse et Joseph ont cinq ans d’écart. La retraite pour eux, c’est à deux. « On voulait arrêter ensemble. On s’était dit que je continuerai à travailler un peu plus pour aller jusqu’au départ à la retraite de Maryse », explique Joseph. Suite à la formation, ils passent une annonce dans leurs réseaux, puis sur le RDI, pour « mettre toutes les chances de leur côté ». Parallèlement, ils accompagnent un jeune couple qui s’installe en bio sur la commune. L’entraide, c’est dans leur ADN. Le jeune couple leur renvoie l’ascenseur en diffusant leur annonce dans leurs réseaux. Joseph voit même l’annonce circuler sur Facebook. « C’est Alex-Anne, ma compagne qui l’a vue dans notre boîte mail, j’étais passé à côté », raconte Sylvain.

Originaire des Landes, Sylvain avait un parcours tout tracé. Fils d’éleveur laitier, il était destiné à reprendre la ferme familiale. Avant ça, il décide de se faire la main. Il décroche un premier job de conseiller en élevage en Bretagne. Il rencontre Alex-Anne, et mûrit son projet d’installation. « Mon père était dans un système à 80 vaches, maïs-soja. Ma vision a évolué au fil du temps. A un moment, je n’étais plus en phase avec ce système », relate l’éleveur.

Il embarque tout de même Alex-Anne avec lui, direction le sud. Après un an et demi à travailler avec son père sur la ferme, la réalité s’impose à lui. Il ne reprendra pas la ferme familiale. « Ça a des avantages et des inconvénients une ferme familiale, notamment sur le plan émotionnel ». Sylvain sait ce qu’il veut : une ferme laitière pour monter un projet collectif et faire du fromage. « Je voulais un investissement raisonnable, et pouvoir me dégager du temps libre ».

Etapes clés

1978 : installation de Joseph

1989 : installation de Maryse

2018-2019 : parrainage de Sylvain

2019 : transmission et installation de Sylvain

Coup de cœur réciproque

De retour en Bretagne, Sylvain rencontre donc Maryse et Joseph. Un coup de cœur. Après quelques rencontres, il passe deux semaines sur la ferme, pour être sûr de se lancer dans le parrainage. Le coup de cœur se confirme. Ils lancent un parrainage d’un an en mai 2018. « Ça peut paraître long, mais je voulais me servir de ce temps pour chercher un associé et m’assurer que je me sentirai bien sur cette ferme. Je sortais d’une période compliquée avec mon père et je ne voulais pas me mettre une trop grosse pression pour m’installer aussitôt revenu en Bretagne. J’ai pris le parrainage comme un temps de décompression et de réassurance de mon projet ». Maryse et Joseph, d’un commun accord avec Sylvain, se séparent de leurs laitières quelques mois avant le parrainage car ils ne voulaient plus subir l’astreinte de la traite. « On a gardé juste les génisses, et quelques vaches pour faire des veaux de lait. Il fallait aussi qu’on s’y retrouve financièrement. On voulait avoir du temps pour accompagner Sylvain et ça lui permettait de bien mûrir le projet de la ferme », expliquent Maryse et Joseph.

Bien sûr, il reste des doutes à lever, d’un côté comme de l’autre. Au début du parrainage, Sylvain n’est pas encore sûr de son choix. Maryse et Joseph, eux, aimeraient parfois que les choses avancent un peu plus vite. « Sylvain a toujours communiqué avec nous sur l’état d’avancement du projet. Quand on a commencé le parrainage, il nous a demandé de faire une réunion par semaine. On a dit OK. Tous les lundis, on mangeait ensemble et ensuite on parlait de la ferme. Parfois ça durait 30 minutes, parfois 2 heures. Ça nous a permis d’évoluer ensemble. De notre côté, on lui avait dit : ‘‘ Tu peux prendre tout le temps que tu veux pour faire des formations ’’ », explique Joseph. Sylvain les prend au mot. Il se forme, beaucoup, en profite pour aller visiter d’autres fermes aussi. Il passe du temps avec Joseph pour appréhender l’élevage, et avec Maryse pour peaufiner sa connaissance de la gestion de la ferme. « On lui a donné les 4 dernières années de résultats comptable », indique Maryse.

Sylvain recherche activement un associé. Il ferre une piste sérieuse et lance les démarches pour l’installation en janvier 2019. Le projet d’association ne se fait pas, mais tant pis, Sylvain poursuit sur sa lancée. La question du coût de la reprise est vite réglée. L’un comme l’autre ne voulait que ça soit central dans le projet de transmission. « J’avais fait mon prévisionnel et calculé les annuités que je pourrai rembourser », explique Sylvain. « On avait fait un chiffrage de la ferme. Nos chiffres ont vite convergé », raconte Joseph. 150 000 € pour le matériel, le cheptel et les bâtiments. Sylvain reste locataire du foncier.

Ronger son frein

En avril 2019, Sylvain commence à produire du lait. « J’étais serein, je savais que quand je serai installé, la ferme serait lancée et que j’aurai un revenu ». De leur côté, Joseph et Maryse, même s’ils sont toujours aux commandes, laissent Sylvain faire ses choix. « On lui avait toujours dit qu’à partir du moment où il ferait le choix de s’installer, il prendrait toutes les orientations par rapport aux cheptels ». Sylvain fait le choix du tout herbe, là où ses cédants cultivaient un peu de céréales. « On l’a laissé faire le choix des espèces pour les prairies. On a fait des investissements pour lui pendant le parrainage et on les a intégrés dans le coût de la reprise », relate Joseph.

A la fin du parrainage, Sylvain commence à ronger son frein. « Je gérais la ferme mais elle appartenait encore à Maryse et Joseph et les décisions que je prenais pouvaient encore avoir un impact sur eux, ce qui était parfois un peu délicat à gérer », se souvient Sylvain.

Le parrainage est aussi un temps important dans la gestion du foncier de la ferme. Maryse et Joseph avaient 20 hectares en propriété. Sur les 20 restants, ils savaient que 10 ha seraient à vendre à l’issue de leur activité. Ils ont anticipé et les ont rachetés en faisant valoir leur droit de préemption. Restent 10 hectares en indivision sur lesquels ils ont déjà fait une offre mais sans réponse. « C’est à nous d’anticiper ces questions là et de faire ce lien pour que la ferme reste cohérente », remarque Joseph. Ils ont aussi entamé des échanges parcellaires afin de renforcer l’accessibilité au pâturage. « On a fait une réunion chez nous, on a invité tous les voisins. Certains ont été compréhensifs, d’autres non. Ça crispe les gens dès qu’on touche à la terre », sourit Maryse. Sylvain leur en rend grâce. Une tracasserie de moins à gérer pour lui. « S’il avait fallu racheter le foncier, j’aurais sûrement fait appel à Terre de liens », assure-t-il. Une solution aussi envisagée à terme par Maryse et Joseph pour assurer la continuité de la ferme.

 

Quelques données

Surface : 40 hectares

Cheptel : 30 vaches laitières et leur suite

Emploi : 1 UTH

Vente : circuit long

Le bruit de la machine à traire

Reste à Sylvain de faire de la ferme ce lieu de vie qu’il espère. Il s’est un peu épuisé à chercher en vain un associé. Sa recherche est aujourd’hui en veille, mais il reste ouvert à toutes les propositions. La ferme tourne et il gère bien son temps. Un boulanger est en train de s’installer sur la ferme, mais pour l’activité fromage, pas question de la lancer seul. Alex-Anne pourrait à terme le rejoindre sur la ferme, mais pas sur l’atelier lait, production qu’elle goûte peu. Dans cette optique, il a fait le choix de ne pas habiter sur place. « Si on veut un projet collectif, soit on habite tous sur la ferme, soit personne n’y vit. Ça créé d’emblée un déséquilibre si une personne vit sur la ferme. Et j’ai aussi envie de couper. Si je ne suis pas d’astreinte, je n’ai pas envie d’entendre la machine à traire le week-end », glisse-t-il avec malice.

Maryse et Joseph, eux, entendent la machine à traire se mettre en branle les jours de vent portant. Ils sont ravis aussi de pouvoir aller donner un coup de main de temps en temps pour assurer cette douce transition vers une retraite active. L’entraide, est définitivement dans leur ADN.

Antoine Besnard, rédacteur en chef Symbiose

Photos : Matthieu Chanel